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La colocation, une alternative sympathique aux Ehpad

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Crédit photo Tim Douet
Dans le département de l’Ain, une colocation pour personnes âgées a vu le jour pour proposer un contre-modèle aux établissements privés à but lucratif et offrir une troisième voie entre le maintien à domicile et l’Ehpad.

Le café fume encore sur la terrasse. La table desservie, Jean-Marc, Andrée et Claudette profitent de l’ombre offerte par le parasol, tandis qu’à l’intérieur Joe Dassin chante Les Champs-Elysées. Les autres résidents se sont déjà éclipsés : c’est l’heure de la sieste. Depuis quelques mois, ces « octogénaires et plus » sont devenus colocataires. Huit dans une première maison, ouverte en juillet 2021 ; huit autres dans une seconde bâtisse mitoyenne, créée dans la foulée. Ils sont accompagnés au quotidien par quatre auxiliaires de vie sociale (AVS) et deux responsables, ces derniers vivant sur place dans des appartements aménagés au-dessus des habitations. Nées en 2008 dans le département du Doubs, les colocations Ages &Vie essaiment dans l’Hexagone. En Auvergne-Rhône-Alpes, la crise sanitaire et les confinements successifs, suivis du récent scandale « Orpea » touchant les maisons de retraite privées, ont accéléré l’ouverture de nouvelles maisons de vie pour personnes âgées. D’abord en Isère. Puis, pour cette dernière, dans la commune d’Attignat, à dix kilomètres de Bourg-en-Bresse.

L’idée de ces colocations est d’offrir une alternative au modèle dominant des maisons de retraite, une forme de troisième voie entre le maintien à domicile et l’Ehpad. « L’objectif est de maintenir les personnes le plus longtemps possible dans leur autonomie et de favoriser la stimulation cognitive à travers la participation à la vie collective de la maison », explique Monique Le Nivet, manager réseau pour les colocations Ages & Vie en Auvergne-Rhône-Alpes et en Bourgogne-Franche-Comté. Les personnes cohabitent ainsi au sein d’une maison de près de 400 m2, composée de huit studios individuels de 30 m2 et d’espaces communs. La cuisine, avec son îlot central, invite à la préparation des repas, réalisés sur place par des auxiliaires de vie sociale. « On a voulu créer un modèle à l’inverse de ce qui existe en Ehpad. Ici, les personnes vivent à leur rythme. Elles se lèvent quand elles le décident et peuvent participer à la vie quotidienne de la maison ou choisir de rester dans leur chambre. Les seuls temps collectifs imposés sont les repas », poursuit Monique Le Nivet. En perte d’autonomie, les personnes accueillies ne doivent toutefois pas se trouver en situation de dépendance complète. C’est d’ailleurs l’un des critères pour avoir une place dans la colocation. « Elles peuvent sortir seules, aller se promener autour de la maison ou jusque dans le village si elles le souhaitent et en sont capables. Dans ce cadre-là, il ne faut pas qu’elles soient un danger pour elles-mêmes », confirme la responsable régionale. Une exigence qui exclut, par exemple, les personnes atteintes d’Alzheimer.

Assis dans un rai de lumière près du large lit en bois sculpté sur lequel repose un masque à oxygène, Jean-Marc Laurencin apparaît dans l’entrebâillement de la porte ouverte de sa chambre. Buffet, fauteuil, table haute, il est venu avec ses meubles, de belles pièces de bois noble. Loin du mobilier préfabriqué que l’on retrouve à l’identique dans les chambres d’hôpital ou d’Ehpad. Ici, chacun tente à sa manière de se reconstituer un chez-soi. Dans la chambre de Claudette Merle, deux petits bouquets rouges trônent sur la commode, près de la fenêtre. Les fleurs de son jardin, apportées par son fils. « Si je suis ici, c’est que je ne peux plus rien faire seule, il fallait être lucide. Quand je marche trop, j’ai mal au dos, je risque de tomber. Mes proches sont rassurés de me savoir là, mais ça implique de tout quitter. » A 91 ans – et demi ! –, Claudette a vécu toute sa vie dans sa ferme, à Viriat. Elle y a travaillé, élevé ses quatre enfants, puis a vu grandir une myriade de petits et arrière-petits-enfants. Plusieurs chutes l’ont finalement contrainte, le 16 juillet dernier, à troquer sa maison pour ce studio et cette nouvelle vie, aux côtés d’autres qui, comme elle, compensent le déracinement par une forme de lucidité tirant sur la résignation.

