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Ecole inclusive: l’arrivée du médico-social permettra-t-elle une accessibilité universelle ? (1/4)

U3E Pont Marchand Loire-Atlantique

Une institutrice spécialisée dans une unité d'enseignement externalisée élémentaire à Orvault (Loire-Atlantique) en 2019.

Crédit photo Armandine Penna
[ENQUETE] Depuis vingt ans, la loi affirme le droit pour chaque enfant, y compris porteur d’un handicap, d’être scolarisé dans son école de quartier. Pour la mettre en œuvre, l’institution s’est longtemps centrée sur la compensation individuelle. Elle pourrait aujourd’hui amorcer un tournant : celui de l’accessibilité universelle, portée par l’entrée du médico-social dans les établissements.  

Pendant la récréation du milieu de matinée, un premier élève toque à la porte. Il vient pour emprunter un « fidget », et le choisit dans la caisse dédiée à ces jouets de toutes les couleurs et de toutes les formes permettant de réguler le stress, l’ennui ou l’agitation. Une fois son heure de cours terminée, Louca repasse pour le remettre dans la boîte. Dans cette salle située au sein d’un espace passant du collège Maurice-Genevoix de Couzeix, tout près de Limoges (Haute-Vienne), les élèves vont et viennent. Il s’agit parfois, comme pour ce collégien fraîchement arrivé, de signaler un mal-être par des cris. Parce que, depuis la rentrée 2022, c’est là que sont installées les équipes du dispositif d’autorégulation (DAR), devenu désormais collège d’autorégulation.

Maîtriser son comportement

Ici, professionnels de l’Éducation nationale et du médico-social travaillent main dans la main pour accompagner neuf élèves présentant un trouble du neurodéveloppement (trouble du spectre de l’autisme et déficit de l’attention), tous scolarisés dans des classes ordinaires. Le but : transmettre à ces enfants des outils pour qu’ils apprennent à maîtriser leur comportement, leurs émotions et, à terme, qu’ils poursuivent leur scolarité de manière autonome. « Avant, quand on m’embêtait, ça m’arrivait de taper celui qui m’énervait, mais maintenant j’arrive mieux à me contrôler », assure Thiméo, 12 ans, dans une vidéo filmée au collège de Couzeix par le ministère des Solidarités. « Je pense que sans [l’équipe d’autorégulation], je n’y serais jamais arrivé. En fait, je ne serais même pas là. »

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L’exemple de Couzeix n’est malheureusement pas représentatif de l’institution scolaire à l’échelle nationale. Alors que le droit pour chacun à une scolarisation en milieu ordinaire, au plus près de son domicile, est acté depuis la loi « handicap » du 11 février 2005, et que le nombre d’enfants en situation de handicap scolarisés a été multiplié par trois (520 600 élèves à la rentrée 2025), le principe de l’école inclusive reste un trompe-l’œil : cet apparent succès quantitatif traduit davantage une meilleure reconnaissance des handicaps qu’une réussite de l’école à intégrer en son sein des enfants qui en étaient jusque-là exclus. Sans compter que le dogme « zéro sans solution » se traduit le plus souvent par quelques heures sur les bancs de l’école et que 50 000 enfants n’avaient pas d’accompagnement à la rentrée 2025, soit 30 % de plus que l’année dernière (source commission d’enquête parlementaire).

Le règne de la compensation

« L’école inclusive reste une chimère », résument les rapporteurs de la mission d’évaluation de l’Assemblée nationale sur ladite loi « handicap ». Les députés Christine Le Nabour et Sébastien Peytavie estiment que les moyens mis sur la table – 4,6 milliards d’euros pour l’école inclusive dans le cadre de la loi de finances pour 2025 – sont « insuffisants et surtout mal employés ». Parmi les échecs qu’ils soulignent : le nombre d’enfants qui n’ont aucun accès à la scolarité (62 % des enfants polyhandicapés en établissements spécialisés), le manque de données empêchant d’avoir un suivi quantitatif et qualitatif de la scolarité des élèves handicapés, ainsi que la perpétuation de logiques ségrégatives à l’école.

