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Jean-Pierre Rosenczveig : « L’école participe de la protection de l’enfance maltraitée »

Jean-Pierre Rosenczveig

Jean-Pierre Rosenczveig, l'ancien président du tribunal de Bobigny

Crédit photo DR
Face à l’augmentation des signalements d’enfants en danger pendant le confinement, l’ex-président du tribunal pour enfants de Bobigny insiste sur le rôle clé  du 119 et du service social rendu par l’école.  

Actualités sociales hebdomadaires : Les  appels au 119 Enfance en danger ont bondi depuis le début du confinement. Êtes-vous surpris ?

Jean-Pierre Rosenczveig : Le doublement des appels, annoncé par Adrien Taquet, me paraît énorme. Par ailleurs, ce n’est pas parce qu’il y a signalement qu’il y a violence avérée. Beaucoup d’appels viennent des voisins, qui sont confinés et sans doute plus vigilants que d’habitude. Tant mieux, mais ils surinterprètent peut-être. Il faut vérifier. Il n’empêche qu’il y a objectivement un risque. La semaine dernière, le directeur général de l’association Espoir (qui regroupe 14 établissements en Ile-de-France accueillant des enfants et des adolescents et dont je suis le président) me disait que les mandats judiciaires montaient en puissance. Cela signifie que les tribunaux de Paris, de Melun, de Créteil… avec lesquels on travaille se remettaient en ordre de marche, mais surtout qu’il y avait des situations graves qui remontaient des Crip [cellules de recueil des informations préoccupantes] ou des commissariats. C’était la crainte des professionnels de découvrir, à l’issue du confinement, des états de maltraitance qui se sont cristallisés durant celui-ci. Car, outre les violences préexistantes à la crise sanitaire, on pouvait  imaginer que de nouvelles allaient émerger. Des conflits apparaissent inévitablement quand les familles se retrouvent 24 heures sur 24 à six ou sept dans deux ou trois pièces. Il suffit de peu pour que cela explose. La peur, la maladie, la fatigue, la précarité, la privation de liberté exacerbent les tensions. Dans des contextes tendus, ce qui sauve habituellement est de pouvoir sortir. Là, tout est exacerbé à la puissance 10. Personne n’a suivi un stage de gestion de crise intrafamiliale avant le confinement…

Un dispositif Covid-19 a été mis en place pour renforcer la lutte contre les violences faites aux femmes. Faudrait-il en faire autant pour les enfants ?

J.-P. R. : Cela me paraît du bon sens d’adopter une démarche analogue et simple. A partir du moment où les possibilités de communiquer avec l’extérieur sont restreintes, le piège se referme sur les personnes violentées chez elles. Plus que jamais, il faut mettre en place des dispositifs faciles à utiliser – comme le 114, adopté pendant le confinement – pour que les femmes en danger puissent alerter par sms. On pourrait penser à quelque chose d’identique pour les enfants maltraités et leur rappeler directement ou indirectement l’existence du 119 Enfance en danger. Mais, visiblement, il fonctionne bien. Après, il n’y a pas de solution miracle. Quels que soient les efforts mis en œuvre par l’Etat, les départements, les associations, ceux-ci n’y arriveront pas seuls. Cela suppose que les capacités psychologiques des victimes ne soient pas annihilées – c’est tout le débat sur l’emprise. C’est néanmoins important qu’un signe ait été envoyé aux femmes pendant le confinement pour leur signifier qu’elles n’étaient pas abandonnées par la puissance publique. Etre cloîtré avec son bourreau sans aucune perspective de pouvoir envoyer une bouteille à la mer est un véritable cauchemar. 

L’école est-elle véritablement un rempart pour les enfants ?

