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Aux Beaux Mets, la réinsertion derrière les fourneaux

La cheffe ajoute la dernière touche sur les plats avant le départ en salle

Crédit photo Edouard Hannoteaux
Le premier restaurant de France en milieu carcéral ouvert au public est né à Marseille. En cuisines comme en salle, les détenus de la prison des Baumettes préparent leur sortie et leur réinsertion professionnelle.

Chemise blanche et tablier noir noué autour de la taille, six cuisiniers et serveurs s’activent ce vendredi 17 mars au matin. Dans un décor soigné au mobilier flambant neuf aménagé pour accueillir une quarantaine de couverts, ils nettoient, plient les serviettes, lavent la vaisselle… « Pour moi, c’est devenu une routine de vie, je me lève, je vais au travail », se réjouit celui qui se fait appeler Bilou. Comme ses cinq collègues présents aujourd’hui, le trentenaire passe deux à trois jours par semaine aux Beaux Mets, le nouveau restaurant de la prison des Baumettes. « On travaille le jeudi, le vendredi, et un mercredi sur deux, et l’autre brigade prend le relais les autres jours », précise-t-il. Il veille à ce que les clients ne manquent de rien, et assure le service « toujours avec le sourire forcé », plaisante-t-il en dessinant un smiley avec ses mains.

A l’entrée du restaurant, des vitres laissent apercevoir la cuisine, dans laquelle trois commis s’occupent des entrées, plats et desserts. Parmi eux, Omar, 25 ans, se dit ravi d’être derrière les fourneaux. « J’ai eu un accident de moto, je me suis cassé la dent. Je ne peux pas faire le service avec une dent qui manque, estime-t-il. Je prends vraiment plaisir à cuisiner. On a un peu de pression, mais c’est de la bonne pression, c’est une clientèle exigeante et la cheffe nous motive. » La cheffe, c’est Sandrine Sollier. Passée par plusieurs grands établissements, dont le célèbre restaurant marseillais triplement étoilé Le Petit Nice Passedat. « Je veux transmettre mon savoir-faire avec une pédagogie différente de celle de la vieille école dans laquelle j’ai été formée, confie-t-elle. Pendant ma formation, on a eu des chefs plus “militaires”, très dictateurs. C’est ce qui m’a fait évoluer, mais je ne veux pas reproduire la même chose. Ma démarche est plus humaine. »

Derrière le bar, Kenzo, 20 ans, cheveux attachés en queue de cheval, presse des agrumes. « Je m’occupe de toutes les boissons : les jus, les cocktails [sans alcool, sa consommation étant interdite en prison, ndlr], les sodas… », énumère-t-il en passant un coup de chiffon sur le comptoir. Avant de se joindre à l’“atelier poulet”, il ajoute : « La préparation de jus, ça me plaît bien. Je suis dans ma bulle et le temps passe plus vite. Et c’est moins stressant que le service, où tu dois toujours être à l’affût. »

Autour de l’une des 20 tables qui composent la salle, Marc Balthazard, maître d’hôtel, donne une leçon de découpage de poulet. Fourchette et cuillère à la main, il indique à ses deux apprentis : « En restauration, cet outil s’appelle une pince. Vous saisissez le poulet avec, vous ne le touchez jamais avec vos mains. » Il soulève de la sorte l’un des trois poulets, puis explique : « On laisse le jus couler avant de découper. » Le regard amusé, mais pas moins concentré, ses deux apprentis reproduisent les gestes et laissent parfois échapper quelques blagues. « Honnêtement, je sais que je ne ferai jamais ça chez moi. Directement avec les doigts, ça va plus vite », commente l’un. « Ça va comme ça ? C’est présentable ? », questionne le second en montrant son assiette.

