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En Allemagne, un refus du confinement guidé par des choix sociaux

Angela Merkel

Angela Merkel, la chancelière allemande, n'a pas choisi le confinement généralisé pour lutter contre le Covid-19. Avec succès.

Crédit photo Tobias Koch/Creative Commons
Pas de confinement pour l’Allemagne. Le pays a opté pour une autre stratégie face au coronavirus : restreindre les contacts. Moins entravés dans l’exercice de leurs métiers que dans d’autres pays européens, les travailleurs sociaux ont tout de même dû s’adapter.

Le 22 mars, les rumeurs vont bon train en Allemagne. Après avoir fermé les écoles, la plupart des magasins et interdit les voyages, c’est certain : le pays va entrer, lui aussi, en confinement. Il n’en sera rien. Après des débats agités avec les ministres-présidents des 16 Länder, les régions allemandes, la vision de la chancelière Angela Merkel l’a emporté : oui à la restriction des contacts, non à l’interdiction de sortir pour ses 83 millions de concitoyens.

Fédéralisme oblige, les règles sont plus ou moins strictes selon les régions. Mais la ligne générale est la même : les Allemands ont le droit d’aller à l’extérieur, sans limite de temps et sans justificatif, soit en famille, soit à deux, c’est-à-dire avec une personne extérieure à leur propre foyer.

« Ce n'est pas le fait de quitter son domicile qui est dangereux, mais plutôt un contact étroit et direct », a expliqué Armin Laschet, proche d’Angela Merkel et dirigeant du Land le plus peuplé d’Allemagne, la Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Interdire les contacts avec plus d’une personne lui semble « plus proportionné, plus ciblé et plus facile à mettre en œuvre » qu'un confinement. Les dirigeants préfèrent miser sur la responsabilité individuelle et la pression sociale pour inciter les Allemands à respecter les mesures de distanciation.

Le vécu d’Angela Merkel

La stratégie est certainement facilitée par le fait que l’Allemagne affronte la pandémie dans de meilleures conditions que ses voisins, comptant la plus grande capacité de lits en soins intensifs par habitant d’Europe, la troisième du monde. Mais ce n’est pas la seule explication.

Angela Merkel a l’expérience de ce que peut signifier le confinement. Celle qui a vécu sous la dictature de l’ex-Allemagne de l’Est l’a rappelé : « Pour quelqu'un comme moi, pour qui la liberté de voyage et de circulation a été un droit durement acquis, de telles restrictions ne peuvent être justifiées que par une nécessité absolue », a-t-elle souligné lors d’une allocution télévisée.

Surtout, la chancelière, qui a grandi auprès d’enfants handicapés, redoute un décrochage des plus fragiles. En petit comité, elle a mis en garde contre les conséquences psychologiques du confinement, dans un pays où plus de 40 % des personnes vivent seules. Selon le quotidien Süddeutsche Zeitung, elle s’est inquiétée d’« un nombre de morts liés à des suicides du fait de l’isolement, liés à des violences domestiques, qui pourrait être au final plus important que le nombre de morts dus au coronavirus ». Le gouvernement craint particulièrement que les zones les plus socialement défavorisées ne deviennent le théâtre de violences à l’égard du conjoint et des enfants.

La langue de Goethe a même une expression consacrée pour décrire ces violences : le Lagerkoller désigne une éruption de colère due à un confinement, qui se retourne contre soi ou les autres, et que l’on observe d’ordinaire dans des camps de réfugiés, des prisons ou des casernes.

Soulagement

Du côté des travailleurs sociaux, cette stratégie a été accueillie avec soulagement. « Ce choix d’une solution modérée nous rend le travail plus facile », atteste Jennifer Peschmann, qui fait de l’accompagnement psychosocial auprès de personnes en situation de handicap psychique en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Les malades qu’elle suit ont leur propre domicile. « La situation est particulièrement insécurisante pour eux, ils ont peur du virus, peur d’être isolés, ils ont des difficultés à faire leurs courses, raconte-t-elle. Mais avec la réglementation actuelle, je peux continuer à les voir dehors, dans la rue, sur un banc ou à l’occasion d’une promenade en forêt. Quelques-uns ont même découvert que les activités en extérieur leur faisaient du bien. » L’objectif étant d’éviter que les situations ne se dégradent. « On sait qu’il est beaucoup plus difficile de retourner à un suivi ambulatoire après une crise. Plus les restrictions seront longues, plus la crise économique sera forte, plus le défi sera grand », analyse celle qui est aussi chercheuse en thérapie sociale à l’université de Kassel.

