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« Mais madame, on n’a pas le temps » : réflexion éthique en établissement (4/5)

Tous le disent, des décideurs des cabinets aux petites mains du terrain : la formation en éthique est capitale. Pas d'appels incessants pour utiliser votre CPF (compte personnel de formation) mais un critère d’évaluation majeur des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Qu’il faudra confronter à la vie quotidienne… Quatrième volet de notre série sur la réflexion éthique en établissement.

Juste parler de vie

Dès son introduction, le référentiel d’évaluation porte sur quatre valeurs présentées comme fondamentales (1) :

  • le pouvoir d’agir de la personne ;
  • le respect des droits fondamentaux ;
  • l’approche inclusive des accompagnements ;
  • la réflexion éthique des professionnels.

En formation, les thèmes varient (bientraitance, maltraitance, droits des usagers, réflexion éthique…) mais les réponses reviennent. Comme une mauvaise chanson dont on connaîtrait tellement le refrain qu’on le fredonnerait sans vraiment s’en rendre compte.

« Mais madame, ce n’est pas de notre faute.
Mais madame, on n’a pas le temps.
Mais madame, on n’a pas de droit.
Mais madame, ce n’est pas possible. »

C’est vrai.

En vrac, et de façon non exhaustive, citons une fois encore les manques de personnels, les manques de moyens, les injonctions contradictoires, les protocoles incompréhensibles, les manques de formation, les locaux inadaptés… Les freins aux meilleures volontés sont nombreux et pesants. Tellement qu’il devient un peu ubuesque de parler d’éthique à des personnes qui se sentent éloignées depuis parfois bien longtemps du sens de leur métier. Comment l’éthique peut-elle se frayer un chemin dans ce marasme sans passer pour un artifice de plus ? Une petite couche de vernis bon marché pour un système qui se craquelle de toutes parts ?

Et si, faire le pari, à la fois trop à la mode et un peu fou, d’aller parler d’éthique, c’était juste essayer de parler de vie ?

Agir à notre échelle

Il y a, dans nos accompagnements du quotidien, des combats qui semblent plus grands que d’autres. Doit-on mettre sur un pied d’égalité une atteinte à l’exercice du droit de vote et une tenue sale, mal adaptée à la saison ? Peut-on comparer l’impossibilité d’une consultation dans un service hospitalier spécialisé et des atteintes incessantes à l’intimité et à la sexualité ? S’intéresse-t-on autant à un refus de soin bafoué qu’à un repas sans goût ni texture, inadapté aux capacités du patient ?

Le manuel d’Epictète nous disait déjà qu’une certaine forme de sagesse consistait à savoir différencier ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. L’impulsion à agir est une des premières qu’il cite comme dépendant de nous. Mettons cette impulsion dans l’accompagnement que l’on propose à l’autre. Il est difficile (mais pas toujours impossible) d’agir sur de gros dysfonctionnements institutionnels et sociétaux. En revanche, il n’appartient qu’à nous de considérer tout ce sur quoi nous pouvons agir.

Si l’on parle de maltraitance ordinaire (depuis le rapport de Claire Compagnon et Véronique Ghadi il y a déjà 14 ans), on pourrait lui opposer l’éthique ordinaire. Quel que soit le nom qu’on lui donne : résident, personne accueillie, usager… chaque statut porte en lui-même de petites ou grandes atteintes tout au long des jours, des mois, des années d’accompagnement dont il bénéficie.
Dès le petit-déjeuner, à heure à peu près fixe en oubliant les différents rythmes de chacun, un contenu identique quelle que soit son envie ou sa faim (avec parfois, marqueur du temps, un croissant le dimanche, pas en plus mais à la place du pain). Et gare à celui qui voudrait remplacer son café par un thé ou qui aurait envie d’un deuxième pain. Il voudrait faire un dessin, quelle bonne idée, mais les feuilles et les crayons sont dans le bureau de l’équipe. Il voudrait aller aux toilettes, rien de plus normal, mais nous sommes occupés ailleurs, il fera quand nous le pourrons. Il aimerait manger des frites chaudes et croustillantes comme ses voisins plutôt que de la purée mixée mais ce n’est pas prévu, ou alors nous avons décidé de lui imposer un régime, il est trop lourd à manipuler. Il voudrait prendre un bain moussant de temps en temps, petit moment de détente et de conscience de son corps, et prend les aides à la douche un peu violemment. Il aurait envie de fumer une cigarette avec un café après le repas sans avoir à aller la quémander, voire la mériter par son comportement.

Du « on » anonyme au « nous » collectif

Dans les formations d’éthique, reste à faire sauter un dernier verrou et non des moindres. « Mais madame, eux aussi ils sont maltraitants avec nous. » C’est vrai. Ce que certains subissent comme violences physiques et psychologiques au travail doit être reconnu. Fortement.
Mais faisons le pari, pas fou mais ambitieux, que si l’éthique ordinaire redonnait un peu de sens à nos actes et à leurs vies, les moments de violences réduiraient un peu. Que nous les vivrions différemment, conscients que certaines choses ne dépendent pas de nous mais que nos réactions et nos accompagnements dépendent de nous, individuellement. Il est vrai que « on » n’a pas le temps mais « je » vais le prendre. « On » ne fait pas comme ça mais je vais faire à votre manière. C’est possible. Et c’est grâce à « moi ». Puis avec du temps et de l’intelligence le « je » pourra redevenir « nous ». Pas un « on » anonyme mais un « nous » pour désigner l’équipe, voire l’institution.

 

Notre série sur l'éthique en établissement

Bienvenue dans le monde des injonctions paradoxales  (1/5)

« Ne faites rien pour nous sans nous » (2/5)

Du temps, de la formation et une autre culture (3/5)

« Mais Madame, on n'a pas le temps »  (4/5)

Médocs à gogo et doudous régressifs (5/5)

 

Ce texte est extrait du hors-série sur « La réflexion éthique en établissement, retrouver du sens ». Pour vous abonner aux hors-séries ASH, c’est ici.


(1) Comprendre la nouvelle évaluation des ESSMS.

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