Recevoir la newsletter

Prostitution : Médecins du monde tire un sombre bilan de la loi de 2016

Article réservé aux abonnés

Avant l’adoption de la loi de lutte contre le système prostitutionnel, l’association avertissait déjà que la pénalisation des clients risquait de dégrader les conditions de vie des personnes se prostituant. Un an et demi après, elle assure que ses craintes se confirment sur le terrain.

A trois jours de la journée mondiale de lutte contre les violences faites aux travailleuses et travailleurs du sexe, qui a lieu chaque année le 17 décembre, Médecins du monde a consacré une conférence de presse à la prostitution. Elle a publié une note sur la santé et les droits des personnes concernées, rédigée avec des représentants de ces dernières. Médecins du monde appelle de nouveau à "décriminaliser  le  travail  du  sexe",  ce  qui  consiste  à  ne  le considérer "ni comme une infraction (pénale ou autre) ni comme une forme de déviance". "Cette politique est la seule qui permette de réduire les risques, même si l’on sait que l’exploitation ne disparaîtra pas", a plaidé Sabrina Sanchez, du Comité international pour les droits des travailleurs du sexe en Europe (ICRSE), invitée à la conférence de presse.

Médecins du monde milite plus que  jamais contre la pénalisation des clients introduite par la loi du 13 avril 2016 de la lutte contre le système prostitutionnelqui a par ailleurs supprimé le délit de racolage. Plusieurs représentants d’associations décrivent, depuis l’entrée en vigueur de la loi, une montée des violences (viols, agressions physiques et psychologiques), subies par les personnes se prostituant. Dans la rue, "les négociations avec les clients sont devenues plus difficiles" car ils n’ont "pas le temps" et craignent d’être repérés par la police. Ils demandent "des lieux pas éclairés, isolés", observe Gabriella, travailleuse paire à l’association Paloma, qui vient en aide aux personnes prostituées à Nantes. De plus en plus souvent, des intermédiaires leur proposent de travailler dans un lieu fermé (bar, restaurant, appartement…).

Depuis un an, "les associations ont perdu le lien avec des travailleuses du sexe : certaines s’en vont en région, ou bien sur internet", explique Tim Leicester, coordinateur du programme Lotus Bus de Médecins du Monde, qui s’adresse aux prostituées chinoises à Paris. Avec la raréfaction des clients dans la rue, "des  femmes se retrouvent sans logement, ont des difficultés d’accès à la nourriture, et on observe une multiplication des rapports non protégés", déplore Hélène Le Bail, responsable de mission du Lotus Bus. Pour elle, l’impact de la loi s’avère pire que prévu sur le terrain.

Difficile cependant de quantifier les violences subies par les personnes se prostituant, car elles sont en général réticentes à porter plainte. Les associations réunissent des données d’après les témoignages qu’elles recueillent. Une enquête sur l’impact de la loi, portée par plusieurs organisations, dont Médecins du monde, devrait être publiée vers la fin du premier trimestre 2018, a indiqué François Berdougo, référent “réduction des risques” au conseil d’administration de Médecins du monde France. Quand cette étude sera publiée, l’association compte bien "revenir devant les parlementaires" pour que la réforme soit réexaminée, a assuré sa présidente, Françoise Sivignon.

Un parcours de sortie peu accessible

Médecins du monde reste très critique sur une autre mesure de la loi : la création du "parcours de sortie de la prostitution". Mi-novembre, seule une trentaine de femmes en France avaient demandé à en bénéficier, alors que le budget avait été conçu pour en accompagner 1 000 en 2017, a précisé récemment le gouvernement. "Ce parcours a été une énorme déception pour les travailleuses du sexe avec lesquelles nous sommes en contact, car les conditions posées le rendent inaccessible", regrette Tim Leicester. Pour pouvoir solliciter l’autorisation provisoire de séjour prévue par la loi, la personne doit avoir déjà cessé la prostitution. "Mais comment arrêter l’activité qui te permet de payer ton loyer ?", poursuit le responsable associatif.

Une "aide financière à l’insertion sociale et professionnelle" de 330 euros par mois est bien prévue pour la personne entrée dans le parcours… mais elle ne peut pas être versée avant qu’elle dispose d’un titre de séjour valide. Enfin, les conditions d’entrée dans le dispositif varient d’un département à l’autre : certains préfets demandent une maîtrise de la langue française qui n’est pourtant pas obligatoire dans les textes, ont pointé plusieurs orateurs.

Médecins du monde a choisi, après réflexion, de ne pas demander à faire partie des associations agréées pour la mise en œuvre du parcours, a rapporté François Berdougo. L’une des raisons est que les associations, pour postuler, doivent s’engager, par délibération de leur assemblée générale, à "mettre en œuvre une politique de prise en charge globale des personnes en situation de prostitution, des victimes de proxénétisme et de traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle dont la finalité est la sortie de la prostitution", dispose le décret qui encadre le dispositif. Médecins du monde, qui ne fait pas de la sortie de la prostitution une fin en soi, a refusé de s’"aligner politiquement" sur la loi de 2016.

En revanche, une disposition de ce texte trouve grâce aux yeux de Médecins du monde et ses partenaires : l’aggravation des sanctions en cas de violences commises sur les personnes qui se prostituent. "Nous sommes ravis" de cette mesure, même si elle a mis "quelques mois" avant d’être bien connue des magistrats et mise en œuvre, a commenté  Sarah-Marie Maffesoli, responsable du programme interassociatif "Tous en marche contre les violences faites aux travailleuses du sexe".

Société

Métiers et formations

Juridique

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client abonnements@info6tm.com - 01.40.05.23.15