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VAE des proches aidants : les raisons de l'échec

Crédit photo Alexander Raths - stock.adobe.co
Entre 2022 et 2023, l’expérimentation visant à valoriser les compétences des proches aidants pour les orienter vers les métiers de l’aide à la dépendance avait tout pour plaire sur le papier. Mais tout était aussi réuni pour faire un bide…

La pénurie de personnel qualifié dans les services de l’aide à domicile pour les personnes dépendantes devient critique. En 2022, dans son étude Métiers 2030, la direction des statistiques du ministère du Travail (Dares) estimait à 600 000 le nombre de postes à pourvoir dans les huit années à venir, dont 200 000 environ à créer ex nihilo. En 2023, l’Union nationale de l’aide, des soins et des services aux domiciles (UNA) tirait la sonnette d’alarme sur des difficultés de recrutement au sein de son réseau, où 52 % des postes ouverts l’année précédente n’avaient pas trouvé preneurs, contraignant les trois quarts de ses structures adhérentes à devoir répondre négativement aux demandes de prise en charge. Signe des temps, les pouvoirs publics commencent à s’inquiéter de la situation : « La pénurie est devenue si criante que dans son préambule initial, le projet de loi sur le plein-emploi citait l’aide aux personnes fragiles comme secteur en danger plutôt que ceux du bâtiment ou de l’hôtellerie-restauration qui pourtant manquent eux aussi de bras », alerte Gwenaëlle Tual, présidente de l’Association française des aidants.

Les proches aidants, vivier potentiel de candidats

Face à l’urgence – aggravée par le vieillissement de la population –, les pouvoirs publics tirent tous azimuts pour trouver la main-d’œuvre nécessaire. Soit en prévoyant de la recruter à l’étranger – le futur (et controversé) projet de loi « asile et immigration » inscrit les professions de l’aide à la dépendance sur la liste des métiers en tension ouvrant droit à un titre de séjour exceptionnel – mais aussi en élargissant le vivier des recrues potentielles. A rechercher parmi les demandeurs d’emploi, les salariés en reconversion ou les proches aidants. On en recense entre 8 et 11 millions aujourd’hui et leur nombre est en augmentation. « Aujourd’hui, un salarié sur cinq se retrouve en situation de devoir aider un proche malade ou dépendant. En 2030, le ratio sera d’un salarié sur quatre », explique Christine Lamidel, directrice de Tilia, un cabinet de conseil spécialisé dans l’accompagnement de ces personnes.

Une usine à gaz nommée VAE

Transformer les savoir-faire appris sur le tas en aidant un proche dépendant en un diplôme permettant d’ouvrir la voie d’une reconversion professionnelle vers les métiers du care, c’était précisément l’objectif de l’une des mesures de la loi « portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi » de septembre 2022. Pour cela, un moyen : la simplification du dispositif de validation des acquis de l’expérience (VAE), un mode de reconnaissance des compétences acquises en situation réelle qui fêtait ses vingt ans d’existence en 2022 et dont le succès s’est, avec le temps, révélé… mitigé.

Trop complexe, trop chronophage, exigeant la constitution d’un solide dossier de preuves de l’expérience acquise par un jury de professionnels de la formation, la VAE n’a jamais vraiment trouvé son public, malgré des ripolinages successifs à l’occasion des lois « El Khomri » et « Pénicaud ». « Ces trois dernières années, nous n’avons enregistré que 30 000 parcours de VAE. Dont 60 % ont été abandonnés avant terme par les candidats », soupire-t-on au ministère du Travail. Bien loin des 100 000 parcours annuels en vitesse de croisière qu’imaginaient les créateurs du dispositif en 2002 !

Zéro participant !

Sur le terrain, l’opération de simplification du dispositif s’est accompagnée d’une expérimentation grandeur nature. Elle visait à accompagner quelque 2 000 candidats volontaires dans leur processus de validation d’un diplôme des métiers du sanitaire, du social et du médico-social parmi dix-neuf identifiés (du CQP « garde d’enfant » jusqu’au DUT « métiers du social » en passant par l’ADVD, l’ADVF ou le DEAES). Elle couvrait également le champ de l’aide à la dépendance.

Financée à hauteur de 15 millions d’euros, menée dans trois régions (Bretagne, Nouvelle-Aquitaine et Normandie) entre juin 2022 et juin 2023, l’expérimentation ouverte à un public de chômeurs, de salariés en transition professionnelle et de proches aidants, l’expérience aura permis à presque 70 % des 2 000 participants d’accéder à la certification. Succès, donc… sauf précisément pour les proches aidants qui ne se sont pas bousculés au portillon. Loin de là. « On en a recensé… zéro parmi les participants », soupire Olivier Gérard, préfigurateur du futur groupement d’intérêt public de la VAE auprès du gouvernement.