J.-P. R. : Même s’il y a de la violence, du racket, l’école protège. Beaucoup d’appels aux dispositifs de prévention se situent dans les temps scolaires de repos. Les enfants téléphonent à la récréation ou pendant les pauses. Leurs copains sont aussi un bon relais, mais l’Education nationale est l’un des principaux fournisseurs des Crip :  trois quarts des signalements qui remontent par ces dernières proviennent des établissements scolaires. Pour les enfants les plus en difficultés, l’école est une bouffée d’air, une ouverture, un havre de paix. Le déconfinement va être un soulagement pour eux. Sans compter ceux pour qui le repas à la cantine est le seul de la journée. Dans les choix des enfants à rescolariser rapidement, il faut privilégier ceux qui sont laissés à vau-l’eau et qui ont besoin de l’école comme service social. Celle-ci participe de la protection de l’enfance, même si ce n’est pas sa mission principale. On s’aperçoit que, quand il n’y en a pas, comme maintenant, le dispositif souffre non pas d’un maillon faible, mais d’absence de maillon. Il faut  remobiliser d’urgence les services sociaux territoriaux à partir de l’école pour repérer non pas les futurs délinquants, comme certains le voudraient, mais la maltraitance. On n’y arrivera pas en demandant des postes mais en faisant en sorte que les travailleurs sociaux puissent franchir régulièrement la porte des établissements pour rencontrer les élèves et évaluer les difficultés qu’ils expriment. C’est une alliance à passer entre l’Etat, qui gère l’Education nationale, et les départements, qui gèrent la protection de l’enfance.

Comment travaillent actuellement les professionnels de la protection de l’enfance ?

J.-P. R. : En ce qui concerne la maltraitance, je suis préoccupé par les enfants dont la situation délicate avait déjà été signalée avant le confinement et dont les parents font l’objet d’un suivi à domicile, qui s’avère difficile à exercer en ce moment. Si des professionnels continuent de se rendre sur place avec des masques et en prenant les précautions-barrières nécessaires, l’essentiel du travail s’effectue par contact téléphonique. En temps normal, on sait que des parents maltraitants peuvent camoufler beaucoup de choses durant la visite physique du travailleur social lorsque celui-ci n’est pas suffisamment vigilant et expérimenté. La relation téléphonique peut révéler une ambiance, des cris, certains propos, mais elle instaure aussi une distanciation entre le bourreau et l’interlocuteur qui veut vérifier ce qui se passe. Dans ces conditions, on peut être inquiet de l’effectivité et de la qualité des mesures de soutien à la parentalité qui étaient en cours. Or l’accompagnement des familles potentiellement maltraitantes est fondamental. Mais, paradoxalement, l’éducateur qui suit d’habitude 25 à 30 situations sans pouvoir y consacrer l’énergie qu’il faudrait,a plus de temps à déployer par téléphone. A l’association Espoir, des parents leur disent : « Vous ne m’avez jamais autant appelé. » On ne sait pas si c’est de l’agacement ou de l’humour.

Le confinement a-t-il empêché des sorties de placement faute d’audience ?

J.-P. R. : Il y a de tout, on ne peut pas généraliser. Dans beaucoup de cas, des retours d’enfants chez leurs parents ont été anticipés par les services sociaux en lien avec les juges, et ce sans audience. A l’inverse, il y en a sûrement qui n’ont pas pu rentrer chez eux. Exceptées les décisions judiciaires liées à l’urgence où, par exemple, le procureur peut décider après évaluation de retirer l’enfant de sa famille, tout est plus ou moins gelé. En matière pénale, des audiences ont lieu en visioconférence. C’est moins évident pour le civil, d’autant que les familles qui nous préoccupent sont très précaires sur les plans économique et relationnel et que beaucoup n’ont pas d’équipement informatique. La crise est révélatrice des tendances lourdes dans la protection de l’enfance, et chaque département réagit dans un sens ou dans un autre. Dans le nord, l’ASE [aide sociale à l’enfance] a ouvert huit nouveaux foyers en quinze jours pour accueillir des jeunes à la rue, des mineurs isolés étrangers, des enfants confiés par le tribunal… Pour autant, j’estime qu’il ne faut pas revenir sur la décentralisation de l’ASE, ce que d’aucuns réclament.

 


(1) Jean-Pierre Rosenczveig a écrit, entre autres, Les droits de l’enfant pour les nuls (éd. First, 2019) et Rendre justice aux enfants (éd. du Seuil, 2018).

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