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Ehpad : « Face au coronavirus, les mesures prises ne nous rassurent pas »

Victoria (prénom d’emprunt) est aide-soignante dans un Ehpad privé associatif du Morbihan. Elle raconte son quotidien et les changements amenés par l’arrivée du coronavirus sur le territoire. Si, pour le moment, aucun résident de sa structure n’est contaminé, elle se montre très inquiète pour la suite.

Depuis les premières déclarations d’Agnès Buzyn en février, comment la situation a-t-elle évoluée 

Dans mon établissement, je n'ai pas trouvé que mes responsables s’alarmaient plus que cela de l'arrivée du coronavirus. Il n'y avait pas non plus de directives de l'ARS [agence régionale de santé]. Les réactions étaient timides de la part des autorités. Alors même que la situation commençait à empirer en Italie, l'ARS a encore attendu deux-trois jours pour nous donner des directives afin de mieux nous organiser. Par exemple, en cas de réduction de personnel, il faut revoir les fiches de postes. La cadre de la structure a aussi reçu comme directive de commander les masques, les gants, les gels… On nous a enfin donné le protocole en cas d'infection de l'un des résidents ou de l'un des membres du personnel.

Concrètement, comment se passe votre journée ?

Je fais des allers-retours entre mon domicile et l'établissement. Je ne suis censée faire comme trajet que « boulot-maison ». Je ne suis pas censée aller faire des courses, me balader. Ce qui nous est demandé, c'est le confinement +++. On nous demande de prendre notre température le matin et le soir. Nous effectuons évidemment tous les gestes-barrières (lavage des mains à répétition, désinfection du matériel et des locaux…). L'ARS a aussi exigé qu'il y ait de moins en moins de passages dans les chambres auprès des résidents. Normalement, sur chaque visite, je suis accompagnée d'une autre aide-soignante ou d'une AMP [aide médico-psychologique]. Désormais, il ne peut entrer qu’une seule personne à la fois dans chaque chambre. Donc on fait un maximum de choses seul : l'aide au lever, la distribution des repas, mettre les bas de contention, installer la personne, apporter les soins si besoin…

On minimise les passages dans la chambre du résident quand il y est. Parce qu’il n’y est pas totalement confiné. En effet, et c’est là une situation contradictoire, les résidents déjeunent dans la salle à manger commune. Une directive que nous ne comprenons pas. Les résidents se regroupent dans l’ascenseur, parfois à sept personnes, pour se rendre à table. Une fois dans la pièce, les mesures de distanciation ne sont pas respectées car il n’y a pas un mètre entre chaque résident. De plus, entre le service, la distribution des médicaments, l’aide au repas, ce sont autant de gestes de proximité qui sont à risques. On est proche d’eux, quoi qu’il arrive. Nous n’avons pas pu changer notre méthode de travail. On s’adapte avec les moyens qu’on a.

Comment les résidents s’adaptent-ils ?

Chaque Ehpad travaille différemment. La plupart ont conservé leur animatrice, ce qui est notre cas. Elle est présente pour avoir une continuité d'activité auprès des résidents. On essaie de préserver leur quotidien, leurs habitudes de vie. Nous avons la chance d'avoir un parc fermé, donc on peut aussi sortir s’aérer quelques instants. Je sais que certaines structures commencent à mettre en place des appels par le biais de Skype, pour que les familles puissent communiquer avec leur parent. Le lien n'est pas complètement coupé. Après, certains résidents ne se rendent pas compte de la situation. Il ne faut pas se leurrer. Beaucoup de résidents sont grabataires et n'ont que peu de mémoire. 

Comment voyez-vous la suite ? Savez-vous que faire si un cas apparaît dans votre structure ?

Si un résident est atteint, la directive est de l'isoler. Nous avons à cet effet une chambre réservée pour le mettre en quarantaine – seulement une chambre… Nous avons aussi tout un protocole envoyé par l'ARS à respecter. A savoir, boucher la bouche d'aération, mettre en place des solutions hydroalcooliques à l'intérieur et à l'extérieur de la chambre, etc. Mais s'il y a plusieurs cas, je ne sais pas comment on va faire, je n’en ai aucune idée. C'est à nous de nous adapter, de faire en sorte de limiter l'expansion.

