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Pierre Rosenczveig : « Le rapport Woerth est consternant »

Entre recentralisation ou intégration au service départemental des solidarités, le rapport Woerth reste flou sur la protection de l'enfance, selon l'ex-magistrat Jean-Pierre Rosenczveig.

Crédit photo DR
[ TRIBUNE ] Quelques jours après la présentation par Eric Woerth d'un rapport sur la décentralisation dont une partie est consacrée à la protection de l'enfance, Jean-Pierre Rosenczveig, ex-président du tribunal pour enfants de Bobigny, membre du CNPE (Conseil national de la protection de l'enfance), remet les pendules à l'heure sur un texte qu'il estime « creux ».

C’est peu dire que le rapport remis officiellement le 30 mai au président de la République par l’ancien ministre Eric Woerth est décevant, sinon consternant. Difficile à la lecture des quelques lignes consacrées à la protection de l’enfance de se faire une idée de l’opinion mûrement réfléchie que les rapporteurs portent sur ce dispositif. Et déjà de ce qu’ils en savent. Pas grand-chose à l’évidence.

Tout au plus le rapport dénonce-t-il l’inégalité des réponses apportées sur le terrain aux enfants, sans d’ailleurs donner la moindre illustration concrète de son assertion : « La prise en charge de l’enfance diffère sensiblement d’un territoire l’autre ». En quoi ? N’eut-il pas fallu préciser à problème identique ? Disparité veut-il dire que tout est contestable ? Sur quels critères ? Surtout, en quoi est-ce un problème quand la décentralisation opérée en 1982-1984 avait justement pour objet de permettre aux conseils départementaux de mener les politiques adaptées aux besoins territoriaux ? Pas la moindre référence à cette histoire des institutions sociales sachant que, si rien n’est figé dans le marbre, il convient de ne pas reproduire certaines erreurs.

Beaucoup trop d'approximations

Les limites explicites dans la maîtrise du sujet débouchent sinon sur des contre-vérités, du moins contribuent à ne pas bien poser les termes des difficultés à résoudre. Comme d’avancer que 19 370 jeunes – dixit l’ADF – ont été tenus pour mineurs étrangers isolés en 2023, surtout en omettant que, certes 34 500 mineurs et jeunes majeurs sur les 204 000 accueillis en fin d’année sont étrangers, mais que le nombre d’enfants et de jeunes majeurs pris en charge, bien de chez nous, a augmenté de 30 % ces dernières années.

Plus grave, on pourrait croire que, pour les rapporteurs, les mineurs non accompagnés (MNA) sont la source des problèmes de l’aide sociale à l'enfance (ASE). Certes ils posent des questions importantes mais l’arbre ne doit pas cacher la forêt.

Il est d’autres approximations, sinon erreurs d’analyse, qui discréditent le propos. Comme d’avancer que le Groupement d’intérêt public (GIP) France enfance protégée (FEP) a été institué par la loi de 2022 « pour se doter d’une instance de la gouvernance nationale » de la protection de l’enfance ou de dire qu’il n’y a pas aujourd’hui d’administration centrale en charge de ce dossier !

Intégration au service des solidarités 

Une lecture rapide conduirait à dire que le rapport prône la recentralisation de la protection de l’enfance. C‘est peut-être aller vite en besogne. Si le rapporteur ne cache pas son souci recentralisateur, le document est moins ferme. La recentralisation « pourrait se justifier » avance-t-il. Non pas « se justifie ». Il envisage aussi d’intégrer la protection de l’enfance au « service départemental des solidarités » préconisé en laissant le président du conseil départemental en responsabilité. Le rapport ne choisit pas. Et les deux hypothèses développées en quelques lignes laissent singulièrement perplexe.

Le « service départemental des solidarités » destiné à gérer les prestations légales est présenté comme une caisse alimentée par l’Etat, dirigée par le président du conseil départemental avec comme co-adjuteur le préfet et la securité sociale. Comme si la protection de l’enfance était un dispositif qui distribue des prestations ! On semble ignorer qu’il s’attache à apporter aux populations fragiles l’aide nécessaire pour éviter que leur situation ne se dégrade plus encore. La loi ne fixe pas de normes de base en cette matière à la différence des prestations légales. Tout au plus, et cela n’est pas négligeable, a-t-on le souhait d’une meilleure répartition des dotations d’Etat pour tenir compte des besoins territoriaux et des politiques menées. Cela va, pour le coup, dans le bon sens mais reste loin du sujet.

