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Coronavirus : faut-il donner quotidiennement le nombre de morts en Ehpad ?

Draps mortuaires

Image d'illustration

Crédit photo DR
Les personnes âgées qui décèdent du Covid-19 en Ehpad ou à domicile ne sont pas comptabilisées parmi les victimes du coronavirus. Si ces morts échappent aux statistiques, il n’est pas dit qu’une fois qu’ils seront intégrés, les chiffres soient pour autant les bons. Et d’ailleurs, est-il bien nécessaire de les révéler ? Le débat existe entre professionnels du grand âge.

A chaque jour sa litanie de chiffres. C’est devenu un rendez-vous incontournable. Tous les soirs, à 20 h, Jérôme Salomon, directeur général de la santé, et Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé, indiquent le nombre de personnes nouvellement décédées du Covid-19 en France. Mais ces chiffres sont incomplets.

En effet, les morts en Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes) et à domicile ne sont pas renseignés. Pourtant, ces derniers temps, les médias annoncent, chaque jour, de nouveaux établissements fortement touchés. Ainsi, le 1er avril, plusieurs structures étaient au cœur de l’actualité : dans le Doubs (25 patients décédés), les Alpes-Maritimes (19), l'Isère (9) et le Puy-de-Dôme (7). Le même jour, l'agence régionale de santé du Grand Est a fait savoir que 570 résidents d'Ehpad sont morts du Covid-19 depuis le début de l'épidémie. Mais, à l’échelle nationale, aucun chiffre n’existe. Cependant, Jérôme Salomon et Olivier Véran ont indiqué, le 28 mars, leur volonté de communiquer à ce sujet. Cela devait être le cas dès le 30 mars. Cela le sera peut-être ce 2 avril au soir. Mais pourquoi tant de difficultés ?

Il faut d’abord noter qu’il a été demandé aux structures de consolider leur déclaration de décès. En temps normal, quand il y a un mort dans un Ehpad, il est inscrit à l’état civil, qui remonte l’information dans les vingt-quatre heures à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale). Dès le lendemain de la mort, on sait combien de décès il y a eu par villes, par départements, par régions. Problème : certains établissements font partie du domaine hospitalier. Or, à l’hôpital, la procédure n’est pas la même : le décompte y est fait directement et envoyé à l’Inserm. Pour éviter un éventuel comptage doublé des morts, le gouvernement a établi un questionnaire à remplir à destination de tous les étbalissements. Il s’agit d'une plateforme sur laquelle, chaque jour, les structures doivent signaler leur nombre de morts liés au Covid-19. Dès lors, effectivement, nous aurions dû connaître dès le 30 mars le nombre de décès en Ehpad. Or, au 31 mars, certains établissements n’avaient toujours pas reçu ce fameux questionnaire. Ce qui explique, en partie, pourquoi le gouvernement n’a toujours pas communiqué de manière globale sur le  sujet.

« Les chiffres pourraient ne pas correspondre à la réalité »

Mais quand toutes les structures auront bien reçu le lien vers la plateforme, il n’est pas dit que l’on connaisse pour autant le nombre réel de morts. En effet, comme l’indique l’une de nos sources, certains directeurs d’établissements ne vont pas forcément remplir ce fameux questionnaire, ou alors pas dans l’immédiat. « Ce n'est nullement obligatoire, assure celle-ci. Et comme les directeurs ont déjà des milliers de choses à gérer, de dossiers à fournir, de papiers administratifs à rendre en cette période de crise, il n’est pas certain qu'ils aient envie de remplir un documentaire en plus. » Et d’ajouter : « Certains trouvent que les médias vont trop loin en les pointant du doigt alors qu'il n'y a qu'une minorité d'Ehpad où la situation est compliquée. Le reste est sensiblement bien géré. Ce qui veut dire que les chiffres donnés par le gouvernement pourraient ne pas correspondre à la réalité… »

