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Dialogue social : des marges de manœuvre étroites mais réelles

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Crédit photo Rawpixel.com - stock.adobe.com
Dans des établissements sociaux et médico-sociaux soumis à des conventions collectives contraignantes, le dialogue social se focalise sur l’aménagement du temps de travail ou la qualité de vie au travail. Dans un contexte tendu.

« Echange, partage, échange, partage… » Quand on lui demande les conditions de réussite du dialogue social, Jean-Pierre Stellitano, directeur général des établissements publics d’Hallouvry à Rennes (Ille-et-Vilaine), spécialisés dans l’accueil de mineurs et de jeunes adultes, synthétise bien la consigne générale. Toujours garder le contact, sortir des postures qui font parfois de l’espace de négociation une scène de théâtre, ne pas s’arc-bouter sur des positions rigides. Des consignes qui, certes, doivent s’appliquer avec le même soin dans tous les secteurs. Mais les établissements sociaux et médico-sociaux comprennent quelques particularités qui complexifient l’exercice. En premier lieu, l’un des sujets phares de discussion entre syndicats et directions, celui des rémunérations, ne peut pas être mis sur la table. « Dans le domaine associatif, les marges budgétaires sont réduites, et nombre de décisions sont soumises à l’acceptation des financeurs », souligne Michel Miné, professeur au Cnam, titulaire de la chaire « Droit du travail et droits de la personne ». Les responsables d’établissement manquent d’autonomie et de marges de manœuvre, ce qui peut rendre le dialogue social difficile. Enfermés dans des conventions collectives vieillissantes, dont la « 66 » (1), qui encadre les établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées, directions et syndicats ne peuvent avancer sur l’une des thématiques majeures du secteur, et doivent se concentrer sur d’autres champs.

« Comment peut-on trouver des moyens de reconnaissance qui ne passent pas par le salaire ? s’interroge ainsi Manuel Pélissié, directeur général de l’IRTS Paris Ile-de-France et président de la commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale. En s’intéressant aux conditions d’exercice, à la qualité de vie professionnelle, à des modes de management plus participatifs… » Autant de sujets en progression dans les comités sociaux et économiques (CSE), selon Stéphanie Duvert, directrice des affaires sociales de Nexem. « Les associations prennent de plus en plus en main la réalité de la négociation, sur certains sujets comme l’organisation du travail, mais aussi la formation professionnelle ou les entretiens annuels. »

S’impliquer personnellement

Ainsi d’APF France handicap, qui, au sein de son CSE central, a engagé, entre autres thèmes, des négociations sur le sujet délicat de l’aménagement du temps de travail. « Nous nous penchons dessus depuis six mois avec les organisations syndicales, explique Nathalie Pinto, directrice des ressources humaines (DRH). Nous avons décidé de prendre le temps, ce qui est absolument nécessaire sur de telles thématiques. Celui d’expliquer, de partager un même niveau d’information, de défricher le sujet. »

Ne pas se « contenter » des rendez-vous formels comme celui de la négociation annuelle obligatoire (NAO) mais préparer en amont les sujets avec les organisations syndicales lui semble essentiel. « Je ne suis pas présente à toutes les négociations, nous avons une responsable des relations sociales et des spécialistes de certains sujets, qui participent en tant qu’experts aux réunions ad hoc. Mais l’implication de la DRH, voire du directeur général, me semble fondamentale pour montrer que l’on s’intéresse à la qualité du dialogue social et prouver que l’on comprend les problématiques. » Un principe partagé par Jean-Pierre Stellitano, qui pratique la politique de la « porte ouverte », un mardi matin par mois. « Sans rendez-vous, les représentants syndicaux peuvent venir me voir librement, ce qui permet de prévenir ou de désamorcer certains désaccords. »

Sortir des postures de confrontation pour prendre le temps de créer les conditions du dialogue suppose cependant d’y être préparé. « Les directeurs se retrouvent souvent démunis quand un conflit éclate, remarque Manuel Pélissié. On devrait s’intéresser plus à l’acquisition de ces compétences dans les formations continues ou des cycles de haut niveau, qui se concentrent souvent sur les questions de gestion budgétaire, et pas assez par exemple sur les gestions de crise… »

Un apprentissage dont Thomas Berruex, directeur d’un service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS) et d’un service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapés (Samsah) APF France handicap en Haute-Savoie, a pu mesurer l’importance à l’occasion d’une négociation qui a failli déraper. « Je souhaitais allonger le temps de pause méridienne des salariés, ce que les représentants syndicaux ne souhaitaient pas, témoigne-t-il. Je n’avais pas l’intention de lâcher sur cette question. Puis je me suis demandé : “Qu’est-ce qui est important ? Que les salariés accompagnent bien les usagers, même si leur pause déjeuner est seulement de 30 minutes au lieu des 45 que je prônais ? Ou bien que j’impose à tout prix ma position de chef” ? » Après avoir échangé avec des collègues et analysé son positionnement dans la négociation, il a fait machine arrière. « Il faut donner l’image d’un management à l’écoute, et modifier au besoin sa posture d’autorité. Cela nécessite aussi de prendre sur soi. »

Certes, les tours que peuvent prendre les négociations, parfois très frontaux, ne sont pas propres au secteur. Mais le dialogue social y prend cependant une coloration particulière, surtout dans un contexte social actuellement très tendu.

