Plus d’un an de travaux, marqués par 59 auditions, 126 acteurs entendus, sept déplacements et plusieurs contrôles sur pièces conduits par la rapporteure socialiste Isabelle Santiago. La commission d’enquête parlementaire, créée après le suicide de Lily dans le Puy-de-Dôme, a remis ce mardi 8 avril un rapport de plus de 500 pages, ponctuées par quelque 92 recommandations.
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Adopté le 1er avril à l’unanimité des députés membres, tous groupes politiques confondus, il décrit « un système qui craque de toutes parts » : non-exécution de mesures judiciaires faute d’offre de placement, conditions de vie et d’hébergement inadaptées aux besoins fondamentaux des enfants, violences institutionnelles devenues systémiques, établissements en sureffectif, absence de normes et de taux d’encadrement, défaillances des contrôles, développement du secteur privé à but lucratif…
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Ces manquements ont des « répercussions graves » sur les enfants, à la fois en termes d’insertion sociale et professionnelle mais aussi de santé somatique et psychique. Sans compter le « coût exorbitant » que provoquent ces défaillances pour la société.
« Notre République a failli à protéger les plus vulnérables », a insisté Isabelle Santiago lors d’une conférence de presse, considérant que « la responsabilité de l’Etat était engagée ».
Une commission de réparation
La commission appelle, à ce titre, à la création d’une commission de réparation pour les enfants placés victimes de maltraitance. Une résolution du Conseil de l’Europe le recommandait en 2024, des pays comme la Suisse ou l’Irlande l’ont fait : « L’Etat doit pouvoir s’excuser de ne pas avoir su protéger les enfants », argue Isabelle Santiago.
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Si elle n’appelle pas à une recentralisation de la protection de l’enfance, la députée déplore la dilution des compétences entre l’Etat et les départements, conduisant sans cesse à un renvoi de responsabilité entre les parties. « Il faut un pilote dans l’avion », martèle-t-elle, appelant l’Etat à reprendre sa place.
Un comité de pilotage immédiat
Le rapport recommande de créer « immédiatement » un comité de pilotage. Composé de représentants de l’Etat, des départements et des associations, il serait chargé de relancer une stratégie interministérielle de protection de l’enfance. C’est dans ce cadre que devraient être reprises les recommandations de la commission d’enquête mais aussi des précédents rapports. Entre autres : le plan Marshall du Conseil national de protection de l’enfance (CNPE) et le Livre blanc du Haut Conseil du travail social (HCTS), restés en grande partie lettre morte.
Priorité à la prévention
Parmi les axes de la stratégie à mettre en place : privilégier la prévention, grâce à un « investissement massif ». La protection de l’enfance, en France, hérite d’une histoire façonnée par une culture du placement forte. « La priorité doit être à la prévention primaire, à des interventions graduées en fonction des besoins des familles, détaille le rapport. Ces actions doivent s’inscrire dans un plan plus large de soutien à la périnatalité et à la parentalité jusqu’aux cinq ans de l’enfant. » Une préconisation qui rejoint les éléments du plan présenté lundi par la ministre des Solidarités, Catherine Vautrin.
Une loi de programmation
Pour engager des réformes de fond, offrir une visibilité dans le temps tout en considérant l’ensemble de l’écosystème, le rapport recommande le vote d’une loi de programmation pluriannuelle sur cinq ans. « Le budget 2026 devra marquer un tournant », estime Isabelle Santiago.
Le rapport recommande de créer un fonds pluriannuel dédié à la protection de l’enfance. Il serait financé par une contribution de la branche famille de la sécurité sociale et par une fraction de la CSG. « Plus généralement, l’Etat ne doit plus pouvoir prendre de mesure en protection de l’enfance sans penser la compensation budgétaire afférente des charges induites pour les collectivités. »
Sortir de Parcoursup
Face à la « grave » crise d’attractivité du secteur, le rapport appelle à une revalorisation des salaires et à une mise en œuvre des recommandations du Livre blanc présenté en 2023 par le HCTS. En matière de formation, à la fois initiale et continue, ses auteurs considèrent qu’une réforme est souhaitable pour aller vers une formation spécialisée. Ils préconisent également de sortir les métiers de la plateforme Parcoursup.
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Plus de normes, plus de contrôles
Dans les établissements dédiés aux enfants de plus de 3 ans, les taux et normes d’encadrement se font toujours attendre. Le rapport fait part de l’urgence de les mettre en place, et de réviser le décret de 1974 sur les pouponnières. « Les taux d’encadrement fixés devront s’approcher d’un adulte pour trois enfants le jour » (contre un pour six actuellement). La ministre Catherine Vautrin s’était engagée en février 2025 à publier un décret d’ici à fin juin sur les pouponnières et à améliorer de manière progressive, sur cinq ans, les taux d’encadrement pour les plus de 3 ans.
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Un autre élément a fait l’objet de toute l’attention de la commission lors des auditions : les contrôles des établissements et des professionnels, à l’origine de nombreux drames. Le rapport demande, entre autres, la création d’une autorité de contrôle indépendante et d’un « droit de visite des parlementaires » dans les établissements de l’aide sociale à l'enfance (ASE), comme cela se pratique dans les centres de détention.
Un titre de séjour pour les MNA
Le rapport s’intéresse également au sort des mineurs non accompagnés (MNA). Il préconise d’actualiser le référentiel d’évaluation de la minorité, objet de nombreuses critiques. Il souligne également la nécessité d’assurer une égalité de traitement entre tous les enfants de l’ASE, autant au niveau de l’évaluation du niveau scolaire que du suivi en santé. Il préconise de permettre aux MNA de bénéficier d’un titre de séjour « au titre de la vie privée et familiale ».
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Des centres d’appui en santé
En matière d’accès à la santé, le rapport préconise la mise en place de parcours de soins coordonnés et gradués, avec des enveloppes budgétaires et forfaitaires par enfant. La commission, qui avait auditionné Céline Greco, de l’hôpital Necker-Enfants malades, se montre favorable – comme la ministre Catherine Vautrin – à son projet de développer des centres d’appui à l’enfance sur l’ensemble du territoire. Ils auront vocation à garantir la réalisation d’un bilan de santé somatique et psychique pour chaque enfant pris en charge par l’ASE, et à coordonner des parcours de soins.
Un avocat dans l’intérêt de l’enfant
Isabelle Santiago avait à cœur, à travers cette commission, d’entendre la parole des premiers concernés. Des membres du comité de vigilance des enfants placés, créé dès l’ouverture de la commission, pour porter un regard attentif sur les débats, ont été entendus à trois reprises. Plusieurs recommandations sont héritées de leurs propositions. Comme la question de l’accompagnement vers l’autonomie, qui doit être inconditionnel selon la commission. Pour mieux défendre l’intérêt de l’enfant, elle se prononce également pour l’accompagnement systématique d’un avocat dans le cadre de la procédure judiciaire.
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Reste à savoir dans quelle mesure ce rapport, comme d’autres avant lui, sera ou non suivi d’effets. « Aujourd’hui, je demande qu’on arrête les constats, a déclaré Isabelle Santiago. Il faut que ce rapport soit un électrochoc et que toute la politique se mobilise pour ces enfants. » Estimant « non négociable » que ce rapport prenne « la poussière », elle appelle Emmanuel Macron, qui avait fait de l’enfance une priorité de son second quinquennat, « à le lire et à l’accompagner sans réserve ».
>>> Lire le rapport de la commission d'enquête <<<
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