C’est pourquoi Benoît Calmels, délégué général de l’Unccas (Union nationale des centres communaux d'action sociale), estime : « La meilleure solution aurait été de passer par le biais des états civils, quitte à demander aux mairies (puisque ce sont elles qui le tiennent à jour) de préciser si le décès a eu lieu au domicile ou en Ehpad. C'est déjà indiqué quand il s'agit d'un décès à l'hôpital, pourquoi ne pas le faire pour le domicile ou l'Ehpad ? Au moins, vous êtes sûr des chiffres. Toute personne qui décède en France étant déclarée à l'état civil, on ne peut pas se tromper. »

Cela étant dit, reste à s'interroger sur la réelle pertinence à décompter ces morts, à communiquer quotidiennement des chiffres. Sur ce sujet, beaucoup d’acteurs du secteur en doutent. « Dans la gestion de la crise actuelle, je ne vois pas l’utilité de faire un décompte morbide, s’emporte Didier Sapy, directeur général de la Fnaqpa (Fédération nationale avenir et qualité de vie des personnes âgées). Je ne vois pas en quoi c’est utile à qui que ce soit, en tout cas pas à mes adhérents ni même aux autorités. Il y a probablement d'autres priorités que de faire ce décompte macabre. Pour le moment, nous sommes dans l'action. Les établissements sont en grande difficulté, les directeurs s'épuisent, les soignants aussi. Il faudra faire les comptes à la fin. » Et Benoît Calmels de confirmer : « A l'Unccas, on se demande quelle est l'utilité, sauf si vous êtes épidémiologiste, de connaître précisément le nombre de morts en Ehpad. Pour ceux qui doivent gérer la crise en tant que telle, c'est un plus. Cela permet de savoir où se situe le virus et d'essayer de s'adapter à celui-ci en mettant plus de moyens à tel endroit, plus de professionnels à tel autre, etc. En revanche, si je vous dis que nous en sommes à l'heure actuelle à 5 000 morts en Ehpad, cela fera les gros titres du 20 h, mais cela ne va rien apporter de plus à la résolution de la crise. Savoir que c'est 1 000, 3 000 ou 5 000 morts, ce n'est pas ça qui va changer grandement les choses. Pour moi, on est dans une course à se faire peur. »

« Il ne faut pas vivre avec un compteur mortuaire »

D’autant que cela peut avoir un effet dévastateur, estime encore Didier Sapy : « Les personnes âgées vont prendre peur, les professionnels et les familles aussi. Les salariés ne vont plus vouloir venir travailler. En interne, les personnes âgées qui vivent dans l'établissement et les professionnels qui y travaillent sont au courant quand il y a un décès lié au Covid-19. Mais ceux qui ne le sont pas et à qui cela peut faire peur, ce sont les familles des résidents et celles des professionnels. Cela peut donc générer un mouvement de panique autour de l'établissement. » Enfin, reste à savoir comment le gouvernement entend communiquer sur ces chiffres. Va-t-il donner uniquement des chiffres bruts, ou les mettre en perspective avec le nombre des résidents et celui des établissements en France ? Car, comme le rappelle Benoît Calmels, à l’heure actuelle, « il faut noter que seuls une grosse dizaine d'établissements sont confrontés à des difficultés. Sur la grande majorité des plus de 7 000 Ehpad, cela se passe globalement bien par rapport au risque encouru. »

Romain Gizolme, directeur de l’AD-PA (Association des directeurs au service des personnes âgées), ne dit pas autre chose : « Quand dix personnes âgées meurent à domicile dans une commune, ça ne fait pas la une des journaux. Quand il y en a dix au même endroit, cela intéresse les médias. Pourtant, le décompte est le même. C'est pour cela qu'il faut voir comment l'Etat va communiquer sur ce sujet. Car il ne faut pas oublier que ce n'est qu'une infime minorité de structures qui sont fortement atteintes par le Covid-19. » Et de poursuivre : « Si on nous donne les chiffres en nous disant, par exemple, qu'il y a 600 décès en établissements et en rapportant ce nombre aux plus de 700 000 résidents, cela permet d'avoir des éléments de proportion. On verra bien, au final, qu'il y a assez peu de décès dans les Ehpad. Mais si l'Etat ne donne que les chiffres bruts, effectivement, cela va paraître élevé. ». A Benoît Calmels le dernier mot : « Il ne faut pas vivre avec un compteur mortuaire. Ce n'est pas une compétition.»

 

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