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Facilitateur communautaire : un nouveau métier expérimenté dans le Grand Ouest

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Crédit photo Armandine Penna
A Nantes et à Angers, Médecins du monde expérimente un dispositif de santé communautaire au sein de squats, de bidonvilles et d’hébergements d’urgence. Le programme « 4i », pour lieux « instables, informels, indignes et insalubres », entend mobiliser les personnes dans une dynamique collective.

C’est devenu un rituel. Chaque mardi, elle arpente les couloirs de cet hôtel de Sainte-Luce-sur-Loire, en banlieue nantaise. Un ancien « First Class », dont le nom aux faux airs de prestige ne masque ni les murs décatis, ni l’atmosphère sans âme de ces lieux reconvertis en hébergement temporaire. Accompagnée de Morgane Le Texier, bénévole, Nolwenn David, facilitatrice communautaire, frappe aux portes d’une quarantaine de chambres : celles occupées par des familles relevant du 115 ; puis celles des hommes isolés, que France Horizon accompagne dans le cadre d’un centre d’accueil et d’examen des situations (CAES). Derrière les portes, beaucoup d’absences, quelques visages connus d’occupants dont on s’enquiert de la santé, et ceux de nombreux autres récemment arrivés. Le plus souvent, l’anglais est de rigueur. « Je travaille pour Médecins du monde (MDM). Vous connaissez ce logo ? interroge la travailleuse sociale en montrant du doigt son badge floqué d’une colombe en forme de croix. Si vous voulez partager un café, un thé, discuter de questions de santé, faire des jeux, on est juste en bas. »

Après avoir participé au programme national de médiation en santé dans les bidonvilles, notamment en agglomération nantaise (voir ASH n° 3007 du 21-04-17, p. 26), Médecins du monde expérimente depuis l’an dernier un dispositif de santé communautaire au sein de squats, d’hébergements d’urgence ou de bidonvilles. Un ensemble de lieux précaires qu’elle désigne sous le vocable « 4i », pour « informels, instables, indignes et insalubres ». L’ambition reste la même : améliorer la santé des personnes – au sens large d’un « état de bien-être physique, mental et social », comme la définit l’Organisation mondiale de la santé. L’approche, elle, diffère, privilégiant non plus un accompagnement individuel mais des formes de mobilisation collective et de participation. Elle postule que la santé est liée à un ensemble de facteurs (sociaux, environnementaux, culturels, etc.) qui ne concernent pas seulement un individu mais toute une population. Et que l’implication des personnes dans une dynamique de groupe, le fait de faire « avec eux » et non pas seulement « pour eux », facilite le changement.

Santé physique, mentale et sexuelle

Pour mieux identifier les besoins en santé dans les habitats « 4i », Médecins du monde a réalisé en 2020 un diagnostic à Nantes et à Angers auprès de partenaires et d’habitants. « A partir des discussions, animées autour de la question “Que signifie pour vous être en bonne santé ?”, des problématiques communes sont ressorties. Toutes les personnes, en bidonvilles, ont par exemple signalé l’impossibilité de se laver, le fait de ne pas sentir bon, de subir des discriminations au travail, à l’école… », détaille Sylvaine Devriendt, coordinatrice du programme. Il existe mille raisons d’aller mal : un hébergement et une situation administrative précaires ; un certain isolement ; la méconnaissance du système de soins français, ainsi que des lieux où manger, faire du sport ou se ressourcer. Aux angoisses du parcours migratoire se mêlent les incertitudes du lendemain. Un ensemble de conditions qui mettent en jeu la santé physique, mentale ou encore sexuelle. Et qui révèlent souvent un besoin de sociabilité, dans un quotidien dépourvu de relief. « A l’hôtel, personne ne fait le lien entre les occupants, qui n’osent pas forcément se parler », confirme Sylvaine Devriendt.

