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Exil : à Calais, le 304e mort depuis 1999

Hommage à Yasser, un jeune Soudanais de 20 ans, est mort à la frontière franco-britannique

Crédit photo Louis Witter
Migration – A l’aube du mardi 28 septembre, Yasser, un jeune Soudanais de 20 ans, est mort à la frontière franco-britannique en tentant de monter dans un camion en direction de l’Angleterre. Exilés et associations sont depuis mobilisées pour ne pas oublier.

A Transmarck, situé dans l’est de Calais, le balai incessant des camions en partance pour l’Angleterre est un lieu de passage prisé par les candidats à l’exil. Derrière de hautes grilles et des barbelés, cernés par des agents de sécurité privée et des policiers, les poids lourds qui font la liaison entre la France et le Royaume-Uni attendent, chaque nuit. Ce matin du 28 septembre, il ne fait pas encore jour lorsque l’équipe d’urgence d’Utopia 56 reçoit un appel sur le téléphone de l’association, « quelqu’un venait de se faire percuter par un camion », détaille Marguerite Combes, coordinatrice pour la ville. « C’est un endroit où il y a souvent des accidents et des personnes blessées. Mais à ce moment-là, on n’imaginait pas vraiment ce qui s’était passé. » Sur place, les policiers appellent les pompiers et, quelques minutes plus tard, les équipes d’Utopia arrivent. Tout de suite, la police leur annonce le décès de la victime percutée par le camion mais leur demande de ne pas prévenir les personnes qui l’accompagnaient, qui attendent un peu plus loin.

Après de longues minutes, les policiers reviennent et annoncent brièvement la tragique nouvelle. Présents sur place, des associatifs tentent de convaincre la préfecture et le commissariat de Calais de ne pas procéder à l’expulsion, ce matin-là, du campement où vivent certains de ses proches et amis. « On vous rappelle », répond la préfecture. De coup de fil, il n’ y aura point. Quelques heures après avoir appris la mort de leur ami, les personnes exilées se voient saisir leurs tentes par les autorités. Le lendemain, un hommage est organisé au centre-ville comme à chaque décès. Ecrite par les amis de Yasser, une lettre ouverte est lue à voix haute « La mort est dans nos yeux, la peur et l’anxiété ne quittent pas nos esprits. » Dans celle-ci, les exilés lancent un appel aux policiers, aux conducteurs de poids lourds, à la ville. Alors qu’un rapport de Human Rights Watch pointe les « humiliations » et le « harcèlement » subis par les personnes en transit à la frontière, cette lettre ouverte s’adresse directement aux policiers : « Vous venez tôt le matin et prenez nos affaires de fortune comme si elles n’étaient rien pour vous. Mais vous savez qu’elles sont tout pour nous. »

Coursé par des chiens

A la suite de cet hommage, plusieurs amis de Yasser et des membres de la communauté soudanaise ne souhaitent pas en rester là. Cette mort est de trop. La situation ne peut plus durer. Alors, pendant plusieurs jours, ils vont se concerter avec les associations pour organiser une manifestation en hommage à Yasser et demander la fin des violences. Elle a été organisée le vendredi 8 octobre, au lendemain des funérailles qui se sont déroulées avec ses proches dans un cimetière de Calais, dans la grisaille. Des accolades de réconfort, des larmes et du recueillement. Certains membres des associations qui agissent sur place étaient présents, en retrait, discrets, en gage de soutien.

Le jour J, la manifestation n’a pas pu entrer dans le centre-ville. Le parcours, bien que négocié en amont avec les autorités, a été modifié au dernier moment par les services de la préfecture. Omar, 24 ans, est dans la rue ce jour-là, battant le pavé aux cris de « Pas de violences policières ! » et « Ouvrez les frontières ! ». « Nous sommes là car nous avons perdu l’un des nôtres », témoigne-t-il. Brahim,  originaire d’Erythrée et survivant à Calais depuis quatre mois, est aussi de la manifestation. Il a écrit une pancarte sur laquelle est inscrit « migration is not a crime » (l’immigration n’est pas un crime).

Lui aussi, il a tenté le passage par les camions. Sorti du poids lourd par des agents de sécurité privée, il a été frappé et un de ses amis a été coursé par des chiens. « Nous sommes là simplement parce que nous avons des rêves : étudier, avoir un boulot. J’ai quitté mes études d’ingénieur en technologies informatiques pour aller en Angleterre. C’est ce que les politiciens d’ici ne comprennent pas. »

Après la sortie du rapport de Human Rights Watch, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a effectué un déplacement express dans le Pas-de-Calais. Sur une plage de Marck plus précisément. Rendre hommage au travail effectué par les forces de l’ordre, les féliciter de leur engagement, tel était l’objet de cette sortie essentiellement médiatique. Face aux bateaux et gilets de sauvetage qui lui étaient présentés, dans une mise en scène à la solennité douteuse, il n’a pas eu un mot pour le jeune Yasser ni pour les 303 autres exilés qui ont perdu la vie à la frontière. Lorsque, micros tendus devant lui, un journaliste d’une chaîne nationale l’a interrogé sur les violences et le harcèlement dénoncées par les organisations non gouvernementales (ONG), le ministre a éludé la question, ne faisant que louer le quotidien difficile des effectifs de police, « qui travaillent souvent de nuit ». Deux mondes, deux réalités.

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