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A Lille, un centre contre la récidive des violences conjugales

Caroline Courbet, psychologue, encadre un atelier sur la gestion des émotions

Crédit photo Marta NASCIMENTO
Depuis plus d’un an, une structure lilloise accompagne sur les plans psychologique, social et professionnel les personnes poursuivies pour des faits de violences conjugales et les héberge provisoirement si elles sont sous le coup d’une éviction du domicile. Pensé par les différents acteurs de la métropole, ce dispositif vise à protéger les victimes et à éviter la récidive.

« Comment définiriez-vous ce qu’est une émotion ? », demande Caroline Courbet, psychologue, aux six hommes installés en demi-cercle face à elle. L’atelier a démarré depuis quelques minutes et les réponses s’égrènent encore timidement. « C’est une forme de sensibilité », tente l’un, enfoncé sur sa chaise les bras croisés. « La capacité à interpréter les choses », essaie un autre au bout d’un instant. Au travers de diaporamas, d’extraits vidéo et de mises en situation, la professionnelle distille des clés sur la manière d’identifier ses émotions et de les exprimer. Petit à petit, au fil des exercices, les langues se délient, et même les plus réticents finissent par participer ponctuellement au débat.

D’une durée de deux heures, cet atelier psycho-éducatif est proposé par le Centre d’accompagnement et de prévention (Cap), ouvert en novembre 2021 à Lille. Portée par le service de contrôle judiciaire et d’enquêtes (SCJE), en partenariat avec le parquet de Lille, la structure permet d’accompagner des personnes poursuivies pour des faits de violences conjugales sur un même lieu géographique et de les héberger, si une mesure d’éviction du domicile a été prononcée à leur encontre et qu’ils n’ont pas de solution d’hébergement alternative.

Les bureaux de l’équipe se trouvent au troisième étage d’une résidence de 10 logements pouvant accueillir 25 personnes dans des appartements individuels ou collectifs. Sur chaque palier, des caméras servent à surveiller les allers et venues car, contrairement à d’autres centres de prise en charge des conjoints violents, le Cap n’intervient que pour ceux placés sous main de justice. Les personnes accompagnées sont principalement soumises à un contrôle judiciaire. « Elles sont présumées innocentes et, à l’issue de cette mesure, qui dure de quatre à six mois, un jugement en correctionnel intervient », précise Pauline Beautour, coordinatrice du centre et contrôleuse judiciaire. Au quotidien, le Cap reçoit également des personnes dans le cadre du dispositif « Trev » (temps de recherche et d’évaluation de la violence), une alternative aux poursuites devant le tribunal correctionnel pour des faits de moindre gravité, et d’autres condamnées à l’accomplissement d’un stage de responsabilisation.

 

Éloigner les auteurs

Le projet de ce centre est né de la volonté de prévenir la récidive en mettant en place une politique pénale axée sur l’éviction du conjoint violent. « Il avait été observé que l’offre de solutions d’hébergement des auteurs était résiduelle sur la métropole et que, trop souvent, les victimes étaient contraintes de quitter le domicile conjugal. Ce phénomène complexifiait leurs conditions de vie, ce qui pouvait les conduire à renoncer à déposer plainte », expose Carole Etienne, la procureure de Lille. Face à ces observations, le parquet a mis en place un groupe de travail composé d’élus, de la déléguée départementale aux droits des femmes, des associations d’aide aux victimes, des services de police et de gendarmerie et du SCJE. En a résulté, en mai 2021, la signature d’une convention sur l’éloignement et l’hébergement temporaire des auteurs de violences intrafamiliales. « S’il existait déjà au sein de la juridiction lilloise un dispositif permettant d’assurer un hébergement d’urgence de l’auteur présumé des violences par le biais de nuitées d’hôtel, le parquet et ses partenaires se sont rapprochés pour convenir de la mise en place d’un dispositif complémentaire », poursuit la procureure. Ces solutions d’hébergement permettent ainsi de réduire les risques que le conjoint évincé ne revienne au domicile avec « de la colère » ou « une idée de vengeance » contre le partenaire qui a porté plainte, observe sur le terrain Pauline Beautour.