Margit Risthaus a, elle aussi, dû s’adapter : à Düsseldorf, elle dirige des centres pour seniors de la Diakonie, l’œuvre sociale de l’Eglise protestante. D’ordinaire, elle s’adresse à des retraités qui veulent s’engager dans de nouvelles activités et faire des connaissances. « On a fermé les centres et diffusé mon numéro de téléphone : j’ai soudainement été confrontée à un public plus âgé, plus isolé et plus sensible aux mesures de restriction, raconte-t-elle. Il a fallu évaluer les besoins, organiser de l’aide. Heureusement, on a rapidement pu compter sur la solidarité du voisinage et des associations locales. »

Cet engagement citoyen, très important dans la culture allemande, est un atout en période de crise. Le pays compte 31 millions de bénévoles, près d’un jeune de moins de 25 ans sur deux s’engage. Des ressources humaines qui ont rapidement pris le relais de services sociaux contraints de lever le pied, notamment dans l’aide aux sans-abri et aux personnes âgées.

Une aide sociale déléguée

Outre-Rhin, le travail social est rarement assuré par l’administration publique. Il est délégué à des institutions indépendantes, piliers de l’Etat-providence allemand. C’est le principe de « subsidiarité », selon lequel la responsabilité d’une action d’intérêt général revient à l’organisation la plus proche du terrain et des bénéficiaires de cette action.

Les deux mastodontes du secteur sont des émanations des églises protestante et catholique, la Diakonie et Caritas. Elles organisent leur travail à l’échelon des paroisses et gèrent aussi bien des crèches, des maisons de retraite ou des hôpitaux que des centres d’aide aux chômeurs, des foyers d’accueil de migrants ou de personnes handicapées.

Au total, le secteur dépense chaque année 55 milliards d’euros et emploie près de deux millions de travailleurs sociaux, Caritas étant à lui seul le plus gros employeur privé d’Allemagne. Le financement diffère selon les activités : subventions municipales pour la petite enfance, caisses d’assurances maladie pour le handicap, etc. Ces organisations peuvent aussi compter sur les dons, sans oublier une partie de l’impôt sur le culte reversé aux Eglises, obligatoire pour tout Allemand baptisé.

« Des tabous sont tombés »

Dès fin février, les 25 000 institutions du réseau Caritas ont commencé à réfléchir à la réorganisation de leur travail. « Notre secteur est complètement décentralisé et très régulé. Les changements structurels sont normalement très lents, explique Mathilde Langendorf, porte-parole de la fédération. Mais là, dans l’urgence, des tabous sont tombés. Ce qui est d’ordinaire impossible est devenu possible. Des employés de crèches, au chômage technique, ont par exemple été rebasculés sur des postes en maison de retraite. »

Mais ces solutions de substitution ne sont pas applicables à tous les métiers du travail social. En Allemagne aussi, certains secteurs, comme l’aide à l’enfance et aux femmes, souffrent particulièrement de la crise actuelle. Pour Bernhard Huf, conseiller auprès de familles en difficulté à Berlin, la restriction des contacts est un obstacle considérable à la prise en charge. « Depuis que nous sommes passés à des consultations par téléphone, le nombre de demandes a diminué de plus de moitié, constate-t-il. Cela ne signifie pas que les familles vont bien, au contraire. Mais elles attendent de pouvoir nous voir à nouveau pour se manifester. »

Selon la police, le nombre de signalements pour violences domestiques dans la capitale a augmenté de 11 % sur la première quinzaine de mars par rapport à l’an dernier. « Nous avons reçu des appels au secours de la part d’enfants, mais aussi de parents qui sont sur le point de craquer », témoigne Tim Rauchhaus, de l’association pour enfants défavorisés L’Arche. Ses éducateurs restent sur le terrain mais ne peuvent pas pour autant assurer les  missions des agents de l’Office public de protection de la jeunesse, contraints au télétravail.

Pour L’Arche comme pour d’autres petites associations, le problème est aussi économique : uniquement financées par des dons, elles ne peuvent prétendre aux aides exceptionnelles de l’Etat. Car pour éviter que l’édifice social ne s’effondre, la première économie d’Europe a ouvert son fonds de sauvetage des entreprises de 1 100 milliards d’euros aux associations prestataires de services sociaux. Ces structures sont ainsi assurées de toucher 75 % de leurs revenus mensuels, mais à la condition qu’elles reçoivent déjà de l’argent public.

Tandis que plusieurs pays européens prolongent le confinement, l’Allemagne envisage déjà un retour progressif à la normale. Les milieux économiques font pression, mais la question sociale est aussi au cœur de la réflexion. En attendant la réouverture des crèches et écoles, certains Länder ont pris les devants en accueillant à nouveau les enfants victimes de violences domestiques.

 

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