Au pied du « First Class », Bakri et Rafika, bientôt rejoints par Dajanthan et Marjana, ont répondu à l’invitation de Médecins du monde. Quatre nationalités distinctes : soudanaise, algérienne, sri-lankaise et albanaise. Malgré le vécu et la culture propres à chacun, le groupe forme une communauté liée a minima par le même toit. Mais aussi par un même sentiment d’isolement. « Ce que nous offrons, c’est d’abord une présence sur un temps d’une heure et demie et une fiabilité, souligne Nolwenn David. On va au rythme de la personne. » Pour ouvrir la discussion, la facilitatrice communautaire et la bénévole testent un jeu habituellement utilisé auprès des mineurs non accompagnés. Sur la table, un plateau, des pions, un dé et des cartes sur lesquelles sont inscrites des questions, traduites en anglais. « Si tu vois quelqu’un seul à l’hôtel, tu fais quoi ? », introduit la professionnelle. « J’essaie de discuter et, si la personne ne parle pas français, de traduire », lui répond Rafika, avant de poursuivre, dans un sourire : « Je parle aux messieurs aussi, mais entre femmes, on se comprend mieux, ce n’est pas pareil. »

Fichu bleu sur la tête, veste en jean, cette mère de famille aux yeux rieurs paraît la plus à l’aise au sein du groupe. Elle maîtrise le français, se fait l’interprète en arabe de son camarade de jeu Bakri. Arrivée en France en 2021 avec son mari et ses trois enfants, dont le dernier, Adam, qui l’accompagne en poussette, elle fréquente régulièrement les permanences de Médecins du monde. Venir ici jouer et discuter, c’est d’abord, pour elle, quitter la « chambre triste » de l’hôtel. Ce faisant, elle a participé à l’élaboration d’outils concrets, comme cette cartographie qui recense des lieux ressources pour l’aide alimentaire, les cours de français, les soins… « Notre objectif est d’offrir un espace de discussion, de créer de l’échange et de l’entraide, et ainsi de renforcer les capacités psychosociales des personnes, explique Nolwenn David. Au fur et à mesure du travail sur la cartographie, par exemple, Rafika a changé sa posture, se présentant comme une experte des associations. Elle n’a pas forcément appris des choses sur la santé, mais elle a été valorisée, sa parole a compté et elle a ainsi renforcé ses capacités d’agir. Au point de tenir un rôle aujourd’hui dans cet hôtel : quand une personne est seule, elle va la voir. »

Partage d’infos et de bons plans

A la table, les questions et les tests se succèdent : « Quand tu ne vas pas bien, tu préfères rester seule ou accompagnée ? », « Comment se salue-t-on dans ton pays ? », « Quel est ton plat préféré ? », « Ta chanson préférée ? », « Donne le prénom des participants et avance d’autant de cases que de prénoms corrects », etc. Les situations sont autant d’occasions de faire connaissance, de mettre en avant sa culture, de partager des informations ou des bons plans : « Vous connaissez MaMarMeet[1] ?, rebondit Nolwenn David. Tous les jeudis, l’équipe est présente à l’hôtel avec un ensemble d’ustensiles pour cuisiner. Vous devez juste amener la nourriture. » Appuis précieux, les smartphones permettent de se représenter l’idli sambar, cette recette de gâteau de l’Inde du Sud que Dajanthan évoque, ou d’entendre la chanson de Rihanna que partage Marjana. Surtout, ils sont un outil pour traduire lorsque la diversité des origines empêche de mobiliser un interprète.

Depuis avril 2021, Médecins du monde est intervenu sur deux squats de Nantes et d’Angers, dans un hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile, au sein d’un accueil de jour des Restos du cœur ou encore dans un bidonville de l’agglomération nantaise, à Orvault. Pendant un mois, l’association a travaillé avec les familles pour que celles-ci demandent au maire l’installation de douches et de toilettes. « Nous vous invitons à venir nous rencontrer sur le terrain pour parler de tout ça », écrivaient-elles dans un courrier, y indiquant être prêtes à participer aux frais, aux travaux et à l’entretien. La lettre était assortie d’une vingtaine de témoignages : « Certaines femmes ont des infections urinaires ou des mycoses à force de se retenir », décrivait l’un d’eux. « C’est très difficile d’entretenir les enfants quand il fait froid, quand ils sont malades, qu’ils ont de la fièvre », expliquait un autre. Ou encore : « Ça nous fait peur que les enfants aillent dans les bois à côté du terrain pour faire leurs besoins car il y a des sangliers qui pourraient les attaquer. » Sylvaine Devriendt constate : « En règle générale, les habitants sont très peu associés à la construction de projets qui les concernent. Et ils sont rarement en position d’être des interlocuteurs pour les pouvoirs publics. » Six mois après avoir adressé leur courrier, les habitants attendent toujours la visite du maire. Mais déjà ont-ils expérimenté leur capacité à agir collectivement.