Une com’ pas très lisible

Au sein des acteurs du sanitaire et social, on pointe un dispositif mal calibré pour ce public spécifique. « Je ne parlerai pas d’échec car le public visé était surtout les demandeurs d’emploi, mais l’expérimentation a révélé la difficulté pour certains candidats potentiels de s’informer sur la VAE », explique Murielle Bouin, directrice du gérontopôle de Nouvelle-Aquitaine, associé à l’expérience.

Il faut dire que la communication autour du dispositif aura été discrète. Quelques réunions d’information réalisées par les acteurs de l’emploi pour trouver des candidats, quelques mentions plutôt confidentielles sur les sites Internet des acteurs du secteur et deux wébinaires à destination des institutionnels en guise de campagne de communication. Plutôt confidentiel. Tout comme l’est encore le site France VAE, autour duquel s’articulait l’expérimentation. Peu – voire pas – identifié par le grand public, pas forcément facile d’accès pour un néophyte de l’Internet, il a pu constituer davantage un barrage qu’une porte d’entrée pour des candidats peu accompagnés dans leurs démarches.

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« L’expérimentation a été peu portée. Ni les structures employeuses d’aidants, ni les départements n’ont été associés aux travaux. Par ailleurs, malgré la simplification du dispositif de VAE, la constitution des dossiers repose encore beaucoup sur l’écrit alors que certains publics potentiellement intéressés par la carrière rencontrent des difficultés avec cette compétence », analyses Jérôme Perrin, directeur du développement et de la qualité au sein de l’ADMR.

En clair : faute d’information initiale suffisante et de soutien durant le processus, une partie du public espéré n’est pas venue ou s’est perdue en route. Murielle Bouin résume : « Le vivier de candidats est là, mais ils ont besoin d’être accompagnés dans leur parcours. »

Valoriser les « soft skills » plutôt que les compétences professionnelles

Autre écueil identifié… celui de l’appétence pour le métier lui-même. Les branches de l’aide à domicile ont beau plancher pour relever les grilles de salaires et améliorer les conditions de travail, la profession attire peu et les employeurs peinent à conserver leurs effectifs. « Ce n’est pas parce qu’on a aidé un membre de sa famille en situation de dépendance qu’on a envie d’en faire son métier et de l’exercer auprès d’inconnus », avance Olivier Gérard. D’autant que parmi les gestes tolérés de la part d’un proche aidant, certains sont rigoureusement interdits aux professionnels. Comme le fait d’administrer un médicament ou même de remplir un pilulier. Ce qui n’aide pas à choisir la carrière.

« La VAE convient à des gens attirés par le métier. Ceux qui ont aidé un proche veulent rarement valoriser les compétences acquises à ce titre », confirme Guillaume Thomas, dirigeant d’Aladom, un service de recrutement d’aides à domicile. Plus exactement, ce ne sont pas tant les compétences-métiers que les aidants cherchent à valoriser par le biais de la reconnaissance de l’expérience que les « soft skills », ces qualités humaines et relationnelles transférables sur d’autres secteurs professionnels.

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« Un aidant développe généralement de nouveaux savoir-faire liés à la gestion du stress, la prise de décision dans l’urgence, l’empathie ou la réactivité. Pas forcément des compétences “cœur de métier”, mais qui peuvent être mises en avant sur un CV. Le problème, c’est que les volontaires à la valorisation de ces compétences acquises ne veulent pas pour autant les mettre au service d’une carrière d’auxiliaire de vie par exemple », regrette Gwenaëlle Tual. Sauf, occasionnellement, pour viser des postes d’encadrement dans le secteur du care. « Sur ce plan, la VAE représente plutôt un bon outil puisqu’elle permet désormais de certifier des blocs de compétences plutôt que des diplômes complets », se félicite-t-on au ministère du Travail. Un sujet dont se sont déjà emparés AG2R La Mondiale, le Cercle Vulnérabilité et société et l’Association française des aidants, à l’origine d’une charte « aidance et compétences » conçue pour aider les entreprises à assister leurs collaborateurs dans la reconnaissance des « soft skills » acquises dans le cadre d’une activité de soutien à un proche dépendant.

C’est grave docteur ?

« L’échec de l’expérimentation est à la fois grave… et pas grave », assure Olivier Gérard. Grave, parce que quasiment tous les acteurs impliqués sont conscients d’avoir raté leur coup d’essai. Pas grave, car ce semi-échec aura justement permis d’identifier les points de blocage et d’améliorer le dispositif à l’avenir. A condition qu’il y ait un avenir. « Nous n’avons pas encore produit de bilan formel, mais l’expérience est là. Et les projets de décrets d’application de la loi “mesures d’urgence” actuellement examinés par le Conseil d’Etat permettront de massifier le dispositif », indique-t-on au cabinet de la nouvelle ministre des Solidarités, Aurore Bergé. Laquelle doit justement présenter sa stratégie en faveur des aidants le 6 octobre prochain.

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