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Des bénévoles au secours des mineurs non accompagnés

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Agathe Nadimi, fondatrice de l'association Les Midis du MIE, distribue de repas aux MNA dans le jardin de Pali-Kao, à Paris

Crédit photo Marta NASCIMENTO
A Paris, Les Midis du MIE distribuent quatre jours par semaine des repas à des mineurs non accompagnés vivant dans la rue. Portée à bout de bras par sa fondatrice et une poignée de bénévoles, l’association se démène pour combler les défaillances de l’Etat et donner à ces adolescents un avenir en France. Sans aucune reconnaissance.

A l’approche de midi, le jardin Gabriële-Buffet, situé au pied du parc de Belleville, dans le XXe arrondissement de Paris, se peuple peu à peu d’une foule de jeunes hommes originaires d’Afrique subsaharienne, arrivant seuls ou par petites grappes. Les poussettes des enfants du quartier désertent en même temps l’aire de jeux. Sur les tables de ping-pong voisines, trois femmes disposent jus de fruits, gâteaux et deux grands cartons contenant des portions individuelles de paëlla.

La mécanique est bien rodée, orchestrée depuis plus de cinq ans par Agathe Nadimi. Fondatrice de l’association Les Midis du MIE, elle organise quatre jours par semaine, du jeudi au dimanche, des distributions de repas à destination des mineurs non accompagnés (MNA), des jeunes étrangers de moins de 18 ans débarqués seuls en France et souvent sans attaches à Paris. « Bonjour Mohammed, comment vas-tu ? J’ai une paire de chaussures pour toi, viens les essayer », glisse-t-elle avec douceur à un jeune Guinéen en survêtement qui boit ses paroles. Avant d’éructer : « Alpha tu fais la queue comme tout le monde, ça suffit ! » Alternant coups de semonce et gestes tendres, Agathe Nadimi veille à ce que chacun reçoive équitablement son déjeuner. Aujourd’hui, elle a demandé 150 portions à l’association La Table ouverte, qui fournit les repas du dimanche car les 100 plats distribués la veille n’avaient pas suffi à nourrir tous les jeunes.

Alors qu’en Europe plus d’un exilé sur trois est mineur, en France, selon les données officielles, 31 000 MNA étaient pris en charge fin 2019 par l’aide sociale à l’enfance (ASE). Et rien que pour l’année dernière, 10 000 jeunes ont intégré le dispositif de l’ASE. En vertu de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, toutes deux ratifiées par la France, l’Etat a l’obligation de les protéger. Pourtant, faute de politique claire et de moyens mis à disposition, beaucoup se retrouvent à la rue dès leur arrivée. Il leur faut prouver aux institutions leur minorité ainsi que leur isolement avant qu’un juge décide ou non de leur placement. Pendant cette procédure qui dure en général de longs mois, ces mineurs sont livrés à eux-mêmes et ne peuvent compter que sur l’aide d’associations pour sortir de la rue et trouver des solutions temporaires d’hébergement.

Bien plus qu’une cantine

Investie dès 2015 auprès des campements parisiens de migrants, Agathe Nadimi, par ailleurs professeure en école de commerce, a rapidement repéré des enfants et des adolescents, principalement des Afghans à l’époque, vivant seuls dans la rue. Elle a alors commencé à les aider en les accompagnant au dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (Demie) de la Croix-Rouge, dans le XXe arrondissement, puis en leur donnant des cours de français à la bibliothèque Couronnes. C’est là qu’elle repère le square Gabriële-Buffet et décide d’y installer une cantine. Elle y distribue régulièrement des vêtements collectés ici et là aux jeunes qui dorment dehors, veillant notamment à ce qu’ils aient une paire de chaussures d’avance pour ne pas avoir les pieds mouillés en cas de pluie.

