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Enfants abandonnés : « Rendre justice aux "mères de naissance” »

Martine Fauconnier-Chaballier

Chargée de mission au Cnaop, Martine Fauconnier-Chabalier est l’auteure de Mères singulières. Les mères qui abandonnent leurs enfants en France (1900-2020) (éd. des Presses universitaires de Rennes).

Crédit photo DR
Dans son livre Des mères singulières, Martine Fauconnier-Chabalier, docteure en histoire et ancienne inspectrice à l’aide sociale à l’enfance (ASE), retrace le parcours des femmes qui abandonnent leur enfant à la naissance. Un sujet complexe et méconnu.

ASH - Votre récit porte sur une période allant de 1900 à 2020. Observez-vous des évolutions, et pourquoi ces termes de « mères de naissance » ?

Martine Fauconnier-Chabalier : Concernant les évolutions, je dirais oui et non. Tout d’abord, 15 152 enfants ont été abandonnés en 1905, contre 625 enfants en 2020. Entre ces deux dates, des évolutions ont eu lieu, en particulier après 1945, puis en 1975, avec les lois de protection sociale, davantage d’aides financières pour les enfants comme pour les mères et l’extension des possibilités de recueil temporaire. Les variations du nombre des abandons sont aussi liées à l’histoire sociale – conditions économiques, moyens de contraception autorisés, guerres… Il reste qu’aujourd’hui encore le regard porté sur ces mères demeure souvent empreint de jugements négatifs. Ces femmes déconcertent même les professionnels, qui ont plutôt pour mission de favoriser les liens mère-enfant. Je les ai nommées « mères de naissance » afin de souligner qu’elles sont mères, ce que certains leur dénient, et pour les différencier des mères adoptives. Les premières donnent la vie, souhaitent que leur enfant soit aimé, les secondes sont les mamans et élèvent l’enfant. L’un des objectifs de cet ouvrage est de faire connaître les réalités du siècle dernier. Les paroles des intervenants tant sociaux que médicaux peuvent aider ou, au contraire, blesser. Au début du XXe siècle, les filles-mères étaient considérées comme « fautives ». Jusque dans les années 1970, être fille-mère suscitait opprobre et rejet. Il fallait quasiment préserver l’« honneur de la famille ». Dans les années 1980-1990, certains médecins refusaient la péridurale à celles qui envisageaient l’abandon afin qu’elles « ne recommencent pas ». Or la priorité est la bienveillance de l’accueil que l’on réserve à ces mères.

Qu’est-ce qui a fondé votre travail ?

Ce sont les « mères de naissance » elles-mêmes qui ont motivé mon travail de recueil de témoignages et de plongée dans les archives. C’est une façon de leur rendre hommage et de les faire connaître. Elles ont mis un enfant au monde et ont essayé de faire de leur mieux. Elles avaient des projets de vie pour lui, encore fallait-il les écouter, le dire et le faire savoir. Dans la première moitié du XXe siècle, quand elles demandaient des nouvelles, elles recevaient un courrier leur indiquant uniquement si l’enfant était en bonne santé ou décédé. L’immense majorité des mères de naissance que j’ai rencontrées ont gardé le silence sur cette partie de leur vie et conservent une grande culpabilité. Ecrire ce livre, c’est leur rendre justice. C’est également leur permettre de réaliser qu’elles ne sont pas seules, et que leurs enfants sachent que leur agissement a très souvent été un acte d’amour et qu’elles n’avaient pas le choix. Quelle que soit sa situation, chacune d’elles a un parcours très singulier. Cet ouvrage s’adresse aussi à l’ensemble des personnes en contact avec elles, car certaines attitudes peuvent être plus ou moins réconfortantes.

Existe-t-il un profil spécifique des femmes abandonnant leur enfant ?

Il n’en existe pas. On trouve ces femmes dans tous les milieux. Ce qui les conduit à l’abandon est surtout une accumulation de difficultés et un manque de soutien familial. Certes, des caractéristiques communes existent : ces femmes sont seules, souvent célibataires et, en grande partie, sans ressources. Au début du XXe siècle, elles sont surtout de milieux très modestes et confrontées à des soucis d’argent… Les abandons du fait de la précarité ont subsisté jusque dans les années 1960 et s’expliquaient par divers facteurs tels que l’absence d’allocations chômage ou d’indemnités maladie. Par la suite, les personnes en difficultés financières ont été davantage aidées. Aujourd’hui encore, ces mères restent incomprises. Pourtant, elles ne se distinguent pas des autres. Mais il est sans doute plus facile de se dire : « Cela ne m’arrivera jamais », alors que n’importe quelle femme peut se retrouver dans un grand désarroi. L’abandon est un sujet assez complexe où se croisent des éléments sociaux, économiques, des aspects psychologiques, etc. Le premier motif d’abandon évoqué par les mères au XXIe siècle est la perspective d’élever l’enfant seule, sans le père.

Abandon et accouchement dans le secret sont-ils synonymes ?

Les abandons ne sont pas tous secrets. Une femme peut abandonner mais donner son nom. Il est important de rappeler qu’il n’y a pas une façon unique de faire. Dans la première moitié du XXe siècle, beaucoup de mères donnaient leur patronyme à leur enfant et laissaient des informations. Dans les années 1950-1970, la société, l’Assistance publique et les parents adoptifs ont pensé qu’il était préférable que l’enfant ne connaisse rien de sa mère de naissance. Il leur était donc demandé de ne laisser aucune trace. Depuis 2002 et la création du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles (Cnaop), les mères sont invitées à laisser le maximum d’informations afin que l’enfant, devenu adulte, s’il recherche ses origines, sache quelle était la situation de la mère de naissance et ce qui l’a amenée à l’abandon. Par ailleurs, les mères peuvent laisser leur identité, directement visible ou sous pli fermé. Elles peuvent aussi donner un ou plusieurs prénoms à l’enfant.

Les enfants abandonnés sont-ils adoptés ?

L’adoption de mineurs est possible depuis 1923, mais les enfants abandonnés ont commencé à être adoptés surtout à partir des années 1950 et la plupart des parents adoptant souhaitaient alors un bébé en bas âge. Actuellement, la quasi-totalité des enfants abandonnés arrivés jeunes à l’ASE sont rapidement adoptés. Beaucoup d’enfants devenus grands ou à particularité, comme ceux présentant des problèmes de santé, sont également adoptés.

Que ressentent les femmes que vous avez croisées pour votre enquête ?

Prendre la décision de confier son enfant est souvent très douloureux. Il faut vraiment que ces mères soient accueillies, quelle que soit leur décision, et que cet accueil soit toujours amélioré. Certains départements ont mis en place des services pour rencontrer le plus en amont possible les femmes enceintes en difficulté, mais cela reste rare, et des mères arrivent pour accoucher dans une grande détresse sans avoir vu un professionnel social ou de santé. Les écouter, c’est aussi leur permettre de réfléchir à quels souvenirs, quelles marques elles vont laisser à leur enfant pour que celui-ci se construise avec des racines. Dialoguer avec elles, comme cela a été le cas pour ce travail, leur apporte un certain apaisement. Il ne faut pas oublier qu’elles désirent qu’on aime leur enfant et que l’on en prenne soin.

Arrive-t-il souvent que les femmes retrouvent leur enfant ?

Seul l’enfant peut faire des démarches pour retrouver sa mère. Les retrouvailles sont souvent source de joie, mais peuvent aussi être douloureuses, pour l’un comme pour l’autre.

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