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Si du chemin a été parcouru depuis la création, en 1909, de « classes de perfectionnement » pour les « anormaux d’école », les « arriérés d’école », les « débiles », explique Alexandre Ployé, professeur en sciences de l’éducation à l’université de Cergy, « on ne s’est toujours pas dépris de ce legs historique qui continue à regarder l’échec de l’enfant à l’école comme relevant de son trouble individuel, sans interroger la forme scolaire en elle-même ». Depuis cette fameuse loi de 2005, l’inclusion repose sur deux outils fondamentaux : l’accessibilité et la compensation. Jusqu’à récemment, les dispositifs mis en place dans le cadre scolaire relevaient en écrasante majorité de la compensation, c’est-à-dire des mesures individuelles pour garantir l’égalité des droits et l’équité des chances. Cela se traduit par la présence d’accompagnants d’élèves en situation de handicap (AESH) ou par des aménagements pour les examens – les tiers temps. Un chiffre l’illustre : six enfants en situation de handicap sur dix bénéficient d’une notification MDPH d’accompagnement humain. Même si les coupes budgétaires ne prévoient la création que de 1 200 postes en 2026, contre 2 000 cette année.

« On appelle des AESH à toutes les sauces, parce que ça rassure les parents et soulage les enseignants », s’agace Marie-Christine Philbert, vice-présidente de la Fédération nationale des associations au service des familles et des personnes présentant une situation de handicap (Fnaseph), qui a pourtant contribué à la réflexion autour de ce métier dans les années 1980, quand sa fille porteuse d’un handicap était enfant. Alexandre Ployé est lui aussi très critique sur le sujet du recours exponentiel aux AESH : « À l’heure actuelle, on fait reposer la réussite de l’école inclusive sur les personnels les moins bien payés et les moins formés de l’Éducation nationale. » Le professeur en sciences de l’éducation pointe en plus un « effet pervers » du recours à l’aide individuelle : « Quand un enfant est accompagné d’une AESH, son identité d’élève est recouverte par le fait qu’il est en situation de handicap ou en grande difficulté. Certains élèves vont préférer être dans un entre-soi, comme une filière Segpa [section d’enseignement général et professionnel adapté, ndlr] ou en Ulis [unité localisée pour l’inclusion scolaire], pour éviter la stigmatisation en classe ordinaire. »

Accessibilité universelle

Autre effet pervers de cette focalisation sur la compensation, la tendance à éclipser toute vision collective. De l’aveu même de la Direction générale de l’enseignement scolaire (Dgesco), dans un document remis aux députés de la commission d’enquête sur les vingt ans de la loi « handicap », « ce recours à la compensation a certainement parfois empêché la mise en accessibilité, qui doit être un préalable ». Les défenseurs de l’école inclusive plaident de leur côté pour que soit enfin développé le deuxième versant de la loi de 2005 : l’accessibilité universelle. Une conception qui consiste à penser un contenu faisant progresser tous les élèves sans avoir à mettre en place d’adaptation secondaire, plutôt que de construire des séquences qui s’adresseraient aux élèves moyens. Concrètement, il s’agit évidemment d’adapter les locaux aux handicaps moteurs. Mais surtout de repenser les modalités d’enseignement et les supports pédagogiques.

Intervenir en amont

Une révolution qui va peut-être pouvoir advenir grâce à la rencontre récente, à l’œuvre depuis une petite dizaine d’années, entre l’Éducation nationale et le secteur médico-social. La mise en place des pôles d’appui à la scolarité (PAS), portés par un binôme composé d’un personnel de l’Éducation nationale et d’un éducateur spécialisé avec le support d’un plateau technique médico-social, enthousiasme Marie-Christine Philbert : « On va enfin croiser les regards d’un spécialiste de la pédagogie et d’un expert de tout ce qui est d’ordre éducatif. Ensemble, les deux vont construire un plan d’action commun, ce qui est inédit. » Jusque-là, par exemple en cas d’intervention du service d’éducation spéciale et de soins à domicile (Sessad), « l’enseignant et l’éduc collaboraient, mais chacun jouait sa partition. Avec les PAS, ils vont devoir jouer la même partition ensemble », continue Marie-Christine Philibert.

