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L’éduc qui n’hésite pas à "passer par la fenêtre"

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« Si je ne trouve pas d’issue, ça me frustre beaucoup, explique l'éducateur de rue marseillais. Alors je redouble d’efforts, et je m’entoure d’un large réseau de personnes aux compétences diverses. » 

Crédit photo Edouard Hannoteaux
[PORTRAIT] A Marseille, Olivier Luciani intervient auprès des jeunes en errance autour de la gare Saint-Charles. Il travaille sur « l’aller vers », pour tendre la main à celles et ceux qui ne se rendent pas dans des guichets pour demander de l’aide.  

« Vu le physique que j’ai, les jeunes me prennent souvent pour un policier en civil, pas pour un éducateur », lance Olivier Luciani, pantalon et haut noirs, baskets aux pieds et crâne rasé. « Alors, moi, je joue dessus, je fais des blagues, ça détend l’atmosphère », ajoute-t-il. Le travailleur social de 45 ans nous accueille dans les locaux de l’Addap 13, l’association départementale pour le développement des actions de prévention des Bouches-du-Rhône, dans le centre-ville marseillais. Il y travaille depuis 2008. « Je suis arrivé ici en contrat pro, j’avais 28 ans », précise-t-il. Avant, il a notamment travaillé en tant qu’assistant d’éducation en collège, ou encore en tant qu’éducateur sportif. A l’Addap, il passe par différentes missions d’éducateur spécialisé avant de devenir coordinateur des « maraudes et “aller vers” », sur le secteur de la gare Saint-Charles, à Marseille.  

« Il parle beaucoup » 

Concrètement, en quoi cela consiste ? Avec son équipe, ils maraudent de jour comme de nuit à l’intérieur et autour de la gare. Ils vont au contact des jeunes âgés de 11 à 25 ans en errance dans ce secteur et travaillent avec d’autres structures qui accompagnent les publics en situation d’addiction ou de prostitution. « L’objectif est de faire émerger des demandes d’accompagnement global de la part de personnes qui ne sollicitent pas d’aide. Ce sont des jeunes qui n’ont plus confiance en l’adulte ou l’éduc. Ils ne vont pas venir vers nous. Et moi, c’est le public avec lequel je préfère travailler », souligne le quadragénaire.  

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« Vous allez voir, vous allez passer tout l’après-midi ici. Il parle beaucoup ! », sourit son collègue, installé derrière son bureau. Une remarque appuyée par trois jeunes hommes accompagnés par l’association, présents ce jour-là. Olivier Luciani fait honneur à sa réputation. Sourire aux lèvres et accent chantant, il déroule : « Ce que j’aime dans mon travail, c’est les échanges, la rencontre… » Et des rencontres, il en provoque au quotidien. Pour réussir à approcher les quelque 400 jeunes qu’il suit annuellement et créer un lien de confiance avec eux, l’éducateur spécialisé use de différentes stratégies. « Par exemple, j’utilise peu le bureau. La meilleure astuce pour engager le dialogue, c’est la voiture. Ça casse le côté formel, c’est en mouvement et le jeune n’a pas besoin d’être face à toi… »  

Ses maîtres mots ? L’anticipation et la capacité à s’adapter rapidement à la situation. « J’adore le fait que, quand la porte est fermée, on passe par la fenêtre. On n’abandonne pas. Il n’y a pas de dernière chance, il y a juste le choix du bon ou du mauvais moment. » Celui qui se plaît à souligner qu’il est « la troisième génération native du quartier d’Endoume, après l’arrivée du grand-père de Corse », commence ses journées par « se balader en tendant l’oreille ».

Il part de ce quartier en bord de mer dans le 7e arrondissement marseillais vers le centre-ville, pour dessiner une sorte de cartographie mentale des enjeux du jour. « Je prends la température. Comme ça, avant d’aller à la gare, j’ai déjà une idée. Et je sais quelles ressources mobiliser. Cela permet d’être réactif. » Il termine à peine sa phrase qu’il est interrompu par un appel urgent. Un collègue lui demande de l’aide. Un jeune engagé dans un parcours d’insertion va perdre son hébergement ce soir à la suite d’une bagarre. Olivier Luciani réagit du tac au tac. Il sait déjà à quelle porte frapper pour lui éviter le retour à la rue. « Ça, c’est mon quotidien. Il faut toujours avoir deux coups d’avance, être dans les interstices pour pouvoir faire le lien et rebondir vite. »  

Un travail en réseau 

L’éducateur ne se limite pas aux compétences que lui offre sa spécialité. Il aime travailler en réseau et croiser les disciplines. « Je noue plein de partenariats dans le paysage marseillais et au-delà. C’est très important pour devenir une personne ressource. » Les jeunes, comme les collègues, savent qu’ils peuvent le solliciter en cas de besoin. Il aura ­toujours une solution. Ou, à minima, un conseil. « Je n’aime pas renoncer. Si je ne trouve pas ­d’issue, ça me frustre beaucoup. Alors je redouble d’efforts, et je m’entoure d’un large réseau de personnes aux compétences diverses. »  