En plus des distributions de repas, son association se met en quatre pour fournir un toit à ceux qui dorment dans des tentes isolées ou dans des campements de fortune avec d’autres migrants. Catherine, retraitée, arrive dans le square, quelques courses en main. Amie de longue date d’Agathe Nadimi, elle a hébergé plusieurs jeunes, parmi lesquels Modibo, un Malien « de 18 ans, presque 19 », précise-t-il, qu’elle retrouve ici. Arrivé en France en 2018, le jeune homme a été soutenu par Les Midis du MIE et sa situation est désormais au beau fixe : il a obtenu la nationalité française et suit un bac professionnel en hôtellerie et restauration. Il travaille pour une célèbre table du VIIe arrondissement, prisée des parlementaires français. Cet été, il est retourné à Bamako pour la première fois depuis son départ et y a retrouvé sa famille. « C’était très dur quand je suis arrivé à Paris, explique-t-il. Il neigeait, je ne connaissais personne, je dormais dehors. Grâce à Agathe, j’ai rencontré Catherine, chez qui j’ai habité, et maintenant je fais des études, je vis en foyer de jeunes travailleurs, tout va bien, je suis heureux. »

Catherine sourit : « Lui, c’est mon fiston, c’est un bon garçon. Au début, j’ai hébergé jusqu’à six jeunes chez moi, mais maintenant j’ai arrêté, je ne peux plus. C’est devenu émotionnellement trop intense pour moi, je me fais sans cesse du souci pour eux. Et que faire si leur demande n’aboutit pas à un placement ? Je ne peux pas les garder indéfiniment à la maison… » Rapidement, la fondatrice des Midis du MIE s’est rendu compte qu’elle ne pouvait plus compter uniquement sur la solidarité de son réseau de proches. « Au début, j’envoyais des jeunes chez des amis, chez ma mère à la campagne, partout où je trouvais de la place. Cela devenait ingérable. On préfère désormais les solutions collectives d’hébergement. Mais, malgré l’aide d’autres associations, la situation reste très précaire », s’inquiète-t-elle. Pendant le confinement de mars 2020 dû au Covid-19, son association a été l’une des rares à ne pas faire jouer son droit de retrait : elle a logé et nourri une quinzaine de jeunes dans des hôtels et continué la distribution des repas au jardin. « On a fait mieux que l’ASE », se targue-t-elle.

Au fil des années, plusieurs lieux associatifs et artistiques ont ouvert leurs portes aux mineurs soutenus par Agathe Nadimi, pour des durées de quelques semaines. « J’en suis à mon 23e déménagement ! », s’amuse-t-elle, un peu incrédule. Depuis le mois de mai, le diocèse de Saint-Denis lui loue pour une somme dérisoire un bâtiment situé à Montreuil (Seine-Saint-Denis), un ancien centre municipal de santé destiné à être réhabilité en logements d’habitation, afin d’éviter les squatteurs et les dépenses liées au gardiennage. Elle y a installé une trentaine d’adolescents rencontrés pendant les distributions de repas, qui y vivent comme dans une grande colocation, en se répartissant les corvées de courses et de ménage. Elle privilégie les plus jeunes, ceux dont l’état de santé est le plus fragile et ceux qui maîtrisent le moins bien le français.

Cécile Afanyan Poulhazan, 32 ans, bénévole au sein de l’association depuis trois ans, y passe une à deux nuits par semaine, en plus de distribuer chaque dimanche des repas au jardin Gabriële-Buffet. Pour ne pas être en défaut auprès des assurances, il est impératif qu’un adulte soit présent dans la maison quand les jeunes y sont. Loin de jouer les gardes-chiourmes – les jeunes sont faciles à vivre et participent de bonne grâce à la vie de la maison –, la bénévole, par ailleurs salariée d’une association d’éducation populaire, aime partager ces soirées avec eux : « On joue à la console, aux cartes, aux jeux de société, je ramène des livres pour ceux qui aiment lire. Ce sont des moments agréables où l’on s’amuse. Du fait des difficultés qu’ils rencontrent à leur arrivée en France, ils ont peut-être l’impression que l’Etat et le système sont contre eux. J’ai envie de leur montrer qu’il y a des gens qui les soutiennent, qui sont là pour les aider et qu’il faut continuer à espérer. »