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Mis en place à titre expérimental dans quatre départements à la rentrée 2024, le dispositif est étendu progressivement. Ses contours précis pourraient encore être amenés à bouger mais sa mission principale est la suivante : « proposer des réponses de première intention, rapides et adaptées » aux élèves présentant des besoins éducatifs particuliers, avec ou sans notification de handicap. Dans l’idéal, les PAS pourraient permettre des interventions le plus en amont possible et résoudre ainsi des situations complexes sans avoir à passer par la case MDPH. « Notre utopie, c’est que notre intervention permette d’avoir à éviter dans certains cas la reconnaissance d’un handicap, explique Delphine Diot, de Ladapt des Hauts-de-France, association qui déploie six PAS depuis septembre 2025. En adaptant la situation, la difficulté peut disparaître. »

Appui aux enseignants

Quelques années auparavant, les équipes mobiles d’appui à la scolarisation (Emas) avaient été mises en place sur le territoire national. Leur cahier des charges est aujourd’hui en train de changer avec l’arrivée des PAS, mais leurs missions sont encore majoritaires. À savoir mener des actions préventives de sensibilisation et de formation auprès des professionnels des établissements scolaires, mais aussi venir en appui d’enseignants ou de chefs d’établissement qui auraient besoin d’aide. « Nous sommes attendues lorsque nous arrivons dans l’établissement », expliquent Amandine Doite et Stéphanie Simpé, de l’Emas Béarn et Soule.

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Les Emas font état de petites victoires dans leur quotidien, voyant évoluer les pratiques des professionnels de l’Éducation nationale vers l’accessibilité universelle. À l’instar de Laura Bonnot, dans le Rhône, qui se souvient d’une enseignante accompagnée ayant fini, après un premier temps très difficile, par dire qu’elle avait eu « la chance » d’avoir un enfant avec un trouble du spectre de l’autisme dans sa classe l’année passée. « Quand les enseignants ont une expérience positive avec les besoins particuliers, ils sont mieux outillés par la suite et en ont aussi l’envie, parce que c’est stimulant d’un point de vue professionnel », résume Claire Richaud, elle aussi de l’Emas du Rhône.

Ajuster sa vision du monde

Cette rencontre entre l’Éducation nationale et le médico-social n’a pourtant rien d’évident, tant les deux mondes professionnels sont distincts, voire opposés l’un à l’autre. Il faut ajuster sa vision du monde et ses éléments de langage, constate Delphine Diot, de Ladapt : « D’un côté, l’enfant est perçu du point de vue élève, avec la question de l’entrée dans les apprentissages. De notre côté, nous avons une vision centrée sur l’enfant et nous élargissons notre intervention à son environnement familial, sa situation sociale et toutes les autres dimensions. » Pour réussir à parler le même langage, professionnels de l’Éducation nationale et du travail social se retrouvent régulièrement. L’Emas Béarn et Soule rencontre toutes les deux semaines les services « école inclusive » de leur secteur. Tandis qu’au collège de Couzeix l’équipe d’autorégulation se réunit une fois par semaine et organise chaque trimestre des temps d’échange avec les équipes pédagogiques des élèves concernés.

Enjeux de pouvoir

Si les retours de terrain des professionnelles interrogées semblent plutôt couronnés de succès, la doctorante Julie Chesnay est moins optimiste. Après avoir suivi le travail d’un Emas durant deux ans dans le cadre de sa thèse, elle analyse une collaboration interprofessionnelle périlleuse et trop souvent décrétée par le haut. C’est d’autant plus un problème que, derrière ce rapprochement, se jouent des enjeux de pouvoir et de professionnalité pour les travailleurs sociaux : « S’ils migrent depuis les structures spécialisées pour être de plus en plus mobilisés au service de l’Éducation nationale, les acteurs du médico-social se retrouvent au milieu d’interventions concurrentielles, insiste la chercheuse de l’Insei (Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation inclusive). Si l’on continue à imposer cette collaboration, le risque est que chaque secteur tire la couverture à soi au lieu de se rendre complémentaire. »

Julie Chesnay ne perd pas espoir pour autant : elle voit bien dans cette coopération l’une des clés de l’école inclusive. À condition que les moyens suivent, notamment en matière de formation croisée pour créer une culture professionnelle partagée. Retour au collège Maurice-Genevoix de Couzeix, où travailleurs sociaux et enseignants travaillent en harmonie. Après une première phase d’observation pour évaluer les besoins des élèves, s’ensuit un travail individuel avec chacun, pour lui apprendre notamment à identifier et à gérer ses émotions. Dans certains cas, il est nécessaire de retirer des heures de cours collectifs, le but restant toujours que l’élève puisse in fine retourner en classe et apprendre aux côtés de ses camarades. « Il est primordial que le comportement soit régulé pour que l’enfant soit disponible aux apprentissages », explique Mélina Labarde, l’une des trois éducatrices spécialisées en poste.

