Serpent de mer du traitement juridique de l'inceste, la prescription de ce crime sexuel, délai au-delà duquel une action civile ou pénale n’est plus admissible devant la justice, revient sur le devant de la scène parlementaire. Ainsi, la sénatrice Annick Billon, du groupe Union centriste, a déposé une proposition de loi le 14 novembre 2025 à ce sujet.
En matière de crimes sexuels, plusieurs lois successives sont certes intervenues depuis 1989 pour tenter d’allonger et de reporter le point de départ de la prescription. Les dernières en date portent à 30 ans la prescription des crimes sexuels commis à l’encontre des mineurs (loi du 3 août 2018) et instaurent une prolongation du délai si les faits sont réitérés sur un autre mineur (loi du 21 avril 2021).
Un laps de temps jugé trop restreint par Face à l'inceste. « Les victimes sont empêchées de parler pendant des années, parfois des décennies, sous l’effet de la peur, de la honte, du déni ou de l’amnésie dissociative. Le délai de prescription devient alors un déni de justice, protégeant de fait les agresseurs plutôt que les droits fondamentaux des victimes », estime l'association dans un communiqué.
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Parce que « la protection des enfants n’attend pas », la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise) avait d'ailleurs, dans son rapport de novembre 2023, pointé notamment des défaillances juridiques. En premier lieu desquelles la question de l’imprescriptibilité des crimes sexuels commis sur les plus jeunes. Une proposition qui, bien que faisant débat au sein même de l'instance, a finalement intégré les 82 préconisations du document.
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Avec ses trois articles, la proposition de loi a vocation à répondre à trois objectifs :
Reconnaissance de l’inceste comme crime spécifique. Avec la structure actuelle du code pénal, la parlementaire considère qu’il est complexe de l’identifier comme tel. C’est pourquoi elle propose :
- D’insérer une définition générale de l’inceste, de définir les infractions incestueuses et de délimiter leur périmètre et leurs sanctions.
- De requalifier le viol et l’agression sexuelle incestueux, en incluant dans la liste des auteurs les cousins germains (qui représentent un agresseur sur cinq) et les mineurs de plus de 15 ans lorsqu’ils s’en prennent à des membres de leur famille âgés de moins de 15 ans. « L’intégration des cousins dans la définition pénale de l’inceste refléterait la réalité de l’inceste : 20 % des crimes incestueux sont commis par des cousins germains », estime Solène Podevin-Favre, présidente de Face à l'inceste, dans le communiqué de l'organisation.
- De supprimer la condition d’autorité que l’agresseur peut exercer sur la victime.
- De créer une circonstance aggravante quand le viol incestueux est précédé ou suivi de pressions psychologiques, de violences, de menaces ou d’actes d’intimidation à l’encontre de la victime.
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Renforcement des sanctions. Le deuxième article de la proposition de loi est destiné spécifiquement à la non-dénonciation de crime, de mauvais traitements ou d’agression sexuelle commis sur un mineur. Par une modification du code de procédure pénale, il ferait passer la prescription de 10 à 20 ans à compter de la majorité de la victime s’il s’agit d’une atteinte ou d’une agression sur un mineur. Dans le cas d’un viol incestueux, ce délai court pendant 30 ans.
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Imprescriptibilité des viols sur mineurs. Cette proposition vient du constat que ces traumatismes, vécus pendant l’enfance, peuvent avoir des conséquences empêchant les victimes de porter plainte. A l’image de l’amnésie dissociative, qui peut durer plusieurs dizaines d’années : « Le viol d’un mineur est un crime contre l’humanité de la personne. Il exige une réponse claire, ferme et sans limite de temps », dénonce la sénatrice dans l’exposé des motifs.
Un texte accueilli favorablement. Après avoir travaillé pendant plusieurs mois sur ce texte, en coopération avec son auteure, l’association Face à l’inceste se félicite de son dépôt, applaudissant ainsi une proposition de loi palliant à ses yeux plusieurs lacunes législatives : « L'imprescriptibilité est une mesure essentielle qui donnerait la parole aux victimes et mettrait fin à l’impunité des agresseurs. Ce changement législatif fait largement consensus : 90 % des Français le soutiennent. Il faut que le Parlement écoute la parole des victimes, des experts et des Français en adoptant cette proposition de loi », salue Solène Podevin-Favre.
A noter que, le 18 novembre 2025, une proposition de loi a également été déposée par la députée (Les Démocrates) Maud Petit, « visant à supprimer la prescription pour les viols et agressions sexuelles sur les mineurs ».
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