A travers ces ateliers, l’association a pu aborder des points tels que les vaccins (lesquels faire selon les âges, et où ?), les stéréotypes de genre ou la vie affective. Une thématique qu’apprécient notamment les jeunes hommes isolés désireux de rencontrer un ou une partenaire. Quant à la santé sexuelle, un des attendus du programme, elle a fait l’objet de différentes rencontres, particulièrement sur le sujet des infections sexuellement transmissibles. « Tout dépend de l’intérêt des personnes, mais on ne souhaite pas s’enfermer là-dedans, nuance Nolwenn David. Vu notre démarche, il faut souvent laisser la place à d’autres questions avant d’y arriver. L’étape indispensable est d’abord de créer un lien de confiance avec les personnes. Sans quoi ce type d’ateliers n’a pas de sens. »

L’expérimentation du projet est censée s’achever en 2026. Avec l’objectif, comme Médecins du monde en a l’habitude, de transférer à terme le programme à d’autres associations. Et, pour cela, de sensibiliser à la santé communautaire. « Des maisons de santé pluridisciplinaires travaillent ainsi, l’éducation populaire y a recours, et l’idée de faire avec les personnes est inscrite dans les textes réglementaires, explique Sylvaine Devriendt. Il faut désormais expliciter l’intérêt de ces postes de facilitateur communautaire et inciter à ce qu’ils soient reconnus. » L’Institut Renaudot, à Paris, doit ainsi former les agents de l’agence régionale de santé (ARS) pour les aider à mieux en saisir la portée, dans le cadre de ses appels à projets.

L’évaluation sera une des clés de la réussite du programme « 4i ». « Quand je sais que les personnes vont quitter les lieux, je leur demande d’écrire sur leur expérience, souligne Nolwenn David. Mais il faudra trouver des méthodes d’évaluation autres, pour que les personnes se sentent libres d’exprimer leur ressenti. » A cette fin, elles pourraient être amenées à participer à l’élaboration des critères d’évaluation du programme. Faire avec, toujours.

Une recherche sur les femmes enceintes

Dans le cadre du programme « 4i », Giulio Borghi, interne au CHU de Nantes et bénévole à Médecins du monde, a publié un rapport intitulé « La perception de l’impact des habitats 4i sur la santé des femmes enceintes et en post-partum ». Les personnes interrogées évoquent l’angoisse liée au logement, à la situation administrative, à l’isolement social. La santé mentale apparaît comme la dimension la plus impactée par le fait de vivre dans ce type de lieux. Vient ensuite l’insécurité alimentaire, liée aux difficultés financières, à l’absence de cuisine et à la distribution de nourriture inadaptée. Et, enfin, la souffrance, la fatigue physique et les complications au cours de la grossesse, reliées aux conditions de vie (absence d’accès à l’eau, froid, partage de chambre, etc.). A partir de ces résultats, l’équipe de recherche a élaboré des pistes d’action : augmenter le nombre de places disponibles dans les dispositifs d’hébergement proposant un accompagnement d’insertion sociale ; développer un système d’aide alimentaire respectant les besoins de santé et les habitudes nutritionnelles ; favoriser l’intégration sociale par la promotion d’activités en groupe ; et, enfin, faciliter l’accès au système de soins grâce à un accompagnement pluridisciplinaire.

Notes

(1) Dispositif de cuisine mobile mis en œuvre à Nantes par l’association Saint-Benoît-Labre.

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