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Accueil et petite enfance : l'exemple italien de Pistoia

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Crédit photo AMELIE-BENOIST BSIP via AFP
En France, le secteur de la petite enfance souffre d’un manque d’attractivité généralisé et le ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe, a annoncé une grande concertation nationale sur un « service universel d’accueil du jeune enfant ». L’occasion pour les professionnels de s’inspirer des réussites de nos voisins. En ce sens, du 7 au 11 novembre, les éditions érès proposent une formation à Pistoia, commune du nord de l’Italie internationalement reconnue pour la qualité de son offre éducative. Sylvie Rayna, psychologue de l’éducation de la petite enfance, encadrera ce voyage d’étude. Auteure, avec des acteurs clés de cette ville, de « Pistoia, une culture de la petite enfance » (2020), elle a également dirigé l’ouvrage « Voyager en petites enfances. Apprendre et changer » (2021). Elle expose ici les spécificités de cette commune de 90 000 habitants, qui, depuis cinquante ans, détonne par la qualité de son système d’accueil et d’éducation de la petite enfance.

Actualités sociales hebdomadaires - Pourquoi un voyage d’étude ?

Sylvie Rayna : Les apports du voyage en formation sont multiples. J’en ai fait l’expérience en participant à l’organisation de voyages d’études à l’étranger ou lors de la réception en France de délégations étrangères,notamment italiennes. Ils nécessitent toutefois une préparation en amont du départ, notamment au travers d’un travail de documentation, et la composition d’un groupe de petite taille. Dix professionnels participent à la formation. L’objectif est de leur permettre de faire un pas de côté par rapport à leur réalité de terrain, de bousculer leurs représentations et de se nourrir de ce qui se fait et fonctionne ailleurs. Notre choix s’est porté sur Pistoia, ville phare de la prise en charge de la petite enfance dans le monde.

Comment l’expertise de Pistoia s’est-elle construite ?

L’expérience de Pistoia s’inscrit dans un contexte historique, politique, géographique, économique et culturel, particulier. Les initiatives de cette municipalité découlent de la dynamique qui s’est créée après-guerre, dans un ensemble de communes du nord de l’Italie, à la suite de Reggio Emilia [approche éducative où l’enfant est maître-d’œuvre de ses apprentissage, ndlr], dans la région voisine de l’Emilie-Romagne. Elle a mené à la création d’écoles maternelles municipales – en Italie, les écoles d’Etat n’ont vu le jour que dans les années 1960 – et à la naissance d’une nouvelle culture pédagogique qui, au-delà du patrimoine italien hérité de pédagogues comme les sœurs Agazzi et Maria Montessori, se fonde sur la valeur de la participation et l’écoute. Les crèches municipales, qui se sont développées à partir des années 1970, ont suivi le mouvement. Dès 1972, avec Anna Lia Galardini à la tête du service de l’éducation, Pistoia a décidé de créer des crèches municipales en les considérant comme des structures éducatives au même titre que les écoles maternelles. Ainsi, crèches et écoles maternelles municipales se sont dotées d’un même corps professionnel qui s’est mis à fonctionner en équipe, sans postes de direction et en réseau sur toute la ville tout en étant accompagnées par un groupe de coordinatrices pédagogiques. A partir des années 1980, les « aree bambini » – des espaces ouverts à la fois aux enfants des structures éducatives avec leurs « insegnantes » et aux familles avec leurs enfants et possédant différentes spécificités comme les arts plastiques, la narration, ou encore la nature – se sont adjoints à ce système intégré de la petite enfance.

Comment cette « approche intégrée » s’est-elle organiseée ?

Elle se caractérise par l’absence de séparation entre les crèches et l’école maternelle. La municipalité a décidé d’assurer une continuité éducative durant toute la période allant de 0 à 6 ans, alors que chez nous, la toute petite enfance (0 à 3 ans) et l’école maternelle sont des univers distincts. Une vision commune de l’enfant et de l’éducation est soutenue par les coordinatrices pédagogiques, qui sont elles-mêmes en réseau au niveau régional (c’est ainsi que s’est développée une « approche toscane ») et, au-delà, au sein du groupe national Nidi e Infancia, créé dans les années 1980 par Loris Malaguzzi, le célèbre pédagogue de Reggio Emilia. Les équipes des crèches, écoles, et des « aree bambini » sont composées d’éducatrices ou d’enseignantes de maternelle qualifiées pour la plupart au niveau master, qui travaillent de manière collégiale. Toutes sont considérées comme des « créatrices » pédagogiques et sont aidées dans leurs tâches quotidiennes par des collaboratrices (agents de lingerie, de restauration…).