Arrivé la veille, Julien(1) prend tout juste ses marques dans une colocation pour deux personnes à la décoration et aux murs complètement épurés. Pour lui, cet hébergement provisoire se révèle indispensable. « Je suis sorti du tribunal samedi. Le Cap m’a pris deux nuits d’hôtel avant de pouvoir m’accueillir ici lundi. C’est grâce à cela que je n’ai pas dormi à la rue, retrace-t-il. Je ne sais pas comment j’aurais fait autrement. » Les appartements, proposés pour une période initiale de six semaines, sont souvent investis pour une plus longue durée, le temps qu’une solution pérenne soit trouvée et que la victime soit hors de danger. Le centre dispose également de trois studios diffus répartis dans la métropole lilloise, actuellement tous occupés par des femmes présumées auteures sous le coup d’une éviction.

En plus de ces hébergements temporaires, un accompagnement pluridisciplinaire est proposé aux personnes suivies par la structure. L’équipe, constituée de trois contrôleurs judicaires, d’une assistante sociale, de deux psychologues et de deux conseillers en insertion professionnelle, met en place un suivi personnalisé dès l’arrivée des auteurs présumés. « En rendez-vous d’initiation, je débriefe avec la personne qui est sous le coup de la décision, indique Pauline Beautour. Certains arrivent après quarante-huit heures de garde à vue. Ils sont interpellés à domicile et viennent directement chez nous en sortant des cellules ou après une nuit d’hôtel. Nous les récupérons dans un état psychologique particulier. A ce moment-là, nous planifions la prise en charge, qui peut évoluer au cours de la mesure. »

Selon les demandes qui lui sont formulées, Astrid Dufort, l’assistante sociale, module ainsi son accompagnement. « Je m’adapte en fonction des priorités de chacun et s’il n’y a pas beaucoup de besoins, je peux voir la personne seulement deux ou trois fois le temps du contrôle judiciaire », explique-t-elle. Parmi les problématiques récurrentes identifiées par la professionnelle, celle du logement. Il s’agit souvent de trouver une solution d’hébergement pérenne, mais également, et avant toute chose, de déterminer s’il existe une volonté de reprendre un projet de vie commune. « Nous questionnons les personnes pour savoir si elles doivent se retirer du bail, si nous devons entamer des recherches pour un logement social. Pour certaines, les questions sont tranchées assez vite, mais, pour d’autres, beaucoup moins, car elles ne sont plus en contact avec leur partenaire et ne parviennent pas à se positionner. » L’assistante sociale effectue par ailleurs tout un travail sur la gestion de budget. « Nous responsabilisons sur la solidarité des dettes, les dépenses qui doivent continuer à être prises en charge, tout en faisant en sorte de pouvoir trouver un logement, si nécessaire, avec ce qui leur reste », détaille Astrid Dufort, avant d’ajouter : « Les finances reflètent une certaine organisation dans la vie de couple, c’est un sujet sensible lorsque nous essayons de dresser un état des lieux. » Pour l’équipe, ce travail socio-professionnel vise à « libérer » au maximum le conjoint des problématiques annexes aux poursuites pouvant représenter des freins à la prise de conscience concernant les violences conjugales présumées.

 