Face au lit, des photos tapissent le mur, retraçant l’histoire d’une famille sur cinq générations. Alors, Claudette Merle plonge dans ses souvenirs et raconte tour à tour leur « vie très simple de paysans », la façon dont elle s’est occupée de son frère handicapé mental pendant dix-sept ans, leurs vacances à la montagne, la mort de l’un de ses fils il y a vingt ans. Elle feuillette l’album et son « arbre généalogique », gravant de sa plume sur le papier petites anecdotes et secrets de famille, à la demande de sa petite fille. Car, toutes les semaines, Claudette continue de recevoir de la visite. « Ce n’est pas comme à la maison, mais je commence malgré tout à m’habituer. Je me sens un peu plus chez moi qu’à mon arrivée », sourit la nonagénaire. Chaque colocataire dispose à cette fin d’un accès indépendant à sa chambre. Les familles peuvent ainsi rendre visite à leur proche sans forcément passer par la porte principale.

Une adaptation nécessaire

En milieu d’après-midi, Claudette s’éclipse. Sa coiffeuse à domicile vient d’arriver. Dans la pièce à vivre commune, une douce odeur de chocolat commence à émaner du four. Assise à table, un vernis bordeaux fraîchement posé sur les ongles et une cuillère en bois dans la main, Marcelle Veulle s’attelle à la préparation du second gâteau, sous le regard de Jérôme Bellisario, le responsable de maison. Dans sa vie professionnelle, la résidente travaillait dans une cantine, et elle en a gardé les automatismes.

L’un des atouts de la maison est de ressembler davantage à un lieu de vie qu’à une maison de retraite. Ainsi, Claudette et Marcelle se connaissaient avant leur arrivée, car elles se croisaient aux « thés dansants » du village. Pour autant, à plus de 80 ans, la cohabitation n’est pas toujours aisée. Il faut apprendre à composer avec les habitudes, les goûts et les caractères de chacun. Et trouver son rythme, quand tous n’ont pas les mêmes attentes ni le même niveau de dépendance. « Pour certains, ce n’est pas évident de se retrouver en cohabitation après des années d’isolement. Le placement se fait surtout à la demande des enfants. Les personnes n’ont jamais envie de partir de chez elles », souligne Monique Le Nivet. Un temps d’adaptation est donc nécessaire. Marcelle acquiesce à voix basse : « Oui, on s’habitue. Non, ce n’est pas si terrible ici. » Le problème, ce sont les affaires qu’elle n’a plus, jetées lors du déménagement. Alors Jérôme lui prête ses livres. Elle vient de commencer Le huitième sacrement, du prêtre ouvrier Jean Chesseron.

Ce jour-là, Pierre Voillat préfère rester à l’écart. Dans son studio, il attend patiemment l’heure des jeux à la télé, puis le sport, « histoire de s’occuper ». A 93 ans, sa casquette blanche vissée sur la tête et ses grandes chaussettes de contention remontées sous les genoux lui confèrent une allure de joueur de baseball. Derrière ses lunettes teintées, le regard se devine caustique, arme nécessaire pour accepter son sort. « Quitter sa maison après soixante ans de vie, c’est toujours compliqué. Mais j’avais des escaliers et des problèmes de jambes, ce n’était plus compatible », raconte le nonagénaire en désignant le bracelet bleu qu’il porte au poignet, en cas de chute. Ancien chauffeur habitué à la solitude, la cohabitation avec les autres lui pèse parfois : « Il faut concilier les envies de chacun et, à notre âge, on a tous notre façon de faire. » Mais il ne se plaint pas, car « des problèmes, il y en a partout », estime-t-il. D’autant que sa fille, qui habite à moins de trois kilomètres, l’invite à déjeuner tous les dimanches.