Gestion des émotions

L’échange se fait dans un esprit bon enfant, sous l’œil attentif de Nathalie, surveillante pénitentiaire. Installée tantôt à l’entrée, tantôt au niveau du bar, la main posée sur l’imposant trousseau de clés accroché à sa taille, elle s’assure de la sécurité au restaurant. « Je surveille ce qui se passe à l’intérieur, mais je m’occupe aussi d’accueillir et d’accompagner les clients avec une autre collègue. Il ne faut pas oublier qu’on est en prison », rappelle-t-elle, la voix parfois interrompue par les consignes qui émanent de son talkie-walkie. « Les choses se passent généralement bien, mais je suis très attentive aux tensions qu’il peut y avoir. Je fais en sorte d’éviter qu’un petit incident prenne des proportions importantes. » La veille, après le refus d’une permission de sortie, l’un des détenus n’a pas su gérer sa déception. « Je suis parti plus tôt que prévu. J’étais énervé. Je voulais tout casser, je me suis même blessé à la main », raconte-t-il. Plusieurs membres du personnel encadrant disent accorder une place importante à la gestion des émotions. « Même si l’équipe est plus motivée que ce qu’on peut voir à l’extérieur de la prison, il ne faut pas oublier qu’une fois le service terminé, ils retournent en milieu carcéral… Cette réalité-là reprend le dessus. Et la mettre de côté n’est pas toujours simple », observe Marc Balthazard.

Après un déjeuner et une petite pause cigarette dans la cour, les personnes détenues retrouvent leurs postes pour accueillir les clients de la journée. Toujours sous la surveillance de Nathalie. Le restaurant propose deux services : l’un à 12 h 30, l’autre à 13 h 15. Ce vendredi, une douzaine de clientes et de clients sont accueillis par les surveillantes pour le premier service. Dans une petite pièce, ils se séparent de leurs objets personnels (appareils électroniques, argent liquide…), laissés dans un casier fermé à clé. Seul le paiement par carte bancaire est accepté. Ils passent ensuite un portique de sécurité, avant de traverser la cour qui mène à la salle de restaurant. « Au moins trois personnes de mon entourage m’ont dit qu’elles ne viendraient jamais ici, pour ne pas donner de l’argent à des prisonniers », raconte l’une des clientes, venue avec deux amies. « Moi, je suis contente d’être ici. J’espère qu’on va bien manger, et je participe à une action que je trouve intéressante », glisse l’une d’elles.

Lutte contre la récidive

Les préjugés sur les personnes détenues semblent avoir la peau dure, mais Marc Balthazard est rassuré lorsqu’il voit les profils qu’il accueille. « L’avantage est qu’on n’a pas de personnes qui viennent avec une curiosité malsaine. Au début, c’était surtout un public en rapport avec la détention. Des gens qui travaillent dans le milieu. Maintenant, ça s’élargit, il y a même une clientèle internationale parfois », se réjouit-il. Le maître d’hôtel distille ses conseils à longueur de journée. Au total, 13 détenus répartis en deux brigades sont formés à la cuisine et au service. Ils ont le statut de salarié et gagnent 45 % du Smic (le seuil minimal fixé par décret) avec un contrat de travail pénitentiaire. Ils travaillent pendant un cycle de quatre mois, qu’ils peuvent renouveler. Tous sont incarcérés dans la structure d’accompagnement à la sortie (SAS) de la prison des Baumettes. Lancé en 2018 à Marseille avant de s’étendre à d’autres villes de France, ce dispositif est destiné aux personnes condamnées définitivement, avec un reliquat de peine entre six mois et deux ans.

La SAS des Baumettes peut accueillir jusqu’à 80 détenus. Exclusivement masculins. L’objectif : une aide renforcée pour une meilleure insertion professionnelle et sociale à la sortie. « C’est le public le plus éloigné de l’emploi, qui multiplie les fragilités. C’est pourquoi une équipe pluridisciplinaire les encadre, dont un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation, une assistante sociale, des psychologues, l’unité sanitaire… », développe Aurore Coulon, directrice de la SAS. Manon Distanti est assistante sociale au service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip). Elle offre un accompagnement global, allant de la réparation du lien familial à l’accès aux droits sociaux. Depuis sept ans, elle voit défiler les cas et les fragilités qui les accompagnent. « A la SAS, beaucoup de personnes n’ont pas de logement stable à l’extérieur, voire pas de logement tout court. C’est le besoin qui ressort le plus », regrette-t-elle. Pour y remédier, l’assistante sociale travaille avec divers partenaires locaux, « mais il y a toujours un décalage entre la date de sortie et le moment où on trouve une solution et où la personne peut accéder au logement ».

