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A Calais, la « confiscation » des affaires des exilés ne passe plus

L'affichage dans Calais de la campagne des trois associations, le 18 octobre 2021 

Crédit photo Louis Witter
Près de 5 000 tentes et bâches confisquées depuis janvier, 72 % des personnes exilées qui ne retrouvent pas leurs affaires après les saisies : les chiffres des associations sont incontestables et mettent en lumière un protocole qu’elles dénoncent depuis deux ans déjà.

« Si l’Etat venait prendre vos affaires de force pour les entasser ici, vous appelleriez ça du vol ? Depuis janvier, l’Etat a détruit au moins 2 833 abris à Calais. » Ce 18 octobre, une campagne d’affichage essaime un peu partout dans la ville de Calais. Elle est le fait de trois associations locales, La Cabane juridique, Human Rights Observers – un projet soutenu par L’Auberge des migrants – et Utopia 56. A travers cette campagne, ces associations souhaitent dénoncer le « Protocole ressourcerie » mis en place par les autorités en 2018 et qui, en théorie, devait permettre aux personnes exilées de retrouver leurs effets personnels saisies lors des expulsions matinales.

Depuis le mois d’août, ces expulsions ont lieu tous les jours ou toutes les quarante-huit heures. Un rythme quasi industriel, qui voit chaque matin son lot de biens et de tentes, souvent pleines, être emporté dans un conteneur situé en périphérie de Calais, dans un lieu se nommant « La Ressourcerie ». Dans le déroulé du protocole, communiqué aux associations de terrain, il est mentionné noir sur blanc que les forces de police « doivent permettre un temps suffisant pour que les personnes récupèrent leurs affaires personnelles ». Dans les faits, les expulsions s’exécutent rapidement et de nombreux exilés ne peuvent pas les ramasser avant leur saisie par les équipes de nettoyage mandatées par la préfecture. Si une partie de ces affaires est directement envoyée en déchetterie, l’autre est mise à disposition pendant quelques jours.

« Jamais informés »

Jusqu’en août, cet endroit n’était ouvert que deux heures par jour et accessible uniquement aux personnes exilées accompagnées d’associatifs. Dans le conteneur, humidité, boue et saleté rendaient la récupération des affaires laborieuses pour les associatifs et les exilés. Dans les sacs à dos, médicaments, papiers, téléphones portables ou batteries externes. Wela Ouertani, de La Cabane juridique, souligne que « jamais les personnes n’étaient informées, ni par les policiers, ni par les  traducteurs, de l’existence d’un tel dispositif ». Pire, « bon nombre d’affaires comme les papiers d’identité doivent être conservés sous scellés pendant deux ans, ça n’a jamais été le cas et beaucoup de personnes ont perdu des papiers importants lors des saisies ».

Depuis 2019, seuls les bénévoles de Human Rights Observers (HRO) accompagnaient quotidiennement les exilés pour récupérer leurs affaires à la suite des expulsions. Sur le terrain, leur rôle est d’observer les évacuations et de lister avec précision les éventuelles atteintes aux droits humains et les saisies matérielles. L’ONG a décidé, fin août, de ne plus participer à ce protocole « ressourcerie ». Pour Emma, coordinatrice de HRO à Calais, « ce fut pour nous une décision compliquée. 72 % des personnes exilées qu’on accompagnait à la ressourcerie n’ont jamais retrouvé leurs affaires dans le conteneur, cela veut dire que 28 % d’entre elles les retrouvaient. Mais on ne veut plus participer à ce système extrêmement infantilisant et humiliant. »

En cause, l’accompagnement systématique des personnes exilées par les associatifs : « On devait noter la couleur du sac que telle personne avait perdu avant de le lui restituer, gérer cinquante personnes en détresse qui cherchaient souvent en vain des affaires importantes pour elles. De plus, toutes les deux semaines, le conteneur était envoyé à la déchetterie, ne laissant plus aucune chance à celles et ceux qui, par exemple, n’étaient pas au courant de l’existence de ce dispositif. »

« Rien ne changera ici »

Depuis le 11 octobre à Calais, le père Philippe Demeestere, Anaïs Vogel et Ludovic Holbein sont en grève de la faim dans l’église Saint-Pierre. 24 jours sans manger, pour notamment demander l’arrêt du vol et de la destruction des biens des personnes exilées à Calais. Des réunions en préfecture, il ressort que ce protocole serait aujourd’hui amené à évoluer, sans toutefois convaincre les associatifs. De plus grandes plages horaires seraient proposées pour venir récupérer les affaires, qui seraient  séchées avant restitution et non plus stockées dans un unique conteneur. Enfin, des personnes mandatées par l’Etat se chargeraient de leur restitution, et non les associations dont ce n’est pas la mission première.

Le médiateur et directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) Didier Leschi a également annoncé, pour les grosses expulsions (et non les expulsions quotidiennes), que les personnes pourraient être prévenues la veille afin de préparer leurs maigres bagages. Tout en leur laissant, le matin même, un délai de 45 minutes pour prendre le peu qu’il leur reste avant d’éventuelles propositions de mise à l’abri.

Ce mardi 2 novembre, les associations sont sorties en colère de leur rendez-vous avec le médiateur. « Les propositions sont déconnectées de la réalité. Nous ne négocierons pas des propositions illégales et hypocrites qui ne règlent en rien le problème », s’indignent-elles. Et un membre d’une association d’ajouter, passablement dégoûté : « Il n’a rien écouté. Il a répété ce qu’il a dit sur les plateaux télé tout le week-end. Rien ne changera ici. Ce qu’il propose, c’est juste un peu de paillettes sur de la boue. »

Société

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