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Edito : Donner de l'argent au temps

Eric Le Braz, rédacteur en chef des ASH

C’est une note de la Fondation Jean-Jaurès qui est un peu passée sous les radars mais dont la lecture est passionnante, intitulée « Société du lien, société de demain » et publiée le 9 octobre. La thèse qui y est développée est connue : pour faire face aux évolutions catastrophiques de la société française, on doit s’appuyer sur les travailleurs sociaux. Sauf que le secteur est submergé par l’accroissement des inégalités et la stagnation des moyens pour y faire face. Le Livre blanc du travail social est censé nous éclairer et proposer des solutions pour réenchanter ces métiers. Mais en attendant sa remise à Elisabeth Borne le 5 décembre, on peut s’inspirer de cette note, qui a le mérite d’explorer des pistes inédites pour refonder le secteur. 

Pourquoi pas une convention citoyenne par exemple (comme pour le climat ou la fin de vie), avec des intervenants extérieurs au travail social, ou une campagne de com’ pour valoriser les professions, « de même dimension que celle qui a été faite aux bénéfices des armées françaises » ? 

Encore plus originale et radicale, une mesure, dans ce texte, pourrait changer le quotidien des travailleuses et des travailleurs sociaux : l’intégration du temps hors travail dans le salaire.

On sait que la feuille de paie est l’un des soucis majeurs des professionnels. On sait aussi que les éducs ou les AS ne comptent pas les heures quand il faut aider un bénéficiaire après 18 h ou revenir avec un dossier à la maison. On sait enfin que les intervenantes à domicile ont des horaires indignes, des temps de trajet épouvantables et des journées trouées d’heures creuses entre deux rendez-vous.  Sur ce dernier point, les députés ont voté, lors de l'examen de la loi "Bien vieillir"  le 23 novembre, l'expérimentation d'un financement de l'aide à domicile par forfait et donc la fin de la tarification horaire.

A lire aussi : Aide à domicile : vers la fin de la tarification horaire

Le forfait, c'est un premier pas mais les auteurs de la note vont plus loin en reconsidérant ce qui relève du temps de travail : « Les trajets doivent être reconnus comme une composante du métier et pris en compte dans la rémunération », écrivent les signataires. « Le but, c’est que plus personne ne soit en dessous du Smic quand il travaille », commente, dans un entretien sur ash.tm.fr, Romain Dostes, vice-président du conseil départemental de la Gironde et co-auteur de la note.

Le concept de temps effectif de travail pourrait tout à fait être étendu aux heures sup gratuites « données » par tous les travailleurs sociaux, qui, pour l’heure, travaillent plus pour gagner moins : « S’il y a quarante ans on pouvait débuter sa carrière en tant qu’homme à l’équivalent de deux Smic, une éducatrice spécialisée va aujourd’hui débuter sa carrière à seulement 1,2 Smic », pointe d’ailleurs le document.

Le temps nécessaire à l’accompagnement est aussi grignoté, voire dévoré, par le temps sacrifié à la bureaucratie. Là encore, l’analyse de la Fondation Jean-Jaurès suggère un choc administratif, avec « un reporting unique simple pour l’ensemble des départements ». Ce qui, de plus, générerait des économies.

Certes, l’intégration des temps morts ou des temps de trajet coûterait sans doute « un pognon de dingue », que les auteurs du texte n’ont pas budgété. Mais Romain Doste l’affirme : « Notre parti pris est de se dire que le social est un bon investissement. »

A lire aussi : "Les métiers du social ont évolué comme les métiers ouvriers"

Et le nier, c’est sous-estimer d’autres coûts. En juin dernier, par exemple, le cabinet Psytel a chiffré, pour la Ciivise, l’impact économique de l’inceste à 6,7 milliards d’euros.

Hélas, un investissement immatériel est moins voyant qu’un investissement en dur. Les rénovations urbaines sont, certes, plus spectaculaires que les crédits pour les éducs en prévention spécialisée. Mais on doit toujours se rappeler que si on néglige les seconds, les premières risquent de flamber…

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