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A Calais, une grève de la faim pour dénoncer les conditions de vie des exilés

Crédit photo Louis Witter
Lundi 11 octobre, à Calais, trois personnes ont entamé une grève de la faim illimitée pour demander l’arrêt des expulsions et des confiscations quotidiennes à l’égard des migrants dans le Pas-de-Calais. Une action radicale pour « contrer un Etat qui se radicalise ».

« Un cantique que je connais depuis l’enfance se demande qui habitera dans la maison du Seigneur ? Maintenant, on dirait bien que c’est moi », lâche, rieur, le père Philippe. Le jésuite de 72 ans est en grève de la faim depuis maintenant dix jours aux côtés de Ludovic Holbein et d’Anaïs Vogel. Ils veulent ainsi dénoncer les conditions de vie des exilés à la frontière franco-britannique.

Dans l’église Saint-Pierre de Calais, qu’ils ont investie le lundi 11 octobre et où ils vivent et dorment désormais, les trois grévistes tiennent bon et gardent le sourire. « Si on peut encore rire, c’est que ça va », reconnaît Anaïs. Les premiers jours ont été difficiles, entre les passages nombreux de journalistes venus de toute la France et les discussions animées, le soir, autour de thématiques comme les frontières ou l’exil. Le premier jeudi soir, par exemple, les travaux de plusieurs chercheurs ont été présentés lors d’une table ronde organisée par le Secours catholique local. L’une de ces présentations soulignait la perpétuelle mise en scène de l’exécutif et la démonstration de force autour de la frontière : « A la veille d’une élection présidentielle, on voit que l’Etat place le curseur à droite pour montrer qu’il agit. »

Philippe, Anaïs et Ludovic dénoncent cette communication, qui a des conséquences directes sur la vie des personnes exilées à Calais et aux alentours. Au terme « revendications », le père Philippe préfère celui de « demandes ». Et, pour lui, « elles sont simples et claires ».

D’abord, l’arrêt des expulsions quasi quotidiennes des lieux de vie durant la trêve hivernale, qui débutera le 1ernovembre. L’an dernier, à Calais comme à Grande-Synthe, la trêve hivernale n’existait pas pour les sans-papiers, qui se sont vu quotidiennement retirer leurs biens par les forces de l’ordre.

La seconde demande porte sur l’arrêt de la confiscation des tentes et des effets personnels des personnes exilées. Dans un travail effectué par Utopia 56, Human Rights Observers et La Cabane juridique, les chiffres sont frappants : plus de 72 % des personnes exilées, à la suite de la saisie de leurs affaires par les équipes de nettoyage, ne retrouvent jamais leurs effets de valeurs comme leurs téléphones, leurs papiers d’identité ou… leur argent.  

Les trois grévistes souhaitent enfin l’ouverture d’un dialogue entre les autorités et les associations non mandatées par l’Etat. Lorsque ces dernières effectuent leurs distributions, elles sont, depuis un an, sans cesse repoussées hors de la ville par un arrêté préfectoral controversé.

A leurs côtés, près des trois lits de camp qu’ils ont installés pour une durée illimitée dans le fond de l’église, des tracts expliquent leur démarche et leur action. L’un est leur manifeste. Sur un autre, écrit par des personnes exilées, on peut lire : « Ayez pitié des passants. » Ces passants, ce sont eux, qui veulent simplement traverser la Manche et parvenir enfin sur les côtes anglaises. Il se conclut par cette prise de position : « Nous sommes inébranlables car nous n’avons pas quitté notre pays par choix mais nous avons fui à cause de la guerre, de la peur pour nos vies et de la souffrance. »

Cette grève de la faim survient deux semaines après le décès de Yasser, un jeune homme soudanais qui tentait de rejoindre l’Angleterre par camion. A la suite de cet événement, ses proches et des personnes exilées avaient organisé une manifestation pour dénoncer les violences à leur encontre, appuyée par un rapport circonstancié de l’ONG Human Rights Watch.

Depuis qu’ils occupent l’église, de nombreux Calaisiens et Calaisiennes viennent leur apporter du soutien. Samedi soir, plusieurs chaises sont installées et la discussion va bon train. On est même venu de Normandie pour soutenir et appuyer leur démarche. Le lendemain, à la sortie de la messe, l’action divise pourtant. « On nous a rapporté que des gens ne trouvaient pas le lieu adéquat pour une grève de la faim », dit Anaïs, avant de rire : « Mais au moins, si on meurt, on est au bon endroit. » Et Philippe de renchérir : « Ça fera des économies de porteurs, on sera tellement légers. »

Pour le moment, les réactions officielles se font attendre et aucune proposition n’a été formulée. Le préfet du Pas-de-Calais, Louis Lefranc, a simplement « regretté la méthode employée » dans les colonnes de La Voix du Nord. Mais la sous-préfète de Calais, Véronique Deprez-Boudier, est discrètement passée samedi matin s’entretenir avec les grévistes pendant plus d’une heure. Ludovic en a profité pour être pédagogue : « On lui a notamment expliqué que la confiscation des effets personnels des exilés était un vrai problème. Ce à quoi elle a répondu que ça n’était pas vraiment de la confiscation. Alors j’ai fait le parallèle avec les cartes Pokemon pour les écoliers. Quand on leur prend quelque chose et qu’ensuite on leur rend, ou pas, ça s’appelle bien de la confiscation. »

« Nos demandes sont assez minimes par rapport à ce que l’on serait en droit d’attendre d’un Etat comme le nôtre », affirment de concert les trois grévistes de la faim. La trêve hivernale sera-t-elle respectée à partir du 1er novembre ? « On espère ne pas cesser de manger jusque-là », concède Anaïs. Une pétition pour les soutenir, lancée le 11 octobre, réunissait mardi plus de 16 000 signatures. Lundi prochain, ils entreront, déjà, dans leur troisième semaine de grève de la faim.

 

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