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Coronavirus à Mayotte : « Si rien ne bouge très vite, cela va être un carnage » pour les personnes âgées

"Bangas" à Mayotte

A Mayotte, plus de 80 % de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Crédit photo Creative Commons
Au 30 mars, Mayotte compte 74 cas avérés de Covid-19 sur son territoire. Alors que le niveau d’alerte a récemment été élevé au stade 2 et que le Premier ministre a annoncé le 28 mars des renforts médicaux spécifiques pour ce département d'outre-mer, Chrystel de Bricourt, codirectrice de Dagoni-Services, structure d’aide à domicile sur l’île, s’alarme de la situation à venir.

Actualités sociales hebdomadaires : Quelle est la situation actuellement à Mayotte ?

Chrystel de Bricourt : Le contexte mahorais est très compliqué parce qu’il y a 84 % des personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. C’est-à-dire que, sans même parler de la crise du coronavirus, ces personnes sont déjà en souffrance. La vie normale des personnes âgées est, elle aussi, forcément peu évidente. Encore moins en ce moment. A Mayotte, il n'y a pas d'Ehpad. Cela veut dire que la seule prise en charge possible pour une personne âgée très dépendante, c'est l'hôpital. Or, actuellement, c'est inimaginable. Il faut donc à tout prix les maintenir à domicile. C'est notre métier. Nous avons 120 salariées (essentiellement des femmes) qui interviennent chez près de 250 personnes âgées quotidiennement. Mais elles n'ont aucun équipement. Car, à Mayotte, nous n'avons pas eu de masques, ni de gants ou de blouses. Rien. Elles veulent pourtant continuer à travailler et prendre en charge nos bénéficiaires (personnes âgées ou handicapées) parce qu'elles sont parfaitement conscientes que ce sont des personnes très dépendantes et qui, en raison des mesures de confinement, sont très isolées. Quand on n'est pas capable de se lever pour se faire un repas ou se laver, si l'aide à domicile ne vient pas, cela veut dire que l'on est complètement laissé à l'abandon. Mais elles ont peur aussi, car il leur est impossible de respecter les mesures de distanciation sociale. Quand on doit laver ou habiller une personne âgée, on est obligé de la toucher. Elles ont donc peur de contaminer les bénéficiaires dont elles s'occupent et d'être finalement une source d'insécurité. Tout en se disant que, si elles n'y vont pas, les personnes âgées seront laissées à l'abandon. 

Des mesures particulières ont-elles été prises par rapport à la métropole ?

C. de B. : Aucune. Nous sommes furieux car nous n'arrivons même pas à nous signaler auprès de l'ARS [agence régionale de santé] pour leur dire  : "Coucou, nous sommes là. Nous avons 130 personnes qui vont tous les matins s'occuper des personnes âgées. S'il vous plaît, occupez-vous de nous. Dites-nous ce qu'on doit faire pour les protéger et protéger les bénéficiaires dont on s'occupe." Nous ne savons pas à qui nous adresser. Dominique Voynet [la directrice de l'ARS, ndlr] fait des interviews tous les jours. Elle parle sans arrêt des personnels soignants de l'hôpital, des infirmiers libéraux, mais nous, c'est comme si nous n'existions pas ! Nous sommes hyper démunis alors même que nous sentons le danger arriver.

Les hôpitaux sont-ils déjà saturés ?

C. de B. : Non, pas encore, mais les places sont réservées pour les cas graves. D'autant que la situation est en train de monter en puissance. La personne âgée n'est pas prioritaire. Il n'y a que 15 lits de réanimation sur toute l'île, donc… Pour le moment, aucune personne âgée n'est contaminée et avec notre service d'aide à domicile elles peuvent être maintenues chez elles. Mais si notre service doit s'arrêter et que la situation se met à empirer, je n’ose imaginer ce que cela va être. Et puis nous devons faire face à une autre problématique : la grande majorité de nos salariées ne sont pas véhiculées. D'habitude, elles prennent des taxis collectifs, mais il n'y en a plus. Donc elles n'ont plus de moyen de transport. Elles font des kilomètres à pied ou s'arrangent entre elles avec un système de covoiturage compliqué à mettre en place car elles ne travaillent pas toutes sur le même secteur. Et cela ne respecte pas les mesures-barrières.

Comment envisagez-vous la suite ?

C. de B. : Cela va être très compliqué parce que culturellement, les Mahorais ont beaucoup de mal à comprendre le confinement. Pas tant eux d'ailleurs, mais surtout la population sans papier, les immigrés clandestins [soit entre 100 000 et 150 000 personnes environ, essentiellement venues des Comores, ndlr]. Ils vivent dans des bidonvilles, sans téléphone ni radio pour les avertir. La plupart ne sont donc pas au courant du confinement à respecter. Ils continuent à vivre comme si de rien n'était. Il y a des contrôles policiers mais ils vivent dans les bois et pour eux rien n'a changé. Cela veut donc dire qu’en ce moment le virus se propage à vitesse grand V.  Nous allons vers une hécatombe. Cela va être épouvantable.

Le niveau sanitaire de l'île est bien en deçà de n'importe quel autre département d'outre-mer. Nous sommes complètement à la traîne pour tout. L'hôpital de Mayotte n'est pas du tout à la hauteur en termes de capacités, de nombre de soignants, de lits. Il n'y a même la possibilité d'évacuer des personnes vers La Réunion ou ailleurs car la situation est la même partout. Cela va être une catastrophe...

Dès le début, quand on a vu que les avions continuaient à se poser alors que nous n'avions aucun cas,nous avions trouvé ça aberrant. En effet, comme cela correspondait aux vacances chez nous, ces avions étaient remplis de personnes qui revenaient de la métropole, donc potentiellement à risque. Quand ils sont arrivés à Mayotte, aucune mesure n'avait été prise. Moi-même, je suis rentrée le 10 mars, comme si de rien n'était. Ils ont désormais réduit les transports aériens mais c'est trop tard. Le mal est fait. Maintenant, cela se propage à une telle vitesse... C'est plus de 10 nouveaux cas par jour. Comme c'est exponentiel, on voit ce que cela va donner. D'autant qu'il n'y a pas de capacité à prendre en charge. Il faut qu’ils construisent très vite un hôpital de campagne, au moins pour confiner les immigrés. Sinon…

Est-ce qu'il faut prendre des mesures particulières pour Mayotte, comme durcir le confinement ou mettre en place un couvre-feu ?

C. de B. : C'est sûr qu'il faudrait un confinement total à Mayotte. Ce qui veut dire que dès que quelqu'un se promène, il pourrait être arrêté et raccompagné chez lui. Dans la population très pauvre et analphabète, qui n'est au courant de rien, ce sera peut-être un moyen de leur faire prendre conscience de la situation. Si on ne les touche pas d'une manière ou d'une autre pour qu'ils arrêtent de se balader partout et de se contaminer, la situation va être épouvantable. 

Comme ils vivent à 10, à 15, voire à 20 par cases, ils ne sont pas confinés. S'il y en a un qui a le coronavirus, il ne peut pas être confiné. Il faudrait au moins qu'ils mettent en place des structures transitoires, comme cela a été le cas en Chine, en ouvrant des écoles par exemple. Cela permettrait de confiner les cas avérés. Si on ne fait pas ça, et pour l'instant ce n'est pas le cas, cela va aller très, très vite. Je pense qu'on va entendre parler de Mayotte comme le département le plus contaminé de France et où il y a un taux de mortalité important. Je suis alarmiste parce que la situation l'est. Si rien ne bouge très vite, l'histoire est déjà écrite.

 

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