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Régine Komokoli : itinéraire d’une « Clandestine », élue de la République

Régine Komoli, un destin hors du commun d'une ex migrante devenue élue de la République.

Crédit photo Solenne Durox
Ancienne migrante et sans-domicile fixe, Régine Komokoli s’est forgée un destin inattendu en devenant conseillère départementale d’Ille-et-Vilaine. Déléguée à la protection maternelle et infantile, à la petite enfance et à la parentalité, elle est aussi la fondatrice du collectif rennais Kune, qui agit contre les violences conjugales.

Elle écarquille les yeux en découvrant la générosité de la salade César que le serveur lui apporte à table. Il y en a au moins pour deux personnes. Une abondance dans l’assiette qui lui coupe l’appétit. Si bien qu’après quelques bouchées, elle finit par capituler. Régine Komokoli n’est pourtant pas le genre de femme à abdiquer, bien au contraire, et ce malgré les épreuves rencontrées. Pendant longtemps, cette Rennaise de 41 ans, au sourire communicatif, a été silencieuse. Trop longtemps. Aujourd’hui, elle ne manque jamais l’occasion de s’exprimer et de se faire la porte-parole de celles qui se cachent pour souffrir. Régine Komokoli a grandi en République centrafricaine. Elle y a connu la pauvreté, la guerre. « J’ai perdu des proches et j’ai payé cher ma condition d’adolescente », précise-t-elle. Désignée par sa famille pour rejoindre la route de l’exil, elle est arrivée en France en 2000, sans papiers.

 

La voix des sans-voix

Son parcours a été celui d’une femme migrante, avec empilement de toutes les précarités. Sous la menace d’une expulsion qui la renverrait chez elle, la jeune femme a été exploitée sexuellement en échange d’un toit. Jusqu’à ce qu’un Français lui tende la main et lui propose un mariage blanc. Elle a 19 ans, lui 57. « Il disait vouloir me rendre service sans rien attendre en retour, mais dès qu’on a été unis, il a voulu consommer le mariage. J’ai donc été violée légalement », raconte Régine Komokoli qui a fini par divorcer. « Des situations comme cela, il y en a plein. Quand tu regardes les statistiques, il y a beaucoup plus de garçons mineurs non accompagnés. Personne ne se demande où sont les filles qui arrivent en France. Elles sont tout simplement embrigadées dans des mariages », ajoute-t-elle.

Pour s’intégrer, elle a étudié la langue « en dénichant une prof de français sur Leboncoin ». Puis elle décroche un diplôme d’aide-soignante, obtient la nationalité française. La violence la rattrape pourtant en 2018. Enceinte de son troisième enfant, frappée par son conjoint, elle finit sa grossesse hospitalisée. Condamné, il sort plus tôt de prison, et l’agresse à nouveau à leur domicile. Elle se retrouve alors à la rue avec ses filles. S’en suivent plus de 1 000 nuits en hébergement provisoire. « J’ai connu les appels au 115, les nuits à l’hôtel avec mes trois filles, ou dans ma voiture. Je n’avais plus rien. Ça ne devrait pas être aux femmes battues de quitter leur logement », déplore la mère de famille. Elle relève la tête en s’engageant dans son quartier puis en politique.

Alors qu’elle est encore sans domicile fixe, elle assiste à une réunion des écologistes à Rennes. Ils cherchent des personnes issues de la société civile. Régine Komokoli saisit l’occasion avec l’objectif de porter la parole des femmes violentées, des plus démunis, des sans-voix. C’est la révélation. Elle se sent une citoyenne à part entière et se présente aux élections départementales en engageant toutes ses économies pour faire campagne. Contre toute attente, elle est élue en 2021 : « Femme noire, inconnue, avec un passé de migrante sans papiers, je n’avais aucune chance. » Elle gagne finalement.

