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Enfants placés : « Le déni de la parentalité d'accueil »

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Philippe Fabry

Educateur spécialisé, psychosociologue, Philippe Fabry est aussi formateur en travai social et auteur de De l'enfant placé à l'enfant confié, Ed. L'Harmattan, 2021

Crédit photo DR
Les placements en protection de l’enfance sont marqués par l’idéologie du retour en famille. Pourtant, certains enfants restent en famille d’accueil ou en institution jusqu’à leur majorité, ce qui est contraire aux connaissances sur leurs besoins fondamentaux, explique Philippe Fabry, éducateur spécialisé et chercheur.

Actualités sociales hebdomadaires - Sur un plan historique, comment le placement s’est-il imposé en France ?

Philippe Fabry : Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les enfants abandonnés ou orphelins étaient ballottés d’un endroit à un autre et leurs conditions d’existence étaient désastreuses. Le placement repose sur l’idée qu’ils ont besoin de sécurité affective et relationnelle pour grandir. Mais alors que la famille d’accueil apparaissait comme un gage d’équilibre, le modèle s’est renversé : on a décrété que la famille d’origine, même défaillante, représentait la « bonne » famille. Une partie des acteurs de la protection de l’enfance soutiennent la stabilité procurée par une famille d’accueil mais d’autres ne renoncent jamais à l’idéologie du retour. Cette situation fragilise les enfants dont le confiage, théoriquement provisoire, peut durer 18 ans. En France, on ne veut pas entendre parler de la dimension adoptive de l’accueil familial. Il existe un très fort déni de cette parentalité.

Comment l’expliquez-vous ?

L’idéalisation du principe qu’un enfant ne doit avoir qu’une mère et un père est très prégnante. Les anthropologues appellent ce phénomène « l’exclusivité de la filiation ». Cette vision se révèle très hostile à la pluriparentalité. Tout se passe comme s’il n’y avait qu’un seul gâteau parental, impossible à partager. Or, depuis plus de 50 ans, les études démontrent que les placements de longue durée représentent un haut risque de délaissement parental. A la sortie de l’ASE, un quart des jeunes ne voient plus leurs parents et la moitié d’entre eux ne peuvent pas être aidés par ces derniers. La justice a toujours préféré le placement permanent au retrait de la filiation. Notre système masque les risques et agit un peu comme un repoussoir. La France est incapable de sécuriser des parcours d’adoption simple. En réalité, ces derniers commencent à se développer discrètement : plusieurs familles d’accueil adoptent, à l’âge adulte, des enfants qu’elles ont quasiment élevés depuis la naissance.

Quels sont les effets de cette philosophie pour les jeunes placés ?

L’échec car on leur offre une fausse stabilité. Quand, après des années, on finit par signifier à l’enfant qu’il n’y a pas de retour possible chez lui alors que, souvent, celui-ci est prédit, on décide de stabiliser le placement. Ce double fonctionnement empêche de mettre en place des outils d’évaluation pour savoir si un réel retour est envisageable ou pas. On ne sait pas rechercher, par exemple, s’il y a des ressources dans la famille élargie qui puisse présenter une alternative au retour chez les parents d’origine et au placement long. En France, 6 % à 7 % d’enfants sont confiés à des proches contre 90 % en Espagne, 66 % en Belgique. Cette pratique augmente partout mais elle exige une technologie que, sauf exception, la justice française – qui ne reconnaît que les parents légaux – ne possède pas.

À partir de quels éléments peut-on prédire un retour ou pas ?

Les Anglais et les Québécois se servent d’une mesure de l’engagement parental. Les parents qui ne viennent pas régulièrement voir leurs enfants placés sont classés dans le niveau très faible. Un bébé en pouponnière sociale est à risque majeur de délaissement ou de maltraitance. Tous les professionnels le savent. Mais les juges ne l’entendent pas ainsi ; il suffit que des parents, après avoir disparu, se tournent à nouveau vers leur enfant pour décider que celui-ci doit renouer des liens. Pendant ce temps-là, un nombre phénoménal d’abus a lieu. Il faudrait des études pour le démontrer. En Italie, pour les enfants de moins de 1 an, des méthodes permettent d’estimer la récupérabilité de la parentalité dans un temps qui correspond au temps de l’enfant, pas à celui des adultes. La France, dont les idéaux d’égalité et de réparation sont très élevés, a beaucoup de mal à accepter que des parents puissent causer des dommages irréparables. C’est de l’ordre du tabou.

Comment cela se passe-t-il dans d’autres pays ?

Tous les pays rencontrent des problèmes pour recruter des assistants familiaux, soutenir les familles élargies quand elles accueillent des enfants. Mais ce qui me frappe lorsque je vais visiter des services en Belgique, par exemple, c’est la qualité des relations humaines entre professionnels. On ne voit pas tout de suite une structure pyramidale, avec le chef, le sous-chef, puis les petites mains. Là où cela fonctionne le mieux, y compris dans notre pays, c’est essentiellement quand l’organisation permet d’échanger, de s’entraider et quand chacun se trouve à sa place. Mais la comparaison avec nos voisins européens reste difficile, les situations s’avèrent très différentes d’une région à une autre alors que le modèle français s’inscrit dans l’échelon national. Ailleurs, comme au Québec, on se réfère au modèle anglo-saxon avec beaucoup d’évaluations, de recherches universitaires et une désinstitutionnalisation. Une durée maximale est fixée au placement. Un enfant de moins de 2 ans ne peut pas être placé plus d’un an ; entre 2 et 6 ans, pas plus de 18 mois ; après 6 ans et jusqu’à 18 ans, pas plus de deux ans. Bien que très normatif, ce système présente l’avantage de proposer beaucoup d’outils d’évaluation partagés. Les professionnels peuvent suivre le développement d’un enfant placé par tranche de trois mois. En France, on a tendance à ne dénoncer que les risques inhérents au fait de coller très tôt une étiquette à un enfant. En conséquence, beaucoup de jeunes restent des années sans diagnostic ni aide. Sans importer ce contrôle social massif et assumé des pays anglo-saxons, des voies d’amélioration existent.

Quelles sont ces voies d’amélioration ?

Il n’y a pas de modèle idéal mais des pratiques inspirantes. Il a fallu que je voyage à l’étranger pour me poser des questions auxquelles je ne songeais pas alors que j’étais dans le métier depuis longtemps. Comment peut-on accepter qu’un enfant soit placé provisoirement pendant 18 ans ? Pourquoi les juges n’ont-ils aucune recommandation de bonnes pratiques alors qu’ils prennent 80 % des décisions, parfois brutales, de retour en famille ? Comment comprendre que les familles d’accueil n’aient aucun droit en tant que parents d’éducation ? La France ne s’intéresse ni à la protection de l’enfance ni aux réflexions européennes sur cette thématique. Des choses bougent, néanmoins, avec l’émergence de la parole des jeunes concernés. Des associations font aussi avancer la question de la place des parents. Mais je reviens sur l’importance des outils comme le Fil Rouge mis en place en Belgique, qui permet de savoir combien de fois le jeune a été ballotté, comment il va sur le plan physique, cognitif, affectif, etc. Dans ce pays, les professionnels travaillent également en réseau avec des bénévoles. Ce choix est fondamental pour éviter la surinstitutionnalisation.

Entretien

Protection de l'enfance

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