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Crise des métiers : « Il est urgent de requalifier le travail social », selon le sociologue Daniel Verba

Daniel Verba

Daniel Verba : « Les travailleurs sociaux doivent bénéficier d’un revenu décent et de la même considération qu’un médecin. »

Crédit photo DR
Le 28 septembre, Daniel Verba, sociologue et maître de conférences émérite à la Sorbonne Paris-Nord, tiendra une conférence à l’Ades, établissement de formation en travail social de Marmande (Lot-et-Garonne). Son thème – « Réenchanter le travail social  ? » – est aussi celui des professionnels du secteur, appelés le même jour à se mobiliser partout en France pour que leurs métiers soient revalorisés.

Actualités sociales hebdomadaires - Le désintérêt pour le social et le médico-social n’est pas nouveau. Qu’y a-t-il d’inédit aujourd’hui ?

Daniel Verba : La nouveauté, ce sont l’intensité de la désaffection et la rapidité avec laquelle les candidatures à l’entrée en formation diminuent. C’était déjà en germe depuis plusieurs années, mais le phénomène s’accélère. Pour cette rentrée, on annonce 38 % d’étudiants inscrits en première année en moins. La question des salaires n’est pas exclusive, mais on ne peut pas l’ignorer. Les rétributions des travailleurs sociaux sont tellement indigentes que les plus jeunes et les moins qualifiés se retrouvent dans des situations comparables à celles des personnes qu’ils accompagnent au quotidien. Non seulement ils n’ont plus guère les moyens d’agir, notamment sur le logement et l’emploi, mais ils sont aussi paupérisés que leurs usagers. Une autre cause tient à l’introduction des logiques d’entreprise, ce que Michel Chauvière appelle la « chalandisation » du travail social. Le social est assigné à rapporter de l’argent, à être aussi solvable qu’une banque ou un commerce. Faire de l‘argent sur le dos des gens vulnérables est clairement indécent. On comprend que des travailleurs sociaux n’aient pas envie de contribuer à cette dérive.

Vous remettez également en cause le cloisonnement des métiers…

La dernière réforme de l’appareil de formation n’a pas été assez loin : elle continue à camper sur 14 diplômes, ce qui rend illisibles les métiers. Par ailleurs, les partenariats contraints avec les universités apparaissent peu fructueux. Celles-ci plaquent leur maquette de licence ou leurs aspirations à la recherche sans se soucier des impératifs de formation comme les stages et l’accompagnement pédagogique, très chronophages certes, mais essentiels à la fabrique d’un professionnel. Quant aux institutions sociales, elles sont gangrénées par la bureaucratie. Le décalage s’accentue entre l’encadrement – qui s’est multiplié avec l’arrivée de soi disant experts – et les professionnels de terrain, alors que ces derniers sont au plus près des personnes, là où justement on a besoin de la plus subtile diplomatie relationnelle. L’informatisation des services, les plateformes en ligne rajoutent une couche de technocratie et de distance avec les publics accompagnés, qui ont besoin de présence et de sollicitude active. Cette qualité d’écoute, ce souci de l’autre immédiatement perceptible, constitue le fondement du travail social, selon moi. Or de plus en plus de travailleurs sociaux ont du mal à l’appliquer.

Dans le travail social, l’engagement a souvent été considéré comme primordial. Est-ce toujours le cas ?

Les formes d’engagement ont changé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il existe aujourd’hui de nouvelles figures d’engagement plus immédiates. On passe d’une association à une autre, d’une cause à une autre, sans véritablement s’investir à long terme. A l’engagement total se substitue un engagement plus diffus, principalement focalisé sur l’épanouissement personnel. Cet engagement «Post-it », flottant, se retrouve dans le travail social, qui ne fait plus rêver. L’abandon de poste ou de formation, sans sommation, est devenu monnaie courante dans les établissements… Et Parcours sup n’a fait que renforcer la présence d’étudiants qui viennent au travail social par défaut et sans disposition ou motivation préalable. Sans ce minimum d’empathie courant dans les générations précédentes. Ces phénomènes sont à corréler avec ce qui se passe dans la société, avec la désaffiliation institutionnelle qu’on observe en politique, par exemple, avec l’abstentionnisme. Il y a bien des moments de solidarité, mais ils sont motivés en général par l’émotion puis se dissipent.

Comment inverser la tendance et redonner du sens à des métiers qui ne font pas rêver, comme vous le soulignez ?

Si l’on veut réenchanter le travail social, il convient d’agir à la fois sur le matériel et le symbolique. La revalorisation des salaires et des carrières s’avère primordiale. Ensuite, il faut mettre fin à la « chalandisation » : le social n’est pas un marché. La multiplication des Ehpad ou des crèches à but lucratif dévoie le secteur et en donne une image désastreuse. Autre impératif : l’harmonisation des formations en promouvant la polyvalence des compétences, et non les spécialités. L’idée serait de construire une filière générique et de spécialiser les gens sur le terrain en fonction des secteurs et des projets. A l’exception, peut-être, des métiers de la petite enfance, que je réunirais sous un même blason en créant un service public de la petite enfance. Enfin, et ce n’est pas le moindre des défis, il est nécessaire de requalifier le travail social aux yeux du grand public et des professionnels, qui vivent les métiers du soin et du « care » comme des activités à la fois dégradées et dégradantes. Pour cela, il est important de se recentrer sur les personnes accompagnées et que, en retour, les professionnels bénéficient d’une reconnaissance publique sous la forme d’un revenu décent, et de la même considération qu’on accorde à un médecin ou à un magistrat. Il est temps que les politiques publiques s’emparent de cette question pour rallumer le processus de vocation. D’autant que la crise écologique et les inégalités pourraient inspirer les générations à venir.

 

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