Un rôle d’intégration évident

Dans la petite cour de l’immeuble en brique de Montreuil, le linge fraîchement lavé sèche sous le soleil de la fin d’été. Au rez-de-chaussée, un groupe de garçons affalés sur des matelas discutent pendant qu’un jeune, à côté, regarde sur l’ordinateur commun une rediffusion de l’émission de télé-crochet The Voice. Un doux fumet s’échappe de la cuisine : deux cuistots en herbe se penchent au-dessus d’une marmite fumante. Le ragoût du midi est presque prêt. Après le déjeuner, Agathe Nadimi leur donnera peut-être un cours de guitare. Pour les occuper et faciliter leur intégration, elle organise pour eux le plus d’activités possible (cours de français, d’anglais, de musique, de sport) ainsi que des sorties régulières au musée ou dans Paris. « Pendant qu’ils sont avec nous à suivre des cours ou à pratiquer une activité artistique avec des personnes bienveillantes, ils ne sont pas dans la rue en train de zoner, au risque de tomber dans l’escarcelle de réseaux mafieux. Nous jouons un véritable rôle de protection de la jeunesse, qui comble les défaillances de l’Etat français », s’indigne-t-elle.

Début 2022, Claire Hédon, la Défenseure des droits, a épinglé dans un rapport la conduite de l’Etat français dans sa prise en charge des MNA, en rappelant qu’ils « ont droit à la même protection que tout autre enfant » et en regrettant que « les mineurs non accompagnés sont trop souvent suspectés de fraude, perçus comme des étrangers en situation irrégulière, comme des majeurs, voire comme des délinquants, avant d’être considérés comme des enfants en danger. […] La situation des enfants migrants s’assombrit au rythme des mesures prises à leur encontre, dans une forme d’indifférence inquiétante ».

Le bail de l’immeuble de Montreuil court jusqu’en novembre. C’est la première fois que l’association peut rester aussi longtemps dans un même lieu. Passé cette date, la professeure se jure qu’elle arrête : « Je suis fatiguée, j’en ai marre de passer tous mes Noëls loin de ma famille, à toujours pousser les murs, à trouver des solutions, sans que rien ne change du côté de la prise en charge institutionnelle… » A la lassitude personnelle s’ajoutent surtout des contingences matérielles qui menacent la survie même de l’association, dont la trésorerie est aujourd’hui au plus bas. L’an dernier, Les Midis du MIE ont dépensé pas moins de 130 000 € : entre les repas, le loyer de la maison de Montreuil (400 €) et l’assurance afférente (3 000 €), l’aide juridico-administrative qu’elle fournit inconditionnellement à chaque jeune qui en fait la demande (16 000 € le mois dernier), auxquels s’ajoute le budget des sorties et des activités, les caisses sont presque vides. « Nous avons pu tenir jusque-là grâce à l’aide de donateurs ou au soutien ponctuel de quelques fondations, mais cela ne suffit plus, regrette Agathe Nadimi. De plus en plus de jeunes viennent nous trouver, nous sommes sur-sollicités, alors que nous restons une association de bénévoles. Il est impératif que nous recevions de nouveaux soutiens financiers, mais aussi du renfort du côté des bénévoles. Depuis la crise du Covid, nous n’arrivons même plus à recruter des gens en service civique pour venir sur le terrain. Il y a un énorme décalage entre la portée de notre action et le peu de moyens et de visibilité que nous avons. »

Dans la maison de Montreuil, Almamy et Oumar, tous deux Guinéens de 16 et 15 ans, attendent que le repas soit servi. Arrivés en France respectivement depuis six et deux mois, ils ont commencé par dormir dans des campements. Puis ils ont entendu parler par le bouche-à-oreille des distributions de repas des Midis du MIE, et ont ainsi rencontré Agathe Nadimi, qui les a fait venir dans la bâtisse montreuilloise. Tous deux espèrent que leur situation administrative sera bientôt régularisée et qu’ils pourront enfin s’inscrire à l’école et étudier le français, leur matière préférée.

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