On a l'impression que le gouvernement a pris des mesures pour éviter que les résidents ne soient contaminés, mais que rien n'est prévu dans le cas où cela arrive. S'il y a un cas, c'est le confinement pour tout le monde. Plus personne ne sort de sa chambre, tout le monde en quarantaine. Mais il n'est pas prévu de placer les résidents à l'hôpital.

Quel est votre sentiment sur la crise actuelle ?

Je suis un peu en colère. Quand j'ai entendu madame Buzyn affirmer au début de la crise qu'il n'y aurait pas d'épidémie en France, je me suis dit qu'elle nous prenait pour des c… ! Moi-même je savais qu'une épidémie était inévitable. Quand on voyait le nombre de cas en Chine et que cela se propageait aux quatre coins du monde, cela semblait logique. Mais c'est un peu le problème de la France : on ne fait pas de prévention, on ne sait pas faire, on l’oublie. C'est dommage. Quand on parle du VIH, on fait de la prévention. Là, cela aurait dû être la même chose. On savait que ce genre de pandémie pouvait arriver.

De manière générale, nous ne sommes pas rassurés par les mesures prises. Il y a un manque de moyens, de matériels. Nous manquons surtout de moyens humains, ce qui ne date malheureusement pas d'aujourd'hui. Avant que le coronavirus arrive, nous avions déjà du mal à recruter. Et les personnes qui le sont ne sont pas du tout formées.

On fait toutes très attention aux gestes-barrières et autres, mais l'inquiétude la plus forte est que l'un de nous amène le virus dans la structure. Et nous pensons qu'à un moment ou à un autre, cela va forcément être le cas. Selon nous, en effet, nous ne sommes pas à 100 % sécurisés. On fait seulement attention. On nous dit que l'intérêt n'est pas d'avoir un masque, mais que c'est de bien se laver les mains…

En tant qu'aides-soignantes, lors de la dernière réunion avec la direction, nous avons demandé s'il était possible de revoir la manière de travailler. On ne voulait plus de coupures dans nos plannings pour éviter de rentrer chez nous. Ça a été refusé. On nous a répondu que ces coupures ne comportaient aucun risque, qu'à partir du moment où l'on faisait bien les gestes-barrières, cela irait. De même, nous avons dit qu'il serait plus judicieux de sectoriser le personnel, que ce soit toujours le même personnel sur chacun de nos trois secteurs. Ce qui permettrait, selon nous, de réduire les risques. La direction n'a pas tranché sur ce sujet.

Cependant, je me dis que j'ai de la chance d'être en Ehpad quand je vois ce qu'il se passe actuellement dans les hôpitaux. Je ne sais pas si je tiendrais. Ça doit être hyper intense, hyper dur. J'ai lu que, dans certains Ehpad, des aides-soignants ont fait jouer leur droit de retrait. Je trouve ça un peu inadmissible. Quand tu te formes dans la santé, tu sais que tu vas potentiellement être mobilisé dans des situations de crise. Dès qu'un plan « blanc » ou « bleu » est déclenché, toute aide-soignante, toute infirmière et même les élèves peuvent être mobilisés. On le sait. Ça fait partie de notre formation, c'est notre métier. Donc je trouve ça dommage.

Estimez-vous que les pouvoirs publics sont à la hauteur ?

Je pense qu’ils ne comprennent pas la gravité de la situation. Au départ, on disait que seules les personnes âgées étaient vulnérables. On voit bien que ce n’est pas le cas. Il y a un élan de solidarité autour des soignants, en particulier avec les applaudissements tous les soirs à 20 heures. Ce geste-là est sympathique, mais c'est trop tard. Ça me fait penser à l'après-Bataclan, lorsqu'on a remercié toutes les personnes mobilisées. Mais depuis on leur tape dessus, donc, bon… Cela fait combien de temps que le personnel soignant est dans la rue à réclamer des besoins ? Personne ne les écoutait jusqu'à maintenant. 

Il y a des incohérences dans les directives de l'ARS. C'est compliqué de les suivre. Ils sont derrière leur bureau et ne pensent pas à plein de choses. Mais bon, on fait avec. Pour le moment, ça va. Jusqu'à quand ?

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