Depuis son inscription dans la loi du 15 août 2014, la justice restaurative est accessible dans l’objectif d’instaurer un dialogue entre tous les protagonistes concernés par une infraction. Victime, auteur, proches ou communauté peuvent se rencontrer le temps d’une séance dans un cadre bien défini afin de restaurer la qualité de la relation et réparer ce qui peut l’être. « Il s’agit d’un travail de prise de conscience de la portée des actes posés, dans le respect de l’autre en tant que sujet. Cela s’inscrit dans une démarche de réconciliation sociale qui a un véritable bénéfice notamment parce qu’il est source d’apaisement pour les victimes », introduit Jean-Luc Viaux, président de la fondation Les Nids, lors de la présentation de la journée consacrée à ce thème le 18 novembre dernier à Rouen.
Si elle fait lentement son chemin dans le monde de la justice en France, où elle est mise en pratique de façon très disparate selon les territoires, la justice restaurative séduit par son approche complémentaire à la justice pénale. « Il n’est pas question de se substituer aux décisions de justice, mais d’offrir l’opportunité aux victimes de prendre une place active en permettant par le dialogue d’aborder les événements entre l’auteur et la victime », détaille Théophile Levesque, assistant coordinateur de l’antenne Nord-Est à l’IFJR (Institut français pour la justice restaurative). A ce titre, la justice restaurative appelle au désintéressement de la condition pénale au profit des personnes. L’attention se focalise non pas sur la transgression de la loi, mais sur les conséquences concrètes de l’acte délictueux, en prenant en compte toutes les répercussions qu’a pu avoir l’infraction sur la vie des victimes et de leur entourage. La réparation inclut ainsi une composante relationnelle, psychique, sociale et symbolique. De son côté, l’auteur est incité à prendre ses responsabilités pour réparer les dommages causés.
Des « facilitateurs » dûment formés
En pratique, chaque mesure restaurative, bien que différente sur la forme, est mise en œuvre par un tiers indépendant, formé à ces pratiques, qui met en lien auteur et victime, sous le contrôle d’un juge ou de l’administration. L’auteur, qui n’est pas nécessairement celui qui a commis les faits sur la victime qu’il rencontre doit nécessairement avoir reconnu, au moins partiellement, les faits commis ou sa participation à la commission des faits. De telles conditions s’appliquent aux majeurs comme aux mineurs. « Pour ces derniers, on demande aussi l’accord parental et on évalue leur capacité de discernement. En outre, nous disposons d’outils spécifiques selon leur élocution, leur manière de vivre les faits pour pouvoir s’adapter à chaque situation », précise Ugo Picard, coordinateur du SRJR (service régional de justice restaurative) à l’Apcars Ile-de-France.
La rencontre, point culminant de la mesure, s’organise avec des « facilitateurs », présents tout au long de la préparation et le jour de la séance restaurative. « Educateurs, travailleurs sociaux, juristes, conseillers pédagogiques… cette mission est accessible à tous les professionnels qui souhaitent s’impliquer dans ce type de démarche. La formation est essentielle pour apprendre à s’adapter aux attentes des personnes concernées. A tout moment, elles peuvent décider de sortir du dispositif, les professionnels doivent en être conscients », prévient Wendy Thuillier, facilitatrice en justice restaurative et responsable technique à l’Arca-Observatoire des violences.
Durant la phase préparatoire, plusieurs rencontres doivent avoir lieu entre le facilitateur et les personnes. Ce afin de tout mettre en place pour que la victime soit à l’aise. « On sait qui va prendre la parole en premier, quels seront les thèmes abordés pendant la rencontre. On explique que chacun arrivera et repartira séparément. Cette préparation est presque aussi essentielle que la rencontre elle-même », assure Ugo Picard. La rencontre achevée, un bilan – cinq ou six semaines plus tard – peut être proposé, signe que la mesure est arrivée à son terme. « En justice restaurative, il y a un point de départ et un point d’arrivée. La personne nous demande d’intervenir à un moment donné dans sa vie. Une fois fait, on ne s’éternise pas », poursuit le coordinateur francilien.
Transposition aux conférences familiales
Au-delà de la justice, les pratiques restauratives inspirent d’autres secteurs, tel que celui de la protection de l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse. Au CEH du Havre, par exemple, Alice Keren et Luc Gastebois, respectivement cheffe de service et éducateur spécialisé au service de milieu ouvert, ont tenté l’expérience en testant la conférence familiale dans le cadre d’un placement chez un tiers de confiance. « Nous avons la conviction que les familles ont la possibilité de résoudre elles-mêmes leurs difficultés si les professionnels leur en donnent les moyens. C’est pourquoi cette méthode, centrée sur la famille et son pouvoir d’agir, peut être efficace dans certains problèmes familiaux », explique l’éducateur havrais. A l’instar des pratiques restauratives, la conférence familiale fait appel à un coordinateur formé, qui mène un travail de préparation en amont de la réunion.
Participent à cette dernière toutes personnes ayant été désigné par le demandeur : membres de la famille et d’éventuels protagonistes extérieurs (médecins, enseignants, personnes de confiance...). L’objectif de la rencontre : se mettre autour d’une table pour élaborer des solutions et établir un plan d’action. « Si cette expérience s’est avérée très positive avec une proposition d’accueil validée à la clé, nous sommes conscients qu’il ne s’agit que d’un embryon de ce qu’il serait possible de mettre en place dans la protection de l’enfance, relativise la directrice de la structure. Une chose est sûre toutefois, on a mis le doigt dans un dispositif qu’on aimerait vraiment développer. »