Des enquêtes thématiques récentes montrent que les personnes détenues sont plus touchées que la population générale par certaines infections, notamment par le VIH, l’hépatite C ou la tuberculose. De même, bien que ces chiffres soient à nuancer au regard des conséquences que peuvent avoir, dans ce domaine, les conditions de vie en détention, huit détenus sur dix auraient souffert de troubles psychiques en 2004, selon les éléments compilés dans un rapport d'information sénatorial, intitulé "soigner les détenus : des dépenses sous observation".
Si quelques études donnent des informations sur l’état de santé des détenus, celui-ci reste "imparfaitement" connu, constate le sénateur Antoine Lefèvre, rapporteur pour la commission des finances du Sénat. Et pour cause : il n’existe pas de surveillance épidémiologique de la santé en milieu carcéral, indique-t-il. Pour pallier cette méconnaissance, il préconise donc de diligenter des études épidémiologiques afin, à terme, de mieux répondre aux besoins de santé des détenus.
Prendre en charge la perte d’autonomie
"Face au vieillissement de la population carcérale, la prise en charge de la perte d’autonomie constitue un enjeu particulièrement important", souligne le rapport. En effet, "la population dite âgée n’est plus une population marginale en prison". En neuf ans, le nombre de détenus âgés de 50 à 69 ans a par exemple augmenté de 10 %, ce qui, comme pour la population générale, nécessite, selon le rapport, de traiter la question de la prise en charge de la dépendance, des maladies chroniques ou encore de la fin de vie. "Les personnes détenues ayant besoin d’une aide dans les actes de la vie quotidienne sont davantage aidées par un codétenu (45 %) que par un intervenant extérieur (32 %). Par ailleurs, [23 %] des personnes détenues ayant besoin d’une aide ne sont pas prises en charge à ce titre", regrette l'auteur du rapport.
Celui-ci met également en avant la difficulté de trouver des structures adaptées à une prise en charge après une hospitalisation, notamment dans des structures de soins de suite et de réadaptation.
La dépendance conduit aussi à se questionner sur la pertinence du maintien en détention de personnes à l’état de santé particulièrement dégradé, soulève le rapport. En effet "certains détenus pourraient bénéficier d’une suspension de peine pour raison médicale [mais] cette mesure n’est [...] que faiblement prononcée, faute de pouvoir trouver une structure d’aval acceptant d’accueillir la personne une fois libérée", déplore-t-il. Afin d’éviter des retours en détention de personnes dépendantes, il recommande d’autoriser l’utilisation du centre de rétention de l’établissement public de santé national de Fresnes pour les personnes en attente d’une place dans une structure d’aval.
Améliorer l’offre de soins
L’offre de soins à destination des détenus comprend deux dispositifs, l’un pour les soins somatiques, l’autre pour les soins psychiatriques, rappelle le rapport. Le sénateur Antoine Lefèvre note que cette offre de soins, initiée en 1994, constitue "un indéniable progrès dans l’accès aux soins des personnes détenues". Toutefois, le succès de cette offre est inégal et il convient désormais, selon lui, d’assurer sa cohérence territoriale. L’offre de soins somatique est mal utilisée, selon elle. En effet, le taux d’occupation des 170 lits des huit unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) s’élève à 68 % - se rapprochant de l’objectif fixé à 70 % -, mais un écart de plus de 30 % est constaté entre le taux occupation de l’UHSI de Marseille et celui de Strasbourg, indique le rapport.
En revanche, l’offre de soins psychiatriques est très sollicitée mais non finalisée, souligne l'auteur. En effet, seules 440 places en unité hospitalière spécifiquement aménagées pour recevoir des personnes détenues (UHSA) sur les 705, prévues par le programme de construction, ont été livrées. Ainsi, en l’absence d’UHSA ouverte dans le ressort territorial d’un établissement pénitentiaire ou en l’absence de place disponible, l’hospitalisation des personnes détenues atteintes de troubles mentaux continuent d’être assurée au sein des établissements de santé autorisés en psychiatrie dans le cadre des hospitalisations d’office ou au sein des unités de malades difficiles. Or ces hospitalisations se déroulent sans garde statique, ni surveillance de l’administration pénitentiaire ou de force de l’ordre, indique la commission. Cette insécurité pour le personnel et les autres patients conduit à réduire la durée de séjour des détenus dans ces structures, déplore-t-elle. Le rapport propose ainsi qu’une seconde tranche d’UHSA soit construite en tenant compte, dans le choix des implantations, de l’offre actuellement disponible et des besoins en santé mentale.
Par ailleurs, le milieu carcéral fait face à une désertification médicale, note Antoine Lefèvre. L’administration pénitentiaire peine à attirer des professionnels de santé, notamment des ophtalmologistes, des chirurgiens dentaires ou des kinésithérapeutes, précise-t-il. Ces difficultés s’expliquent, en partie, par la crainte des agressions et l’exiguïté de certaines unités sanitaires. Afin de lutter contre cette désertification, le rapport préconise de renforcer l’attractivité médicale en établissement pénitentiaire en faisant mieux connaître ces métiers et en développant des stages en unités sanitaires pour les internes en médecine. Le développement de la télémédecine peut également être une piste d’amélioration, ajoute-t-il.
Assurer une "budgétisation sincère"
Malgré une simplification du circuit de financement des dépenses de santé des personnes écrouées (voir note en bas de page), le financement des dépenses de santé des personnes détenues reste "opaque", remarque l'auteur.
Le rapport pointe aussi la sous-budgétisation des dépenses de santé prises en charge par le ministère de la Justice. En effet, "à ce jour, la dette globale du ministère de la Justice est estimée à 88 millions d’euros, pour une dotation annuelle de 31 millions d’euros", alerte le rapport. "En 2016, plus de 90 % de la dotation prévue par la loi de finance initiale, soit 30,5 millions d’euros, ont été consacrés au paiement des dettes de l’administration pénitentiaire aux établissements de santé et, selon le ministère de la Justice, seuls, 3,2 millions d’euros ont été versés à la caisse nationale d’assurance maladie, alors même que l’appel de fonds pour 2016 s’élevait à 30,7 millions d’euros", ajoute-t-il. Face à ce constat, le rapport recommande d’apurer la dette de l’Etat envers les établissements de santé pour la période antérieure à 2016. Il rappelle, en outre, que la budgétisation des dépenses de santé doit être sincère, en lien avec l’évolution de la population pénale et l’analyse de ses besoins.
Note : Cette simplification, initiée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, a permis à l’assurance maladie d’avancer à l’établissement de santé l’ensemble des frais de santé des personnes écrouées et d’adresser ensuite au ministère de la justice une facture globale correspondant à la part complémentaire (ticket modérateur et forfait journalier hospitalier)