Le dialogue social à l’épreuve de la pandémie

Si la pandémie a pu faire émerger des solidarités nouvelles dans certains établissements, elle a aussi été le révélateur de l’état du dialogue social au sein même des établissements, selon des représentants d’organisations syndicales qui en tirent une certaine amertume. « Je constate une nette détérioration dans cette période, où beaucoup d’employeurs se servent de la crise sanitaire pour ne pas ouvrir certaines négociations et surtout ne pas les faire aboutir, constate ainsi Véronique Le Breton, secrétaire fédérale de la CFDT Santé-sociaux. Le contexte actuel est très compliqué et anxiogène pour toutes nos équipes, qui portent nos revendications et celles des salariés sans obtenir d’avancées réelles, au prétexte des contraintes budgétaires, de la crise sanitaire et d’un manque de lisibilité de l’avenir. » Sur le terrain cependant, cette situation de crise a pu occasionner des échanges plus nombreux et plus denses entre représentants du personnel et directions. Même si « la crise sanitaire a pu générer des moments de crispation, elle a aussi fourni l’occasion d’avancer ensemble, constate Stéphanie Duvert. A côté des temps de rencontres formelles, d’autres espaces de discussion et d’information ont été nécessaires. »

De là à penser que le dialogue social sortira grandi, voire transformé, de cet épisode, il n’y aurait qu’un pas que personne n’ose franchir. « Il y a eu une solidarité plus importante pendant cette période, particulièrement dans les Ehpad, reconnaît Françoise Kalb, secrétaire nationale UNSA santé et sociaux public et privé. Et donc plus de dialogue. Cela a rapproché la direction des salariés, sans que l’on sache si cela va durer. » La déléguée syndicale dit cependant avoir été contactée par des directeurs d’Ehpad « pour étudier, à la suite de la crise de la Covid, les moyens d’introduire de nouvelles dispositions dans les lignes directrices de gestion pour valoriser les agents ». Dans les établissements publics en effet, la gestion de la crise arrive dans un contexte juridique qui rebat les cartes du dialogue social, en permettant plus de souplesse dans l’individualisation des parcours des agents. « La loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 met les syndicats au cœur de la stratégie RH, constate Jean-Pierre Stellitano. Elle doit désormais être validée par les instances représentatives du personnel. Et l’ancienneté ne sera plus le seul critère d’avancement. » Un sujet qui va certainement occasionner des tensions au sein d’établissements qui n’auraient pas anticipé les négociations sur ce thème. « Nous n’avons pas attendu la loi pour mettre en place des critères d’évaluation et d’auto-évaluation, ensemble avec les syndicats, poursuit le directeur. L’idée n’est pas d’effectuer un changement brutal, en imposant un avancement qui exclurait les critères d’ancienneté à 100 %, mais progressif, notamment en professionnalisant les encadrants sur l’entretien professionnel. »

Les sujets « chauds » de négociation, dans le public comme dans le privé, ne manquent donc pas. Sur le devant de la scène, la revalorisation salariale née du Ségur de la santé(2) et excluant certains professionnels a un effet tangible : celui de rapprocher salariés et directions, ces dernières craignant particulièrement que les métiers « oubliés » ne souffrent encore plus d’un défaut d’attractivité. Mis en porte-à-faux, les directeurs d’associations et d’établissements deviennent ainsi « des porte-parole des instances représentatives du personnel auprès des financeurs et des pouvoirs publics pour revendiquer une reconnaissance de tous les salariés de première ligne », résume Manuel Pélissié. Mais la situation peut même occasionner des tensions entre représentants du personnel eux-mêmes. « Pendant une réunion du CSE, où nous présentions les dispositions du Ségur, une salariée s’est réjouie publiquement parce qu’elle était concernée par la revalorisation salariale, témoigne un directeur d’établissement. Les autres lui ont fait comprendre de rester plus discrète. Nous sommes au bord d’un conflit social qui risque de faire très mal. » Et auquel tous les responsables d’établissement ne sont pas préparés…

 


(1) Voir ASH n° 3187 du 4-12-20, p. 6.

(2) Voir ASH n° 3216 du 2-07-21, p. 6.

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