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« Il est assez vif et a une facilité pour établir le contact », observe Yassine Berkouk, son collègue, avec qui il intervient dans la rue depuis presque quatre ans. Celui qui a été formé par Olivier Luciani avant de devenir son bras droit sur le terrain n’hésite pas à louer les « qualités humaines » de son collègue. « C’était mon tuteur de stage quand je suis arrivé à l’Addap. Il m’a transmis les bases de ce métier et m’a appris que losque ce n’est pas le moment, on décale ! »  

Connaître ses limites, savoir s’adapter au terrain et aux besoins des jeunes, être sympathique tout en restant sérieux… C’est avec ces mots que le décrit Geoffrey Ciampi. Aujourd’hui âgé de 32 ans, ce dernier rencontre Olivier Luciani au début de sa vingtaine, « une époque où j’enchaînais les conneries », se remémore-t-il. Dix ans plus tard, il le cite parmi les trois éducateurs qui ont marqué son parcours et contribué en grande partie à ce qu’il est devenu aujourd’hui. « C’est pas pour l’encenser ou lui passer la pommade... mais c’est un très bon éducateur. J’ai travaillé avec lui environ quatre bonnes années. C’est un peu comme un deuxième papa, un papa de rue », résume Geoffrey Ciampi.  

Un « grand frère » 

Le trentenaire compare son ancien éducateur à la vedette de l’émission de téléréalité Pascal, le grand frère. « Il est comme lui : il sait être ferme quand il le faut. Il te montre la vraie vie. Et le travail que tu dois faire pour réussir. Il te pousse à te lever, te bouger. Et il sait aussi mettre en place des moments de détente et de générosité. » Hasard de la vie, Geoffrey Ciampi a découvert récemment qu’Olivier Luciani et lui sont désormais voisins. « Je viens de l’inviter à venir manger chez moi. Maintenant, il n’y a plus la relation d’éducateur, on peut donc dire que c’est presque une relation amicale, tout en restant mon ancien éduc », s’amuse-t-il.  

Pour Olivier Luciani, nouer des liens avec les jeunes qu’il accompagne est primordial. « Les personnes suivies ne sont pas des numéros. Il faut une vraie relation humaine », souligne-t-il. D’autant plus que les profils qu’il rencontre sont, pour beaucoup, très fragiles. Il est difficile de les mettre en confiance. « Alors une fois que tu es validé par l’un, il devient ton ambassadeur et te permet d’accéder à d’autres qui sont moins visibles. » Il se souvient de sa rencontre avec celui qu’il surnomme le « baron de la gare », un jeune homme respecté et craint dans le secteur. L’éducateur de rue a mis du temps avant de réussir à établir un contact avec lui. « Je me contentais de traîner autour. Il me voyait mais ne me parlait pas. »

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Un jour, le fameux « baron » se retrouve en difficulté et risque de retourner en prison. Il sollicite l’aide de l’éducateur, qui se montre très réactif et lui évite ce mauvais scénario. « Depuis, il m’a permis de connaître beaucoup d’autres jeunes. Cela a été ma porte d’entrée. »  

Issu du monde associatif 

Son aisance sur le terrain, Olivier Luciani dit la tenir de ses parents. Fils d’un enseignant et éducateur sportif dans le football et d’une secrétaire de direction dans une banque, il est vite plongé dans le monde associatif et sportif dans lequel baigne déjà sa famille. « Sans eux, je n’aurais pas été l’homme que je suis aujourd’hui. Ils m’ont toujours inculqué les notions d’échange, de partage, de rencontre et de non-jugement. »  

A partir de ses 10 ans, l’éducateur évolue dans le milieu footballistique. Au fil des années, il passe de joueur à entraîneur. Et participe même à la création d’une section football dans une école marseillaise. Cette passion ne le quitte pas, au point de l’importer dans son travail aujourd’hui. Avec un confrère, ils organisent en 2019 un tournoi de football qu’ils pensent comme un moyen de rencontre entre différents établissements du social de Marseille. Parmi les profils des joueurs, on compte des jeunes en Mecs, dans des CHRS ou encore placés sous ARSE (1)… « C’est important de toujours créer de la mixité », estime-t-il.  

Malgré les aspects humains et les espaces d’amusement qu’il parvient à faire naître, Olivier Luciani admet que cela reste un travail éprouvant : « On débriefe systématiquement avec l’équipe. Cela permet de relâcher la pression, de ne pas craquer. Et quand je rentre chez moi, j’ai besoin d’une heure de calme pour redescendre. » Le quadragénaire décrit Marseille comme une ville à la fois très violente et très chaleureuse. Un aspect fortement visible à la gare Saint-Charles, où il fait parfois face à des situations particulièrement difficiles. « Ce qui m’affecte le plus, ce sont certains mineurs qui fuient des situations atroces, où il faut monter des mises à l’abri de la mort qui tue… Après de telles missions intenses, on a besoin de sas de décompression. » Au-delà des difficultés, l’éducateur dit n’avoir jamais pensé à changer de métier. « J’aime ce que je fais. Et quand on arrive à aider les gens et à avoir leur retour, le travail prend tout son sens. » 

(1) Mecs : maisons d’enfants à caractère social ; CHRS : centres d’hébergement et de réinsertion sociale ; ARSE : assignation à résidence avec surveillance électronique. 

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