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Pierre Nantas : « La crise sanitaire accentue les côtés “borderline“ de notre société »

Pierre Nantas

Le psychologue Pierre Nantas

Crédit photo DR
 La société favorise l’émergence de personnalités « borderline ». C’est la thèse du psychothérapeute Pierre Nantas, qui plaide pour une « union sacrée » entre les éducateurs et intervenants auprès de publics en difficultés et les psychothérapeutes. D’autant que la crise du coronavirus aura des conséquences à la fois sociales et psychologiques.  

Actualités sociales hebdomadaires : Quel impact la crise sanitaire en cours aura-t-elle sur notre société ?

Pierre Nantas : Cette crise va accentuer les côtés « borderline » de notre société. Notamment parce que nous sommes confrontés à une ambivalence du discours. Un exemple : au même moment, on nous demande de ne pas nous rassembler et d’aller voter. Le double discours des dirigeants favorise la mise en place de comportements « borderline » comme le stockage de produits alimentaires. Cela traduit la peur du manque, qui peut faire écho à celle de la mort ou de l’abandon, fréquente dans ce trouble. On risque aussi de voir se renforcer des comportements transgressifs, addictifs ou encore agressifs envers soi-même ou les autres. Le confinement conduit à l’explosion de tous les aspects de cette pathologie. Pour dépasser cela, il convient de revenir à l’essentiel et de se positionner non comme quelqu’un qui subit la situation mais comme quelqu’un qui la manage. Un phénomène de résilience finira, après la crise, par se mettre en place.

De 3,5 à 4 % de la population française aurait un trouble de la personnalité « borderline ». Pouvez-vous le définir ?

P. N. : Le psychiatre Jean Bergeret a été le premier à en dessiner les contours dans les années 1950. Il l’a appelé « état limite », car ce n’est ni une psychose, ni une névrose. Il se distingue de la bipolarité en ce qu’il est diagnostiqué au travers de neuf critères, dont la peur de l’abandon, celle de l’échec, la mauvaise image de soi et, surtout, le sentiment très fort d’un vide intérieur. Evidemment, on peut ressentir tel ou tel de ces sentiments sans que cela soit pathologique. Mais dès lors que celui-ci s’accompagne, d’une part, de symptômes comme le risque de suicide ou des conduites addictives et, d’autre part, de conduites violentes à l’égard d’autrui ou d’objets, le diagnostic peut souvent être posé. La population la plus exposée est âgée de 18 à 30 ans. Cela tient notamment au fait qu’on ne diagnostique pas ce trouble avant la sortie de l’adolescence, puisque ces sentiments, en particulier celui que rien n’a de sens, peuvent être présents un temps chez les adolescents sans que cela dénote une personnalité « borderline ». Chez les plus âgés, ce trouble peut évoluer vers un comportement dépressif sur lequel les thérapies médicamenteuses ont peu d’effet.

Selon vous, les comportements « borderline » seraient aussi le symptôme d’une société qui va mal…

P. N. : Une personnalité « borderline » a des prédispositions d’ordre émotionnel qui la rendent plus fragile face à une société qui tient si peu compte des émotions. D’autre part, elle s’appropriera plus facilement que la moyenne les produits disponibles dans la société, l’alcool ou les drogues, qui renforcent la révolte et la provocation, si présentes chez les « borderline ». Les réseaux sociaux décuplent leurs problématiques, tout particulièrement celle de la mauvaise image de soi, leur permettant parfois de s’épanouir mais aussi de se détruire : un « dislike »  peut par exemple avoir de terribles conséquences. Et, bien sûr, une société où il faut être jeune, beau, penser comme tout le monde a vite fait de mettre à l’écart ceux qui veulent résister. Les plus faibles, en ce qu’ils sont plus impactés par ces dérives, les mettent en évidence. Voilà pourquoi j’aimerais susciter des vocations chez les sociologues, pour qu’ils s’intéressent davantage aux individus, et pas seulement aux effets de groupe et de masse. De plus, si on ne travaille pas sur les ghettos que forment les individus pour se protéger, on va aboutir à une société « borderline ». Pour limiter ce risque, il est urgent de remettre de l’écoute, de l’échange, de la communication. Or, en ce moment, personne n’écoute personne.

Concrètement, quel peut être le rôle d’accompagnement des professionnels du secteur médico-social ?

P. N. : Il est énorme, puisqu’ils sont en contact avec cette population fragile susceptible de s’isoler, de se sentir rejetée, d’être malade. Ils doivent créer du lien, rétablir une communication pour recréer une bienveillance chez l’individu qui a parfois été écrasé par la société. Aujourd’hui, si l’on ramasse quelque chose qu’une personne vient de faire tomber, on est soupçonné de vouloir le voler. Si on dit « bonjour » dans un métro, on passe pour un fou. La bienveillance a totalement disparu de notre société. Il faut travailler non sur les peurs des personnes, mais sur leurs ressources, sur ce qu’elles apportent à la société et sur ce qu’elles attendent d’elle. Il faut les aider à trouver un équilibre entre une société qui leur apporterait tout et une société qui les laisserait totalement se débrouiller seules. Un peu comme dans une famille, qui ne doit ni être étouffante ni laisser les enfants livrés à eux-mêmes. Ces extrêmes génèrent soit des inaptitudes, soit des terreurs.

Dans ce contexte, les intervenants de l’aide sociale à l’enfance semblent se retrouver au premier plan…

P. N. : Nombre de patients « borderline » sont passés par ces structures. Leurs personnels font un extraordinaire travail de réparation, qui parvient à éviter à certains enfants de passer entre les mains des psychiatres. Nous souffrons d’un manque de structures. Le plus souvent, elles font bien leur travail. Pour aller plus loin, idéalement, il serait bien que les éducateurs se sensibilisent à ce trouble « borderline », pour se montrer encore plus pertinents. Si tant de patients sortent de ces dispositifs, c’est que les éducateurs sont débordés et en manque d’effectifs. L’autre difficulté, c’est la contradiction qui apparaît parfois entre le message de l’éducateur et celui de la société. Un exemple : le premier invite à trouver un travail, aide à y parvenir ; la seconde offre des tentations pour gagner sa vie de façon moins légale… Cette ambivalence, c’est un peu le combat de David contre Goliath. On vit dans une société du « tout, tout de suite », où la frustration n’est plus admise. Tandis que l’éducateur, lui, tente justement d’apprendre à la supporter.

Sur le plan théorique, dès lors, ne serait-il pas intéressant que les chercheurs de diverses disciplines travaillent de concert ?

P. N. : Si l’on pouvait développer des ponts de connaissances entre sociologues, psychosociologues et psychologues de terrain, ce serait très bien. Il nous faudrait réaliser cette union sacrée aussi avec les professionnels comme les éducateurs, les structures d’accueil… Il nous faut réaliser un mélange entre les dimensions sociale et psychologique.

 


Président de l’Aforpel (Association pour la formation et la promotion de l’état limite), Pierre Nantas anime des formations à destination des professionnels. Il a coécrit avec Patrick Menu Système borderline. Histoires de familles (éd. L’Harmattan, 2019).

Site : Aforpel.org.

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