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Protection de l'enfance : « Un conjoint violent est un père violent »

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Edouard Durand

Juge des enfants et cofondateur du DU « violences faites aux femmes » de l’université Paris 8, Edouard Durand est l’auteur de Protéger la mère, c’est protéger l’enfant, publié aux éditions Dunod en 2013 et réédité en février 2022.

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Expert des questions liées à la protection de l’enfance et coprésident de la commission indépendante sur l’inceste (Civiise) Edouard Durand constate les ravages des violences conjugales sur les enfants. Il appelle les professionnels à ne faire preuve d’aucune complaisance face à la stratégie des agresseurs.

Actualités sociales hebdomadaires - Entre la première édition de votre livre, en 2013, et aujourd’hui, la prise en compte de l’enfant victime de violences conjugales a-t-elle progressé ?

Edouard Durand : Durant ce laps de temps, plusieurs lois ont modifié le droit civil et le droit pénal dans l’objectif de lutter plus efficacement contre les violences conjugales, réduire l’impunité des agresseurs et mieux protéger les victimes. Une évolution que j’ai également constatée dans la façon de penser le problème des violences conjugales, de l’exprimer et de le traduire en politiques publiques. En revanche, selon que les acteurs de la protection de l’enfance – magistrats, policiers, travailleurs sociaux, thérapeutes – sont formés et comprennent cette problématique ou non, la mise en œuvre de la loi ne suffit pas toujours à protéger les enfants. C’est d’autant plus problématique que 80 % des femmes victimes de violences conjugales sont des mères. Tout se passe encore comme si l’enfant n’était pas touché par les violences au sein du couple de ses parents. Il est vrai que les conséquences traumatiques ne sont pas les mêmes pour tous.

Il est toutefois essentiel de percevoir que tout contexte de violence conjugale caractérise une situation de danger, tant pour la victime que pour ses enfants. En effet, quels que soient la nature du passage à l’acte et le moment où les violences subies sont révélées, celles-ci s’inscrivent dans un cycle par lequel l’agresseur instaure un climat de peur. Le seul fait de vivre dans cette ambiance de peur et de menaces constitue une forme de maltraitance, qui justifie la mise en œuvre de mesures de protection pour garantir la sécurité de la victime et de ses enfants.

Les acteurs de la protection de l’enfance ont-ils pris la mesure de cette réalité ?

Ils sont capables de mieux repérer les violences conjugales, de dire qu’elles atteignent l’enfant, mais encore insuffisamment amenés à penser que la coparentalité est impossible dans ces situations. Cela concerne pas les travailleurs sociaux, mais aussi les juges. On n’a plus le temps d’attendre que la prise de conscience des professionnels advienne. Le risque est trop grand de perpétuer l’emprise sur les enfants, avec des conséquences extrêmement graves sur leur bien-être et leur développement.

Un conjoint violent est un père violent : il l’est psychologiquement dans 100 % des cas, physiquement dans un cas sur deux et sexuellement dans un nombre de cas très important. A ce titre, l’existence de violences conjugales doit conduire à penser que le père est dangereux pour son enfant. Or, nous, acteurs de sa protection, faisons encore preuve de trop de complaisance, mais surtout d’une profonde incompréhension de la stratégie des agresseurs.

Quelles sont les conséquences sur le terrain ?

Cette incompréhension se traduit par des décisions dangereuses pour l’enfant. Dans les cas de féminicides, il arrive encore qu’un juge, un éducateur ou une psychologue autorise les visites au père en prison au nom du sacro-saint lien paternel. De même, lorsqu’on fait injonction à la mère de se séparer de son conjoint violent, mais qu’à l’instant où elle le fait, on la contraint de rester en lien avec lui pour l’exercice de l’autorité parentale.

Cette faille dans la lutte contre les violences conjugales est difficilement explicable et encore moins justifiable. C’est que j’appelle « une conception patrimoniale de l’autorité parentale », qui peut expliquer qu’il est si rare qu’une femme victime se voit attribuer l’exercice exclusif de l’autorité parentale. Alors que la loi prévoit depuis longtemps son retrait pour un parent violent. Il faut que la loi soit plus impérative et que, dès qu’il existe ou a existé des violences conjugales, le parent ne puisse, sauf exception, se voir attribuer l’exercice de l’autorité parentale et bénéficier de rencontres avec son enfant sans contrôle par un tiers spécialement formé.

Comment mieux protéger l’enfant victime de violences conjugales ?

Les violences conjugales, quelle qu’en soit la forme, sont avant tout une transgression de la loi. Elles doivent être désignées comme telles pour en interrompre le cycle ou la répétition. Il appartient donc à tout professionnel, juge, éducateur, enseignant ou médecin, en tant que tiers, de nommer ces violences. Cela implique, en premier lieu, de les distinguer de ce qui relève des conflits conjugaux ou parentaux pour pouvoir adapter les mesures éducatives, de façon à ce qu’elles assurent la protection de l’enfant.

En parallèle, il s’agit, respectivement pour le juge aux affaires familiales et le juge des enfants, de déterminer les modalités d’exercice de l’autorité parentale en cas de séparation des parents. On ne traite pas la question des violences conjugales sans tenir compte de la sphère de la parentalité.

Quelle attitude adopter envers les mères victimes ?

Même si la mère est elle-même fragilisée dans ses capacités éducatives par les violences qu’elle subit, elle est en capacité de réintroduire des repères éducatifs et affectifs sécurisants pour son enfant. Dès lors, la mise en place de mesures éducatives n’est pas systématiquement nécessaire.

Néanmoins, si une aide éducative s’avère l’être, les travailleurs sociaux doivent veiller à ne pas agir à « contre-modèle », c’est-à-dire en favorisant une action éducative de type médiation entre les parents (mise en présence des parents, encouragements de parents à communiquer, etc.). Dans un contexte violent, il faut avoir pour objectif d’instituer une « frontière » et de contrôler le comportement de l’auteur. Une grande prudence s’impose aussi s’agissant du maintien et de l’organisation des rencontres entre le père et l’enfant. Celles-ci ne peuvent avoir lieu que dans un cadre protecteur. On ne laisse jamais un parent violent avec un enfant sans contrôle. Il suffit, en effet, d’un regard, d’une minute pour le terroriser et le piéger.

Qu’en est-il de la création de mesures spécifiques ?

On pourrait tout à fait concevoir des services spécialisés pour les violences conjugales ; ce que j’appelle d’ailleurs de mes vœux. En tant que juge, je constate la fréquence des situations de violences conjugales dans les dossiers d’assistance éducative. C’est dire la portée qu’auraient de tels services sur un nombre important d’enfants ! Toutefois, en l’absence de mesures spécifiques aux violences conjugales dans le dispositif de protection de l’enfance, ces situations doivent être traitées selon le droit commun de la protection de l’enfance. Il ne faudrait surtout pas réduire au silence la mère et l’enfant victimes et augmenter, par voie de conséquence, le danger pour l’enfant.

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