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Pour ou contre la désinstitutionnalisation : deux experts donnent leur avis

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[C'EST EN DEBAT] Amorcé dans le champ de la santé mentale et de la psychiatrie, la désinstitutionnalisation infuse depuis de nombreuses années le secteur du médico-social, dont le handicap. Si rares sont ceux qui songent à supprimer totalement les structures dédiées aux personnes ayant des besoins spécifiques, un vaste mouvement d’ouverture au milieu ordinaire et à des solutions hors les murs divise les professionnels. Deux visions de l’accompagnement, au nom de l’inclusion.

Une nécessaire transformation des établissements et des services

Les établissements doivent s’ouvrir pour aller vers des multimodalités d’accompagnement. Nous souhaitons développer un modèle de plateformes coordonnant un panel de solutions : des accueils de jour, de l’hébergement, qui reste indispensable dans certaines situations, mais aussi des équipes mobiles intervenant à domicile ou dans d’autres lieux comme les écoles, de l’accueil temporaire… Lorsque la Conférence nationale du handicap parle de 50 000 nouvelles solutions, c’est de ce multipartenariat dont il s’agit.

Ce modèle est difficile à construire, parce qu’il s’agit souvent de situations complexes. Mais nous devons admettre qu’une bonne solution est souvent une somme de solutions accolées. Ce n’est pas la fin des institutions, sinon la nécessaire transformation des établissements et des services, qui s’inscrit dans une évolution plus globale de toute la société. Les structures ne pourront vraiment s’ouvrir que si l’école ou les entreprises deviennent capables d’accueillir elles aussi les personnes en situation de handicap.

Il faut des nouveaux métiers…

Ce changement de paradigme ne pourra pas se faire du jour au lendemain, ni sur la base d’un décret ou d’une loi. Il faut changer peu à peu les pratiques, accompagner les professionnels comme les usagers et leurs familles pour élargir le champ des possibles. Cela va de pair avec la création de nouveaux métiers tels que le coordonnateur de parcours ou les APPV (assistants de parcours et de projets de vie).

Même si l’on ne connaît pas encore le périmètre exact de leurs fonctions, ces professionnels seront là en soutien, pour que cette nouvelle organisation ne repose pas uniquement sur les épaules des aidants ou de la personne accompagnée elle-même. Nous allons vers un travail davantage transversal avec les partenaires.

… et des nouveaux comportements

Si cette logique existe déjà dans les référentiels de compétences des éducateurs spécialisées et des chefs de service, elle va s’accentuer. Les travailleurs sociaux pourront être rattachés à un organisme gestionnaire, mais ils se placeront davantage en appui du projet personnalisé et ne chercheront plus uniquement les solutions à l’intérieur de l’établissement. Contrairement à l’Italie, où l’on a fermé d’un coup tous les établissements dans les années 1970, la France s’achemine vers une formule plus souple. Nous incitons à réinterroger régulièrement le projet de vie de chacun. Rien ne doit être figé.

Laurence Rambour, responsable médico-sociale du groupe Ugecam, qui regroupe 242 établissements et services sanitaires et médico-sociaux

 

Opposer droit commun et droits spécifiques est une aberration

A l’origine, ce qu’on appelle « institutionnalisation » ramène au fait de créer des droits (à la scolarisation ou à l’emploi). Chaque fois qu’on a ouvert des structures spécialisées, c’était pour donner un droit supplémentaire. Au fil du temps, celles-ci ont évolué. Les Esat ont développé leurs activités hors les murs, les entreprises adaptées aussi… Tout ce qui va dans le sens d’une pluralité de solutions est positif.

La responsabilité collective recule

Mais il faut créer un continuum et non pas supprimer les institutions, ce qui reviendrait à enlever des droits. En Angleterre, par exemple, où l’on a décidé il y a quelques années de fermer les ateliers pour travailleurs handicapés au nom de la désinstitutionnalisation, croyez-vous qu’ils aient été recrutés dans le travail ordinaire ? Certainement pas. C’est pourquoi, si je suis pour une amélioration des établissements, pour une certaine souplesse, il faut que les institutions y jouent un rôle.

Opposer droit commun et droits spécifiques est une aberration. On ne favorisera l’inclusion qu’en tenant compte de la diversité des besoins. Or on ne parle jamais des problématiques personnelles des gens – autisme, handicaps psychiques, angoisses, schizophrénie – et les publics sont systématiquement mis à l’écart des solutions. Je suis effaré lorsque je vois autant de femmes dont les enfants ont des handicaps rares et qui ont arrêté de travailler et attendent depuis plus de cinq ans une place en externat médico-pédagogique (EMP). J’ai l’impression d’un grand retour en arrière, où l’on passe un certain nombre de tâches aux familles moyennant des budgets personnalisés. Il y a un recul de la responsabilité collective.

L’escroquerie du « zéro sans solution »

La bonne voie est de concilier la personnalisation de l’accompagnement avec des réponses sociabilisantes. La politique du « zéro sans solution » est une escroquerie incroyable : que l’on vous prenne en charge trois jours, trois heures, une semaine par mois ou par semestre, on considère que vous avez une solution. Des gens de 60 ans sont obligés de vivre avec leur vieille mère de 80 ou 90 ans qui aurait besoin d’un foyer médicalisé. Il faut arrêter de mentir et de dire qu’en étant maintenue à domicile, elle bénéficie de l’inclusion. Pour moi, cette notion n’est valable qu’en termes de réel accès aux droits, quelle que soit la forme de l’accompagnement. Les plus dogmatiques ne veulent pas reconnaître la notion de « besoins spécifiques ».

Au sein des institutions, on demande par ailleurs de plus en plus aux professionnels d’effectuer du reporting, d’être sur leur ordinateur pour expliquer ce qu’ils ont fait ou ce qu’ils n’ont pas eu le temps de faire. Avec la réforme Serafin-PH, on est en train de codifier leur travail avec des recommandations de bonnes pratiques professionnelles unilatérales et desséchantes. Ce n’est pas le métier qu’ils ont choisi.

Gérard Zribi, fondateur d'Andicat, président d'Arfi-formation

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