Selon elle, le risque de récidive se joue sur cette période, dans les premières semaines qui suivent la sortie. « On a pu l’observer avec le retour des personnes précédemment incarcérées. Dehors, elles se retrouvent dans la précarité et n’osent pas forcément demander l’aide des associations. Elles reviennent souvent après des vols alimentaires, du trafic de stups pour avoir de l’argent et se loger… » Avec le projet des Beaux Mets, Manon Distanti espère éviter un tel scénario, « en levant les stigmates qui pèsent sur les détenus et en leur permettant de trouver un travail et un toit dès la sortie ».

L’accompagnement mis en place à la SAS s’appuie beaucoup sur le lien avec l’extérieur. Les détenus peuvent sortir pour des soins ou des activités socio-culturelles, où ils sont accompagnés par le personnel. Parmi elles, des balades dans les calanques, des journées tests pour de futurs employeurs, une sortie avec une association de voile, la participation à des festivals de cinéma… « Ces activités permettent de penser la réinsertion en société. Et l’ouverture du restaurant suit cette démarche. Avec l’accueil des clients, on est dans la continuité de ce que fait déjà la SAS », s’enthousiasme la directrice, Aurore Coulon.

Le restaurant Les Beaux Mets est le premier en France à accueillir un public extérieur en milieu carcéral. Ce chantier d’insertion est né d’un partenariat entre la direction interrégionale des services pénitentiaires et l’association Festin, implantée localement depuis trente-cinq ans et spécialisée dans la réinsertion par la cuisine. Les deux équipes ont puisé leur inspiration à l’étranger. Comme en Italie, avec le restaurant de la prison de Bollate, près de Milan, tenu par des détenus. Ou encore au Royaume-Uni, avec le restaurant The Clink de la prison du quartier de Brixton, à Londres. L’administration pénitentiaire et l’association Festin avaient d’abord lancé une expérimentation hors les murs en 2019. Elles ont construit un projet pilote à Coco Velten, un lieu de travail, d’accueil et d’hébergement à vocation sociale à Marseille. Le projet en question permettait de former à la cuisine neuf stagiaires détenus aux Baumettes, en partenariat avec l’Afpa (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes) et Pôle emploi.

Satisfaite par cette première expérience, l’équipe a fini par ouvrir le restaurant des Baumettes en novembre 2022. Toujours dans l’optique de maintenir le lien « dedans-dehors », les personnes détenues employées aux Beaux Mets ont la possibilité de faire des stages à l’extérieur. C’est notamment le cas de l’un d’entre eux qui s’est vu promettre une embauche à sa sortie de prison, chez le traiteur où il a été en formation.

Au-delà de l’accompagnement pendant la détention, l’association Festin propose aux salariés du restaurant un suivi à l’extérieur, une fois leur peine terminée. « C’est un accompagnement de six mois, sur la base du volontariat et sous forme de réunions pluridisciplinaires pour les guider vers l’emploi, même s’il n’est pas dans le domaine de la cuisine », explique Carole Guillerm, chargée du projet des Beaux Mets chez Festin.

A l’avenir, l’association espère développer la vente à emporter pour le personnel pénitentiaire. De leur côté, les personnes détenues fondent beaucoup d’espoir sur ce dispositif pour changer le regard que la société porte sur elles. « Le fait de travailler ici apporte beaucoup de confiance en soi. Les gens ont le sourire, on est bien accueillis, on n’a pas d’étiquette sur le front. On sait qu’en sortant, on sera bien préparés », se projette Brahim, 32 ans. « En sortant, je vais voir avec Sandrine [Sollier, la cheffe des Beaux Mets, ndlr] si c’est possible de cuisiner dans un vrai restaurant. Salade, tomate, oignon, c’est terminé ! », espère Omar, habitué à travailler dans des fast-foods.

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