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« L’autodétermination résulte d’un apprentissage »

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Co-auteurs de l’ouvrage Handicap, pour une révolution participative (éd. érès, 2022), Coralie Sarrazin est chercheuse au Centre de recherche de Montréal sur les inégalités sociales (Cremis) et Loïc Andrien enseignant à l’Institut national supérieur de formation et de recherche pour l’éducation des jeunes handicapés et les enseignements adaptés (Inshea).

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Les chercheurs Loïc Andrien et Coralie Sarrazin invitent à repenser la participation des personnes handicapées en créant, par l’apprentissage, les occasions de s’émanciper. L’accompagnement doit ainsi intégrer la notion de risque et offrir, grâce à des environnements favorables, de réelles alternatives à chacun.

Actualités sociales hebdomadaires - Qu’est-ce que l’autodétermination ?

Coralie Sarrazin : L’autodétermination, c’est reconnaître à chacun le droit à la vie qu’il souhaite, en fonction de qui il est. Elle est composée d’un ensemble de valeurs, individuelles et sociétales, dans le respect de la dignité humaine. Souvent, on la réduit à aux notions de choix et d’autonomie en oubliant un élément central : le rôle de l’environnement.

Loïc Andrien : Vous pouvez avoir des choix à faire, mais sans alternatives, cela ne sert à rien. Il faut créer les conditions de l’autodétermination pour qu’elle advienne, et, pour ce faire, transformer les environnements. Voilà la grande difficulté : toutes les théories sont centrées sur l’individu. Les professionnels se forment à l’autodétermination, mais on ne réfléchit pas au processus politique qui permettrait de la favoriser.

Quels sont les freins ?

C. S. : Les personnes en situation de handicap, en particulier celles présentant une déficience intellectuelle, sont souvent entourées d’une présomption d’incompétence. On présume qu’elles ne sont pas capables, qu’elles vont échouer et on anéantit ainsi toute ambition. Cette attitude va à l’encontre du respect de la dignité des personnes. Il faut en prendre conscience et repenser l’accompagnement à cette aune.

L. A. : Ça commence par une remise en cause de nos propres croyances et représentations, par le fait d’accepter de réfléchir sur nous-mêmes. Le secteur s’est construit sur des logiques d’expertise de certains métiers, sur des savoirs construits sur les personnes mais rarement avec elles. Ce qui valide, sans qu’on s’en rende compte, les présupposés. Certes, les choses évoluent, mais ce n’est pas parce qu’on le décrète que les choses changent fondamentalement : il reste tout un travail réflexif sur les valeurs à porter.

Comment favoriser le droit des personnes à s’autodéterminer ?

C. S. : Il n’y a pas de recettes. On encourage les organisations à se questionner, à établir un diagnostic au niveau des équipes et des stratégies d’association, à repérer les grains de sable qui freinent, à prendre du temps pour construire du sens. Ensuite, dès qu’un élément concerne les personnes, celles-ci doivent participer. Si la réunion n’est pas accessible, pour des raisons techniques par exemple, il faut changer de format. L’autodétermination ou la désinstitutionnalisation doit passer par la participation sociale. On parle d’inclusion mais les projets de vie ont tendance à rester assujettis au médico-social. Et les besoins des personnes à correspondre à ce que leur offrent les structures.

Pourquoi plaidez-vous pour une prise de risque dans l’accompagnement ?

C. S. : On a tendance à freiner toute potentialité, parce qu’on estime que la personne ne sera pas capable, qu’elle va se blesser… On invoque sans cesse le risque de manière utilitaire. Or la notion n’est inscrite nulle part dans les textes ou les protocoles des organisations. Elle permet, en revanche, de ne pas remettre en cause nos représentations. Et ce sont les personnes en situation de handicap, elles-mêmes, qui en subissent les conséquences. Au lieu de penser le risque, on propose de penser la dignité du risque. Il ne s’agit en aucun cas de mettre la personne en danger mais de réfléchir en termes de gain : a-t-on plus à gagner en empêchant ou en essayant de faire ?

L. A. : Penser différemment est indispensable, comme discuter en collectif pour évaluer le risque : telle personne peut-elle prendre les transports ? Cette évaluation, comme pratique professionnelle, va permettre d’insuffler du sens au projet de la personne et de construire le processus politique d’autodétermination.

C’est un travail de longue haleine…

C. S. : Je pense à une structure qui disait : « Nous, le mercredi, c’est autodétermination. » Les personnes pouvaient faire ce qu’elles voulaient ce jour-là. Mais l’autodétermination ne se décrète pas, elle résulte d’un apprentissage. Si on décide tout à la place d’une personne, on ne peut pas lui demander subitement : « Tu vas faire quoi de ta vie ? » La marche est trop haute. Savoir quoi faire, comment faire s’apprend. Il faut expérimenter les occasions d’autodétermination et pouvoir prendre des risques : les deux s’alimentent. Si un professionnel se borne à proposer un choix et à constater que la personne n’est pas capable de l’assumer, l’autodétermination n’existe pas pour elle.

L. A. : L’adolescent réalise le même apprentissage. Pour s’émanciper, il construit un processus culturel classique d’individuation que ses parents ont intégré. La personne en situation de handicap ne dispose pas de cette possibilité. On ne lui en donne pas l’accès.

S’agit-il de fermer les établissements pour créer un cadre favorable ?

L. A. : Non. Il s’agit surtout de remettre en cause les façons de penser et les représentations. Institutions et établissements ne doivent pas être confondus. Dans une institution, on instaure des règles pour créer du commun. La désinstitutionnalisation est une remise en question des manières d’envisager ces règles. On ne les modifie pas simplement en fermant les établissements. L’école inclusive ne transforme pas l’Education nationale. On peut faire de l’habitat inclusif, intervenir au domicile, tout en conservant le même fonctionnement, en imposant les mêmes règles collectives et les mêmes pratiques professionnelles. La priorité est donc bien de revoir nos modes de pensée.

C. S. : Interroger la pertinence des établissements est sain. Mais la question est souvent posée de manière binaire : faut-il les conserver ou non ? Les établissements sont intéressants mais pas pour tout le monde. Des alternatives pourraient exister, quantité de règles pourraient être levées et les carcans entravant la pensée tomber. L’habitat inclusif, par exemple, avec les mêmes règles qu’en établissement, demeure de l’institutionnalisation. Elle est seulement plus insidieuse que lorsqu’elle passe par quatre murs.

Le Québec a tenté une forme de désinstitutionnalisation dans les années 1960. Pour quel résultat ?

C. S. : Le Québec a décidé de fermer du jour au lendemain les hôpitaux psychiatriques : les personnes se sont retrouvées dans des appartements alors que personne n’était prêt à les accueillir. On a remplacé les murs de l’établissement par la stigmatisation sociale, avec des personnes en grande souffrance.

L. A. : Cet exemple montre qu’il ne faut pas confondre la désinstitutionnalisation avec la fermeture des établissements. Si l’on ne modifie pas nos approches du handicap, nous créerons toujours plus des environnements inhospitaliers.

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