Je suis né en 1978 à Nantes. J’ai été placé à 4 ans à la DDASS qui deviendra rapidement l’ASE. Placé, comme un objet ? ou accueilli, comme le dit Jean-Pierre Rosenczveig, parce que mes parents étaient pauvres, alcooliques, pas vraiment éduqués. J’avais été signalé à l’école parce que j’étais très négligé, tellement que les autres enfants me rejetaient, sauf une petite fille qui regardait au-delà de ma crasse et m’acceptait.
Je comprendrai plus tard que c’est ma mère qui avait demandé le placement, car elle savait qu’elle ne serait pas capable de s’occuper de nous (moi et mon grand frère) correctement. L’étymologie d’abandonner veut dire « remettre au pouvoir de », vous imaginez combien cela a pu me parler ? Je réaliserai à la fin de la vie de ma mère, en lui demandant « pourquoi ? » que c’était un acte d’amour et de courage. La vie est plus complexe qu’il n’y paraît bien souvent.
J’ai donc été accueilli dans une première famille, qui m’a offert ce que je n’avais pas : des vêtements propres, une salle de bains, une présence rassurante et permanente, et de l’instruction. Mon frère, plus grand, lui ne l’a pas bien vécu. Il cherchait à rentrer chez notre mère à tout prix, il fuguait, criait, cassait, tapait… Tellement, qu’un jour, on nous a rapprochés de notre mère en nous plaçant dans une autre famille à la campagne. On n’a donc pas séparé notre fratrie, bien que quelques années plus tard, en thérapie, je me rendrais compte que j’aurai voulu, moi, rester dans cette première famille… Mais on ne m’a rien demandé. Comme quoi, une même histoire peut être vécue différemment.
Nous sommes aussi nombreux à nous en être sortis
J’ai fait trois familles d’accueil en tout, pas tant que ça. Je n’y ai jamais vu de maltraitance aggravée ou de travail forcé. Elles étaient aussi imparfaites que je le suis aujourd’hui en tant que père ; j’ai rouspété il y a peu de temps sur ma fille qui ne voulait pas mettre un pantalon (trop petit) que je lui avais acheté, sans essayage…
La plupart des professionnels sont des gens bien, qui font de leur mieux. Pourtant les jeunes ne sont pas toujours aimables, faciles, j’oserais même dire qu’ils sont souvent insupportables, certainement parce qu’ils souffrent. Les gens qui déconnent, non diplômés ou diplômés d’ailleurs, sont des exceptions, alors je voudrais qu’on en parle moins ou différemment, ils ne sont pas représentatifs. L’immense majorité du système fonctionne bien. Nous sommes aussi nombreux à nous en être sortis, et parfois de façon brillante. Certes les statistiques ne parlent pas franchement pour nous, mais elles ne parlent pas non plus pour les pauvres, les malades, les handicapés etc.
Il faut contrôler les opérateurs, et laisser la justice faire son travail
Le secteur du social et du médico-social va très mal, il est effectivement au bord de la faillite. Mais à force de dénoncer les injustices, on risque d’ouvrir la porte à sa marchandisation, comme l’a dit récemment Pierre-Alain Sarthou, directeur général de la Cnape. Il existe aujourd’hui suffisamment de lois, encore faut-il qu’elles soient respectées, donc pas la peine d’en rajouter, ou de re-centraliser. Je dénoncerais plutôt le manque de respect d’un grand nombre de lois, entre autres de la part d’un certain nombre de départements. On a tous été accablés par le reportage de Zone Interdite dans le champ du handicap. Je pense en particulier au cadre d’autorisation des lieux de vie qui est bafoué allègrement au quotidien et qui prive donc le secteur d’au moins 500 places. Et ils nous disent manquer d’opérateurs…. Je dénoncerais l’irresponsabilité de certains fonctionnaires qui abusent de leur pouvoir et appliquent un traitement technique qui manque profondément d’humanité. Quand allons-nous contrôler les contrôleurs ? Les politiques qui ne tiennent pas leurs promesses ? Même la police a un organe de contrôle. Et nous n’avons pas de tracteurs pour manifester !
Il y a des professeurs qui peuvent déconner, des policiers, en fait tout le monde. Donc bien sûr qu’il faut contrôler les opérateurs, et laisser la justice faire son travail. Franchement, est-ce si grave de travailler dans un potager ?
J’ai été dans les premiers à bénéficier d’un CESAJ qui m’a permis d’aller à la fac suivre des études d’histoire-géo. J’ai été boursier et j’ai eu tout de suite un job étudiant. Mais ce n’est pas le service de la Sauvegarde qui m’a aidé, enfin si, ils m’ont financé et accompagné jusqu’à 21 ans et je leur en rends grâce. C’est la meilleure amie de mon amoureuse de l’époque, dont le père était directeur de cabinet dans une mairie assez importante, qui m’a trouvé un job à la médiathèque et un appartement en HLM, il a cru en moi. Je ne les remercierais jamais assez. Bref, c’est ma capacité à créer du lien, plus que l’accompagnement de la structure qui m’a permis de m’envoler et de survivre dans la dignité. D’ailleurs, 30 ans après, je suis toujours resté ami avec mon ancien éducateur. J’ai appris, bien plus tard, qu’on a la même date d’anniversaire. Ça ne s’invente pas.
Besoin d’être aimé, plus que d’être aidé
Je suis finalement devenu moi-même éducateur spécialisé, puis cadre dans le social. Parce que je suis bourré de convictions, de hargne. Je suis resté dans ce milieu car je voulais participer à cette mission qui est d’aider des personnes innocentes qui en ont besoin. Il n’y a pas tant de pays qui offrent cette possibilité. En même temps, je veux aussi dire que les jeunes, les usagers ont aussi leur part de responsabilité dans leur échec. Que tout n’est pas de la responsabilité des pouvoirs publics et des institutions. Il y a des jeunes qui ne parviennent pas à se saisir de l’aide qu’on leur propose, peut-être parce qu’ils auraient besoin d’être aimés, plus que d’être aidés.
Je tenais à témoigner ma profonde reconnaissance à tous les professionnels du secteur qui n’ont pas quitté le navire et qui sont la plupart du temps des gens bien.