Parallèlement à ses fonctions de conseillère départementale, la bretonne d’adoption s’investit avec le collectif de femmes Kune dont l’objectif est de décloisonner Villejean, l’un des quartiers prioritaires de Rennes. Son ambition : promouvoir un féminisme populaire. « Le féminisme n’avait pas trop droit de cité avant la création de notre collectif en 2020. C’était considéré comme un caprice de filles blanches, jeunes, intellectuelles. Désormais, on a notre mot à dire. Cela ne va pas toujours de soi car la place d’une femme est plutôt derrière l’homme dans certaines cultures. Au début, on a eu quelques intimidations. On nous disait de ne pas oublier d’où on venait, que les femmes ne font pas ça chez nous », raconte la conseillère départementale. « C’est une surdouée au chemin époustouflant, capable de toujours trouver la force de rebondir », soulinge Renaud Layadi, chargé des actions de coopération internationale au conseil régional de Bretagne.

 

Une écoute clandestine

A force de pédagogie, le collectif devient incontournable à Villejean. Le féminicide d’une habitante particulièrement appréciée en avril 2022, l’émotion et les marches blanches qui ont suivi l’ont convaincue d’agir particulièrement sur la question. « Nous avons décidé de prendre nous-mêmes nos affaires en main. » Comment ? Grâce à une structure d’auto-défense baptisée « Les Clandestines ». Régine Komokoli constate que la situation des femmes victimes de violences conjugales est largement sous-estimée. Les dispositifs existants, comme la nouvelle Maison des femmes à Rennes, ne sont ouverts qu’en journée durant la semaine. Quant à l’accueil, il ignore souvent la réalité des populations vivant dans les quartiers. « A Villejean, on parle 52 langues et dialectes différents. Il y a des femmes qui ne parlent pas français, ou alors un français administratif, si bien que lorsqu’elles veulent porter plainte, elles ne sont pas capables de raconter leur agression, d’entrer dans les détails », pointe-t-elle.

Pour certaines, il est inconcevable de confier leurs problèmes intimes à des policiers ou des interprètes. Les violences conjugales peuvent aussi être relativisées au regard d’autres agressions déjà subies en France ou dans le pays d’origine. D’autres femmes n’envisagent même pas de porter plainte car elles sont en situation irrégulière. L’ayant elle-même vécu, Régine Komokoli sait que l’isolement, la dépression, l’incapacité à se confier jouent en faveur du compagnon violent : « Il faut une approche moins administrative et beaucoup plus sensible, au cas par cas. » La solution trouvée par cette battante : créer un réseau d’habitants prêts à écouter les femmes maltraitées en dépassant toutes les barrières, linguistiques notamment. « Notre objectif, c’est que les hommes violents ne puissent plus compter sur le silence de leurs victimes », prévient-elle.

Mais, avant de passer à l’action, le collectif a souhaité se former au recueil de la parole. « Après le décès de notre amie, les membres du collectif ont été très sollicités par des femmes qui ont commencé à nous raconter leur situation. Certaines d’entre nous ont eu du mal à gérer cette libération de la parole. C’était très compliqué psychologiquement. On s’est rendu compte qu’on n’était ni préparées ni outillées », précise la jeune femme. Grâce à un financement participatif, Kune a récolté de l’argent pour former neuf femmes à l’écoute bienveillante. Mères au foyer, demandeuses d’emploi, retraitées, elles peuvent échanger dans une quinzaine de langues. Elles pourront être contactées en toute discrétion, à tout moment, à la sortie de l’école, au supermarché, au centre social, à la mosquée, à la maison de quartier… Les Clandestines ne seront jamais ouvertement visibles. Leur action repose sur leur insertion dans la vie du quartier. « Nos activités habituelles seront notre couverture », affirme Régine Komokoli. « En travaillant sous les radars, le collectif offre des solutions efficaces à bas bruit », estime Renaud Layadi, du conseil régional de Bretagne. 

Le rôle des Clandestines sera non seulement d’écouter mais aussi de documenter, d’apporter des solutions. Et, le cas échéant, de se mettre en rapport avec les services officiels (police, justice) ainsi que les associations d’aide aux victimes. Un cheminement qui prend souvent du temps : porter plainte est un saut vers l’inconnu qui amène ces femmes à quitter leur logement. C’est pourquoi il est également essentiel de les aider à s’émanciper, à sortir de chez elles en participant à des activités. « Avec le collectif, on leur montre qu’elles sont capables de faire des choses, on travaille sur l’estime de soi. » Le réseau d’autodéfense féministe entrera en action à cet automne 2023..

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