Des professionnels plus heureux

Le personnel doit également s’adapter. « Ici, en fait, on fait tout », abonde Fatima Baabouchi, AVS depuis l’ouverture de la première colocation en juillet dernier. Comme beaucoup de ses collègues, elle a passé sept années en Ehpad avant de postuler ici. « On s’occupe des tâches habituelles (toilette, ménage, entretien) et on fait aussi les courses, la cuisine, des jeux, poursuit l’auxiliaire de vie. Mais on apprend, et on compte sur les personnes pour nous donner des conseils », sourit la jeune femme. Le constat est partagé par Fatima Zohra Bouqob, elle aussi AVS depuis le mois d’octobre. S’il faut parfois plusieurs semaines pour obtenir la confiance des colocataires, les deux professionnelles insistent sur le côté familial et la différence de rythme avec ce qu’elles ont connu en Ehpad. « C’était tout le temps la course. Aujourd’hui, on a le sentiment d’avoir plus de temps pour les personnes, c’est moins à la chaîne », estime Fatima Baabouchi, avant de lister des détails qui n’en sont pas, comme le fait de « pouvoir leur sécher les cheveux, ou de prendre le temps de discuter ».

Les travailleuses sociales interviennent soit le matin ou l’après-midi, soit en horaires coupés, et se partagent des astreintes. Les responsables de maison vivent quant à eux dans un logement de fonction sur place. C’est le cas de Jérôme Bellisario, installé dans la partie supérieure de la colocation, avec sa femme et son fils de 3 ans. Il a pris ce poste après avoir exercé comme auxiliaire de vie en maison de retraite, puis au sein d’un établissement de l’aide sociale à l’enfance, en Saône-et-Loire. « J’ai quitté l’Ehpad pour fuir les conditions de travail et la cadence qu’on nous imposait, lâche-t-il. Aujourd’hui, quand on voit les scandales qui touchent les grands groupes privés comme Orpea, notre choix d’un modèle construit à l’opposé n’a de cesse d’être confirmé. » En tant que responsable, Jérôme s’occupe de l’organisation générale de la maison, mais également des tâches administratives et du recrutement de personnel.

Ces dernières années, ce modèle séduit de plus en plus de personnes âgées, inquiètes de finir leurs jours en Ehpad. Alors qu’en France la part des personnes âgées de plus de 60 ans est estimée pour 2060 à 30 % de l’ensemble de la population, les solutions de colocations ou de logements intergénérationnels sont en expansion. « Les projets dépendent toutefois du prix du foncier », explique Jérôme Bellisario. En Rhône-Alpes par exemple, les constructions de nouvelles maisons se concentrent en dehors des villes, plus près des zones rurales, à l’image d’Attignat. La question du coût reste, elle aussi, au cœur des enjeux du vieillissement. Dans une colocation Ages & Vie, le prix du studio seul s’élève à 550 € en moyenne. S’y ajoutent les frais d’alimentation et les prestations d’aide à la personne. Le reste à charge atteint ainsi 1 600 € par mois, une fois les différentes aides sociales déduites.

Colette Fontaine a pu faire ce choix. Pendant trente ans, elle a tenu avec son mari l’une des boulangeries principales de Viriat, commune voisine d’Attignat. « J’ai passé ma vie à voir du monde, de 6 h le matin à 20 h le soir. Alors maintenant j’aime bien me retrouver un peu toute seule », sourit la résidente. Ce mardi du mois de mai, pour autant, elle ne boude pas le plaisir d’une partie de jeu de l’oie sur la terrasse. A ses côtés, Monique Perrot vient de s’installer. Son arrivée dans la maison, plus récente, s’est accompagnée de la venue de sa chatte, désormais adoptée par l’ensemble des colocataires. « Je crois qu’elle est heureuse d’être là et d’avoir retrouvé un extérieur », raconte Monique, qui espère ne pas avoir à payer un forfait pour son animal, puisqu’elle s’acquitte elle-même de la nourriture. Avant d’arriver, elles ont connu une première structure pour personnes valides, puis un Ehpad. « Mais c’étaient des personnes très dépendantes. Ici, on est plus autonomes. » C’est d’ailleurs ce qui lui plaît : pouvoir alterner les moments au calme dans sa chambre et les activités en groupe. A tel point que la locataire regrette de ne pas avoir davantage d’échanges avec les résidentes de l’autre maison. « Ça pourrait être moins cloisonné entre les deux bâtiments », souffle-t-elle. En attendant, elle a aménagé devant sa chambre un petit coin jardin, avec des chaises, une table et quelques fleurs, avant l’été. Et à qui l’écoute, elle lance et réitère l’invitation : son espace est fait pour être partagé.

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