Enseignement explicite

L’autorégulation fonctionne autour d’un outil-phare : le « contrat de comportement ». Individualisé et toujours atteignable par l’élève, il lui permet de se fixer des objectifs et maintient sa motivation en récompensant les réussites à l’aide de « renforçateurs ». Par exemple, un engagement peut être de regarder le tableau quinze fois deux minutes pendant l’heure de cours. Et s’il est tenu, l’élève pourra bénéficier de cinq minutes de jeu.

Au-delà du travail individuel mené avec les enfants accompagnés, le collège se transforme petit à petit pour devenir plus accessible dans sa globalité, avec l’idée que les aménagements pensés en premier lieu pour les enfants ayant des troubles du neurodéveloppement puissent bénéficier à tous. Il y a le matériel spécifique, comme les fidgets ou les tabourets oscillants qui permettent aux enfants d’être en mouvement, mais aussi des changements dans les pratiques pédagogiques. Les enseignants qui le souhaitent adoptent petit à petit la conception universelle des apprentissages. Dans cette lignée, Lisiane Laramée a mis en place l’enseignement explicite, qui consiste à « mettre un haut-parleur sur sa pensée » pour formaliser les cheminements d’un raisonnement. Cette professeure, qui répartit son temps entre le programme de SVT et l’autorégulation, donne un exemple : « Plutôt que de montrer un texte et de dire “c’en est un”, on explique qu’un ensemble de mots constituent une phrase et qu’un ensemble de phrases forment un texte. » Particulièrement bénéfique aux élèves autistes, cette approche peut en réalité aider toute une classe et ne dessert personne. Si tant est que les enseignants y arrivent avec des programmes et des classes surchargées.

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La mise en place de l’autorégulation et son appropriation progressive par l’équipe éducative a été rendue possible par les liens étroits qui unissent depuis plus de vingt ans le collège de Couzeix à l’institut d’éducation motrice de l’APF France handicap installé juste en face, et dont dépendent les professionnelles du médico-social. La majorité des profs est aussi prête à déplacer son regard et faire évoluer son approche, dans cet établissement où un élève sur sept bénéficie d’une notification MDPH. Et en salle du personnel, le bouche-à-oreille contribue à convaincre certains enseignants plus frileux. Lisiane Laramée l’assure : « La présence du médico-social apaise, parce qu’on sait qu’une solution va pouvoir être trouvée quand on rencontre une difficulté. »

 


La scolarisation des enfants avec une déficience intellectuelle

« Notre position, c’est qu’il n’y a pas à avoir un niveau scolaire pour entrer à l’école », explique Emmanuel Guichardaz, responsable scolarisation au sein de Trisomie 21 France. La fédération constate trop souvent que l’entrée en 6e ou en dispositif Ulis de certains enfants avec des troubles du développement intellectuel est refusée parce qu’ils n’auraient pas le niveau. « Ce n’est pas possible ! Il faut prendre l’élève là où il est et qu’il apprenne, même si les apprentissages seront différenciés », continue Emmanuel Guichardaz. Parce que « l’enjeu autour de l’école inclusive est aussi que tous les enfants de la République côtoient tous les enfants de la République ». Début décembre, Trisomie 21 France organise à Paris une conférence sur la scolarisation des enfants avec trouble du développement intellectuel (1).

(1) Mercredi 3 décembre, de 9 h à 17 h, au Cnam - 292, rue Saint-Martin, 75003 Paris.

>>> Retrouvez ici l'intégralité de l'enquête :

Ecole inclusive : La Chrysalide, alternative aux carences de la classe ordinaire (2/4)

Ecole inclusive: " On ne vit pas de ce travail, on survit ", estiment les AESH (3/4)

Ecole inclusive: "C’est désormais la souplesse et l’individualisation qui priment" (Hugo Dupont) (4/4)

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