La recentralisation interroge tout autant

En se référant à l’inégalité des politiques départementales, le rapporteur appelle certes à une administration centrale, mais comment envisage-t-il concrètement la gestion des situations au quotidien ? Par un dispositif public territorial. On entend que le préfet retrouvera ses troupes d’avant 1982-1984 et son administration locale. On appréciera à sa juste mesure qu’une des conditions posées soit « le développement de services déconcentrés départementaux en cohérence avec le périmètre actuel et adapté à la structuration des acteurs locaux. Ce choix facilitera également (sic !) le transfert des collectivités vers l’Etat ». Qu’en termes élégants cela est-il dit ! Pas un mot sur la crise des personnels.

Quitte à relever au passage que si l’Etat est privé aujourd’hui d’administration territoriale, la RGPP (révision générale des politiques publiques), menée sous l’égide de Nicolas Sarkozy dont Eric Woerth était le ministre chargé de la réforme de l’Etat, a réduit le nombre de fonctionnaires.

On s’accroche quand il est avancé, comme autre condition, qu’il faudra « maintenir (sic) un dialogue (re-sic) avec le conseil départemental qui interviendrait toujours sur des politiques fortement imbriquées avec la protection de l’enfance (PMI, insertion, etc.) ». Dialogue ? Sur quoi ? Le type même d’énoncé politique creux.

Rien en revanche sur la proposition de réunir, dans une même main, l’action sociale, la PMI, l’ASE, le service de santé des élèves et le service social scolaire afin d’avoir une cohérence territoriale d’une politique de l’enfance.

La DGCS (Direction générale de la cohésion sociale) appréciera à sa juste mesure que l’on puisse poser comme autre condition « la création d’une administration nationale chargée de cette politique publique dans ses dimensions ministérielles et interministérielles : il n’existe pas aujourd’hui une administration dédiée au pilotage nationale la protection de l’enfance ». Faux ! Simplement les lois de 1982-1984, en transférant aux départements la mise en œuvre des politiques de protection de l’enfance, ont réduit le champ de responsabilité de cette direction.

Pour autant, si l’Etat est moins nu qu’il ne l’était voici quelques années pour définir une politique et en dégager les moyens, il peine à mener à bien sa mission d’animation générale, de promotion de la connaissance et des bonnes pratiques, d’aide aux évolutions. Ces responsabilités ont été confiées au GIP France enfance protégée, installé le 1er janvier 2023, mais nul ne sait encore comment elles seront assumées.

Encore un détail : comment définir et mettre en œuvre depuis Paris les 101 politiques adaptées aux besoins de familles de chaque territoire ?

Mieux allier les compétences

Lacunaire, simpliste et volontairement vague, le rapport fait fi des informations qui ont pu lui être fournies notamment par le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE). Indéniablement, la protection de l’enfance n’était pas au cœur des préoccupations d’Eric Woerth. C’est peu dire que cela se ressent. Le résultat est là. Désolant. En vérité, ce travail bâclé aura pour résultat de donner un atout à ceux qui, tels des cabris, prônent sans nuance « recentralisation, recentralisation, recentralisation ! » en méconnaissance du passé, quand la question à poser est celle de la manière dont l’Etat peut inciter, accompagner, obliger – quand cela est nécessaire – les collectivités territoriales à exercer leurs missions.

Au moment où la pression est si forte sur le dispositif, y a-t-il du temps et de l’énergie à perdre dans un grand bouleversement institutionnel au risque par ailleurs de casser des dynamiques positives – car il y en a. Le rapport en est lui-même conscient qui appelle à y veiller. « Néanmoins, un grand nombre départements parvient aussi à offrir un service public de qualité qu’une éventuelle réforme doit s’attacher à préserver. » Transfert aux collectivités ne voulait pas dire abandon de poste pour l’Etat ou qu’il se contente de faire la loi. C’est pourtant ce qui s’est passé… L’enjeu est bien aujourd’hui que chacun exerce réellement ses responsabilités comme y invitaient les lois de décentralisation.

A omettre l’histoire et la géographie avec son langage technocratique et vide, le rapport Woerth apparaît hors sol. On suivra néanmoins les initiatives qui sont annoncées en octobre. On observera aussi comment la commission parlementaire d’enquête sur la protection de l’enfance abordera cette question infiniment politique sur laquelle elle a reçu mandat. Nul doute qu’avec la culture de ses membres et ses auditions, ses préconisations dans un sens ou l’autre seront plus élaborées. Sans doute en viendra-t-on à considérer qu’il ne s’agit pas de renverser la table institutionnelle – recentraliser – ou se contenter du statu quo décentralisateur, mais de mieux allier les compétences publiques en veillant à maintenir en vie le secteur associatif.

Lire l'intégralité de la tribune 

 

 

Protection de l'enfance

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