Quelle place la coéducation dans l’accueil du jeune enfant occupe-t-elle ?

L’expérience de Pistoia repose sur plusieurs paradigmes. Parmi ces fondamentaux, l’idée que l’enfant est riche de compétences et que lorsque l’on accueille un enfant, on accueille aussi ses parents. Mais l’alliance avec les familles est pensée au-delà de la simple participation à des activités pédagogiques, artistiques, ou autres. A Pistoia, enfants, parents et enseignants sont considérés comme des habitants. C’est une culture de l’habitat au sens anthropologique du terme qui y a été construite depuis cinquante ans. La disposition, l’esthétique et l’agencement d’un espace disent beaucoup de l’état d’esprit qui règne en un lieu. A Pistoia, les murs parlent (images et paroles d’enfants) et invitent au partage. Ainsi, si les principes de base demeurent inchangés, les enfants sont protagonistes de leur éducation et les enseignants cheminent avec eux pour faire sans cesse évoluer leurs pratiques. Chaque structure dispose de sa « carte d’identité », c’est-à-dire d’un habitat qui lui est propre.

Pourquoi une telle importance est-elle accordée à la « beauté » des espaces ?

Nous sommes en Toscane. Pistoia, Florence et d’autres communes sont des musées à ciel ouvert. La culture de la petite enfance s’enracine dans ces patrimoines artistiques et culturels. Les pédagogues de Pistoia parlent d’un « droit de l’enfant à la beauté ». A leur arrivée, ils s’ébahissent de la plastique des lieux et cet émerveillement invite d’emblée à l’apprentissage et aux relations. Il en va de même pour les parents qui sont ravis de voir le soin accordé aux espaces où vont évoluer quotidiennement leurs enfants. Toutefois, il est important de souligner qu’à Pistoia, esthétique n’est pas synonyme d’onéreux. Les décorations et objets utilisés sont peu coûteux et sont d’ailleurs très peu manufacturés. Beaucoup de matériaux sont récupérés et retravaillés à la main par les « insegnantes », les parents et les enfants eux-mêmes.

Le système d’accueil de Pistoia est-il inclusif ?

Depuis la loi italienne de 1977, les enfants handicapés sont accueillis dans les structures éducatives. Ils y sont nombreux. Et ce qui est à souligner, c’est la façon dont leur participation est favorisée : à Pistoia, pas de personnel d’accompagnement pour tel ou tel enfant dans une classe ou section de crèche, mais une « insegnante » supplémentaire, affectée à l’ensemble du groupe. Elle est chargée avec ses collègues, et les spécialistes du handicap de l’enfant, de penser son accueil par des propositions éducatives pertinentes pour tous les enfants du groupe. Par exemple : une salle sensori-narrative a été créée et aménagée grâce à la présence d’une petite fille aveugle.

De quoi la France devrait-elle s’inspirer en priorité ?

La charte nationale portant sur l’accueil du jeune enfant, entrée en vigueur le 23 septembre 2021, est un point de départ intéressant. Sa déclinaison en dix grands principes pose un socle sur lequel les professionnels des crèches et les assistantes maternelles peuvent s’appuyer. Néanmoins, l’idéal serait d’avoir un système plus continu de l’âge de 0 à 6 ans et de dépasser le fossé entre le monde de la petite enfance et les débuts de la scolarité. Il faut imaginer, comme c’est déjà le cas par endroit, des passerelles plus fluides entre crèches et écoles maternelles. Pour ce faire, il est nécessaire de repenser la formation initiale et continue des professionnels travaillant avec les jeunes enfants pour construire un socle commun entre personnels des écoles maternelles, de la petite enfance et de l’animation. Il est à noter que le processus a déjà été entamé par les différents acteurs. Avec la création de ce socle commun, crèches, écoles et accueils périscolaires pourraient avancer ensemble, avec le sentiment d’appartenir à un système éducatif global en bénéficiant des apports des uns et des autres. A Pistoia, tout comme dans les pays nordiques qui possèdent un modèle très qualitatif d’accueil de la petite enfance, on constate qu’au-delà des moyens financiers, c’est surtout une question de paradigme.

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