Détecter les urgences

Le volet psychologique les accompagne parallèlement dans cette réflexion. Un premier entretien avec l’une des psychologues permet de détecter les urgences, les risques suicidaires, et de proposer un suivi individuel si nécessaire. « J’avais déjà été sous le coup d’un contrôle judiciaire, mais ce n’était pas pareil », se souvient Aurélien, pris en charge depuis septembre. « A ce moment-là, je voyais juste ma contrôleuse judiciaire. J’aurais voulu commencer un suivi psychologique, mais je n’avais pas osé franchir le pas, poursuit le trentenaire, une cigarette à la main. Quand j’ai vu que c’était possible ici, j’ai sauté sur l’occasion. » Si, comme avec Aurélien, des rendez-vous individuels sont mis en place, le centre mise avant tout sur une prise en charge groupale. En collaboration, les deux psychologues ont imaginé quatre ateliers psycho-éducatifs dispensés dans le cadre du contrôle judiciaire. Photolangage, identification des émotions, communication non violente, jeux de plateau… Chaque fois, l’idée est de libérer la parole en favorisant les interactions. « Au départ, les personnes se représentent ces ateliers comme des cercles de parole, à la façon des Alcooliques anonymes. Nous leur expliquons que l’idée n’est pas de raconter son histoire à tout le monde, mais de mener des réflexions communes sur des thématiques ciblées », souligne Caroline Courbet. Pour la psychologue, le processus de prise de conscience est particulièrement visible au cours de l’atelier « Cluepsy », un jeu de société conçu en interne visant à identifier les différentes formes de violences conjugales (physiques, économiques, sexuelles et psychologiques). Inspiré du Cluedo, il permet aux joueurs de revêtir soit le rôle du conjoint violent, soit celui de la victime, soit celui des enfants, en enquêtant dans différents endroits : hôpital, foyer, lieu de travail… A l’issue du jeu, les participants doivent prononcer une sanction à l’encontre de l’auteur des violences en se fondant sur les éléments de l’« enquête » qu’ils viennent de mener. « Cet atelier leur permet d’analyser leur comportement et leur situation de couple, observe Caroline Courbet. En rendant ces sujets interactifs, les personnes s’impliquent davantage. » Souvent, les professionnelles essaient d’associer des conjoints ayant déjà eu une prise de conscience et d’autres pour qui le travail d’introspection n’a pas encore eu lieu. « Le cheminement de certains peut en amener d’autres à réfléchir, rend compte Elodie Vaslin, la seconde psychologue. Et le discours n’est pas entendable de la même manière quand il vient de nous ou qu’il émane de quelqu’un qui a vécu la même chose. »

Pour permettre une prise en charge plus fine, la structure travaille également en lien étroit avec les associations d’aide aux victimes. « Nous nous tenons au courant entre professionnels, cela nous permet de connaître tous les enjeux, rapporte Pauline Beautour. La victime a aussi nos coordonnées, même si elle ne souhaite pas être suivie par un service d’aide ou un service social, elle peut nous solliciter à tout moment pour une difficulté et nous la redirigeons ensuite vers les structures adaptées. »

Depuis son ouverture, le Cap a pris en charge 384 personnes et hébergé 75 auteurs présumés. Du jeune homme de 19 ans au retraité de 72 ans. Des cadres aux ouvriers, en passant par les médecins ou les personnes touchant le revenu de solidarité active. Tous les profils socio-professionnels passent la porte du centre lillois. Pour l’heure, la structure n’a pas encore mené d’étude sur son impact sur la récidive, car celle-ci s’inscrit dans un délai légal de cinq ans. Mais une précédente enquête révèle que l’accompagnement pluridisciplinaire mené depuis des années par le SCJE dans la métropole, avant la création du Cap, a déjà permis d’obtenir un taux de récidive, toutes procédures confondues, de 4,1 %, contre 15 % au niveau national.

Un décès enregistré tous les deux jours et demi

En France, 208 000 victimes de violences conjugales ont été recensées en 2021 par les services de police et de gendarmerie. Un chiffre en hausse de 21 % par rapport à 2020. Il s’agit, dans les deux tiers des cas, de violences physiques et, dans un peu moins d’un tiers, de violences verbales ou psychologiques. La même année, 122 femmes ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire, selon la dernière étude nationale sur les morts violentes au sein du couple. Au total, un décès est enregistré tous les deux jours et demi, contre un tous les trois jours en 2020. Près d’un tiers des femmes mortes en 2021 avaient déjà subi des violences et, parmi elles, 64 % les avaient signalées aux forces de l’ordre.

Notes

(1) Les prénoms ont été modifiés.

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