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“La familialisation renforce les inégalités sociales” (Tom Chevalier, chercheur)

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Chargé de recherche au laboratoire Arènes-CNRS, Tom Chevalier est spécialiste des politiques publiques et sociales en direction des jeunes Européens. Il est l’auteur de La jeunesse dans tous ses Etats (éd. PUF, 2018).

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Isolement social, chômage, pauvreté, souffrance psychique… Les effets de la crise économique et sociale actuelle sur la jeunesse sont désastreux. L’occasion, estime Tom Chevalier, pour les politiques publiques d’évoluer pour mieux accompagner les jeunes, et particulièrement les plus précaires.

Actualités sociales hebdomadaires : Comment expliquez-vous que les jeunes souffrent particulièrement de la crise actuelle ?

Tom Chevalier : Ils sont effectivement en première ligne, mais ce n’est pas nouveau. A chaque fois qu’une crise économique survient, ce sont eux qui trinquent. Et ce, depuis les années 1970, date à laquelle cette vulnérabilité sociale structurelle a commencé à être observée. Dans cette période où ils se situent un peu dans un entre-deux – ni enfants, ni adultes – du fait de l’allongement des études et de l’augmentation du taux de chômage, ils se révèlent particulièrement fragiles. Habituellement, ce sont toutefois les moins qualifiés qui paient le prix fort lorsque la conjoncture se retourne. Plus ils sont diplômés, plus ils ont de chances d’être protégés. Même si, pour les jeunes détenteurs d’un diplôme, arriver sur un marché du travail dégradé n’est pas évident et peut avoir des conséquences sur toute leur carrière professionnelle. Sans oublier qu’en France le système éducatif est très élitiste. La nouveauté avec la crise sanitaire que nous traversons est qu’elle touche également les étudiants. En raison de l’absence d’une activité rémunérée par le biais de petits boulots, de stages ou de contrats en alternance, une grande partie d’entre eux sont menacés par la pauvreté. Sans compter les effets sur leur santé psychique, notamment parce qu’ils sont en distanciel. On voit ainsi arriver une vague de chômage et de précarité des jeunes due aux conséquences de l’épidémie de Covid-19, qui risque d’être d’une ampleur inédite.

ASH : Pourtant, à l’instar du plan « 1 jeune, 1 solution » lancé en juillet dernier, beaucoup de dispositifs existent…

T. C : Il est difficile d’évaluer globalement l’impact de ces dispositifs, tant ils sont nombreux et peu lisibles pour les bénéficiaires comme pour les professionnels. Le fait qu’il y en ait beaucoup n’est jamais bon signe. Ainsi, à chaque fois qu’un miniproblème émerge, on prend des petites mesures ad hoc qui viennent s’ajouter au millefeuille de réponses déjà existantes, faisant par là même décroître leur efficience globale. Cela conduit à des situations ubuesques où certains dispositifs rentrent en concurrence avec d’autres parce qu’ils ne sont pas pensés en cohérence. En ce sens, j’estime que les jeunes représentent un angle mort des politiques publiques. De façon transversale, le gouvernement se focalise sur l’accès à l’emploi en oubliant l’objectif de lutte contre la pauvreté. En cause : l’accès refusé à des minima sociaux. La jeunesse française est en effet considérée comme une extension de l’enfance et, par conséquent, les jeunes sont traités institutionnellement comme des grands enfants. Aux parents de les prendre en charge avec les prestations sociales et les aides qui leur sont le plus souvent accordées. Le problème est que, en donnant une place prépondérante à la contribution parentale dans les ressources des jeunes, la familialisation renforce les inégalités sociales. La citoyenneté socio-économique leur est refusée. De mon point de vue, l’idéal serait d’adopter, comme dans les pays nordiques, un modèle où la citoyenneté sociale des jeunes est individualisée. De sorte que ces derniers pourraient toucher des prestations sociales dès l’âge de la fin de la scolarité obligatoire ou de la majorité civile et accéder à l’autonomie.

ASH : Comment faire évoluer notre modèle social pour mieux tenir compte des besoins très spécifiques de la jeunesse ?

T. C : Ce n’est pas simple, car il s’agit de transformer un modèle qui s’est forgé depuis longtemps, à partir de la familialisation des droits promue par l’Eglise catholique. D’un point de vue politique, cela peut évoluer, mais cela ne se fera sans doute pas sous forme d’une réforme importante. Il est plus simple pour un décideur d’entamer un processus long, à coup de petites mesures à la marge, que d’engager une grosse dépense d’un coup qui transformerait la structure globale du paysage institutionnel. S’agissant des jeunes, si l’on veut toucher à l’ouverture du RSA [revenu de solidarité active], comme le souhaitent bon nombre d’acteurs de la jeunesse, il faudrait également adapter plusieurs politiques publiques. Pour individualiser l’action publique et reconnaître les jeunes comme des adultes, il faudrait potentiellement réallouer l’argent des aides fiscales habituellement perçues par les familles, au risque d’assister à une levée de boucliers d’un certain nombre de bénéficiaires actuels. Sans compter que la démarche aurait un coût important. Les gouvernements n’ont malheureusement aucun intérêt à remettre en cause ce type de prestations. Plus acceptable car plus progressif, on pourrait, à la place, faire monter en charge la garantie jeunes pour qu’elle devienne un véritable droit social, comme le suggère le dernier rapport du COJ paru en décembre dernier(1). Ainsi, en fonction du design précis du dispositif, cela pourrait devenir un équivalent fonctionnel de l’ouverture du RSA, sans qu’il soit nécessaire de toucher à ce dernier. Au vu des dernières annonces et du refus catégorique du gouvernement d’ouvrir le RSA, il semble que les discussions budgétaires s’orientent dans le sens d’un élargissement de la garantie jeunes.

ASH : Dans cette optique, faut-il favoriser la transversalité entre les différents acteurs ?

T. C : C’est effectivement un des enjeux cruciaux en matière de politique sociale, à la fois dans leur élaboration, mais aussi dans la mise en œuvre des dispositifs. Au niveau de cette dernière, la problématique de coordination doit se situer à tous les niveaux : tant entre les acteurs privés et publics qu’entre les différents secteurs de l’action publique (éducation, insertion, social), à l’échelle nationale, régionale ou locale. Pour pouvoir mettre en place une meilleure coordination des dispositifs, il faut qu’il y ait des organisations structurées, représentatives (et donc prenant aussi en compte les préférences des jeunes) et centralisées qui puissent dialoguer. C’est la condition pour permettre l’autonomie des jeunes et leur insertion durable sur le marché du travail. L’idéal serait aussi de faire évoluer la gouvernance pour que la parole des jeunes soit plus entendue, et notamment les jeunes éloignés du monde de l’emploi, qui passent trop souvent inaperçus. Il existe aujourd’hui plusieurs instances permettant de les inclure dans des mécanismes de consultation. C’est le cas du COJ ou du Cese [Conseil économique, social et environnemental] Cela supposerait néanmoins que le gouvernement soit prêt à prendre en compte ces différents acteurs issus de la société civile. Or, en France, il reste encore beaucoup de progrès à faire en la matière.

 
(1) « La garantie jeunes de demain. Un droit ouvert à tous les jeunes », Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ), décembre 2020.

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