Insoutenabilité financière, inégalité d’accès en fonction des territoires, ciblage des bénéficiaires aléatoire… Après deux décennies d’existence, une sérieuse révision s’impose pour la prestation de compensation du handicap (PCH) juge la Cour des comptes dans un rapport rendu public le 3 décembre 2025. Sollicités conjointement par l’Assemblée nationale, l’association Départements de France et le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), les magistrats de la rue Cambon se sont penchés sur le cas de cette prestation, née de la loi du 11 février 2005 « sur l’égalité des droits et des chances », qui constitue aujourd’hui l’une des trois allocations de solidarité à la main des collectivités départementales.
Aujourd'hui pilier du virage domiciliaire
A la création de l’allocation en 2005, il s’agissait de reconnaître qu’une situation individuelle de handicap – dès lors qu’elle était reconnue par les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) – pouvait donner lieu à compensation selon un certain nombre de critères définis par les textes (les critères « humains » pesant pour 90 % du total).
>>> A lire aussi : Aide-mémoire du travailleur social
Mais au fil du temps, entre 2008 et 2023, la PCH a largement débordé de son couloir d’origine pour s’ouvrir à de nouvelles problématiques : la parentalité, l’enfance, l’adolescence, le grand âge – sous certaines conditions, cette prestation peut se substituer à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), moins intéressante financièrement, pour les personnes de plus de 60 ans –, l’altération des facultés cognitives ou psychiques… Au point que la PCH est devenue l’un des piliers du « virage domiciliaire » imaginé par les pouvoirs publics comme substitut au placement en établissement spécialisé.
3 milliards, bientôt 4
Sauf qu’en parallèle, les moyens financiers n’ont pas suivi. « L’augmentation de la charge financière de la PCH a été rapide depuis sa création, avec un coût multiplié par douze de 2006 à 2010, puis par trois depuis lors, pour atteindre 3 milliards d’euros en vingt ans », observe la Cour.
Selon les calculs des Sages, ce chiffre pourrait même dépasser le seuil des 4 milliards dès l’année prochaine, sans que les concours financiers versés chaque année par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) aux conseils départementaux ne soient suffisants pour compenser cette augmentation. Un poids financier ayant poussé l’association des Départements de France à exiger, depuis 2021, que la participation de l’Etat à cette allocation passe de 30 % de la facture – son niveau actuel – à au moins 50 %. En vain pour l’instant.
Inégalités territoriales
Pour autant, ce premier écueil d’ordre financier n’est pas le seul que relève le rapport. Coûteuse, la PCH serait également inégalement distribuée en fonction des départements. Non seulement, selon le territoire où le demandeur se trouve, son dossier peut mettre entre 2,5 et 16 mois pour aboutir, mais en outre, les écarts d’attribution observés entre les dossiers oscillent entre 20 % et 92 % de réponses favorables (47 % en moyenne). « Ils tiennent, pour partie, à des différences dans le niveau d’information et d’accompagnement social des usagers, qui font parfois une demande sans connaître leurs conditions précises d’éligibilité, mais aussi à la diversité des pratiques départementales d’évaluation. »
>>> Sur le même sujet : Social et médico-social : Lecornu veut redonner la main aux départements
D’autres disparités constatées concernent également le montant des primes versées en fonction de chaque évaluation individuelle des demandeurs « selon les approches des MDPH ». Ce sont surtout les moyens consacrés à « l’aide humaine » qui peuvent se révéler variables d’une collectivité à l’autre en fonction des spécificités locales (présence ou non de certains types de thérapeutes sur le territoire, etc.), entraînant des conseils départementaux à envisager une réduction de la prise en charge pour maintenir leurs finances à flot.
De sérieuses réserves sur la fusion PCH-APA
Pour rendre la PCH à la fois moins coûteuse pour les départements, mais aussi plus équitablement accessible, la Cour des comptes offre donc une série de pistes d’amélioration du dispositif dans un contexte d'évolution du profil des allocataires. Ecartant d’emblée la fusion automatique de la PCH et de l’APA jugée « insoutenable pour les finances publiques » (on parle d’une augmentation des dépenses de l’ordre de 3,6 milliards), elle laisse cependant la porte entrouverte à un rapprochement des deux prestations. A condition cependant d’« impliquer l’introduction d’un ticket modérateur lorsque la PCH est attribuée après 60 ans, ou lorsque les renouvellements effectués ultérieurement aboutissent à une hausse des aides rattachable aux conséquences directes du vieillissement ».
>>> A lire également : Départements de France : "L’Etat ne doit pas nous asphyxier davantage"
Autres solutions envisagées : l’extension du financement des aides techniques entre l’assurance maladie et la PCH – aujourd’hui limité aux seuls équipements – à d’autres types d’aides en fonction de l’usager. Ou la réaffectation d’une partie des fonds départementaux de compensation du handicap, très inégalement répartis en fonction des territoires, afin de limiter le reste à charge pour les bénéficiaires de la PCH. Le récent remboursement total des fauteuils roulants par l’assurance maladie, qui constituait jusqu’à présent le premier pôle de dépenses de ce fonds, pourrait permettre de dégager quelques enveloppes à cet effet.
Harmonisation du contrôle
Voilà pour l’aspect financier. Concernant l’égalité d’accès à la prestation, la Cour reconnaît les failles du système : « du fait de son pilotage décentralisé, aucune doctrine nationale n’encadre aujourd’hui la vérification de l’usage de la prestation ; chaque département définit ses propres modalités de contrôle et ses pratiques de récupération d’indus. Si la fraude intentionnelle apparaît limitée, des situations individuelles observées par les équipes des MDPH n’en soulignent pas moins la vulnérabilité du dispositif, exacerbée par les contraintes liées au traitement de masse des dossiers de demande », écrit-elle.
A quoi s’ajoutent d’autres trous dans la raquette comme l’absence d’un croisement national des bases de données des bénéficiaires de la PCH avec ceux de l’APA ou la sur-déclaration d’heures d’accompagnement des allocataires par les prestataires désignés par les départements, faute de contrôle. Ce que les magistrats se proposent de régler par une harmonisation des politiques de contrôle contre la fraude menées par les départements et les MDPH, s’inspirant du modèle mis en place dans le cadre de la création de la branche autonomie de la sécurité sociale sous pilotage de la CNSA.