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« Le modèle d'Ehpad est mort »

« L’avenir des établissements est qu’ils permettent à ses citoyens d’être dans le droit commun et non pas dans un dispositif spécifique, c’est-à-dire dans le code du droit des familles pour des personnes âgées dont la plupart ne sont pas sous protection juridique », estime Éric Fregona, directeur adjoint de l'Association des directeurs au service des personnes âgées.

Crédit photo Cocktail Santé
[POST-COVID 10/21] Pour que la citoyenneté soit un droit effectif, que l’offre de vie et d’animation l’emporte sur le soin, les Ehpad devront faire leur révolution. Sortir du système d’autorisation établissement de la loi 2002-2, revenir sous le code de l’habitat et de la construction classique, redonner une plus grande autonomie aux directeurs, voilà quelques solutions préconisées par l’Association des directeurs au service des personnes âgées (ADPA).  Rencontre avec son directeur adjoint, Éric Fregona. 

 

Mourir d’ennui et de solitude. C’est une réalité vécue dans les Ehpad pendant la crise sanitaire du Covid. À l’heure où la prise en compte de la santé physique l’emporte sur tout, la santé psychique des aînés est un impensé. Et pourtant, savoir écouter la souffrance des résidents et des équipes permettrait d’apporter une autre organisation en établissement. En inventant un nouveau modèle basé avant tout sur la qualité de vie, ces structures médico-sociales pourraient retrouver un peu d’oxygène en renforçant leur attractivité et en changeant leur image aujourd’hui désastreuse.  

ASH : Les restrictions sanitaires prononcées pendant la crise du Covid ont clairement marqué les Ehpad comme étant des lieux de soin et non des lieux de vie malgré les annonces faites ces dernières années. Quel est votre regard sur ce sujet ? 

Éric Fregona : Pendant la crise sanitaire, les premières structures fermées de France et les dernières à rouvrir étaient les Ehpad. D’ailleurs, dès que les pouvoirs publics ont pris cette décision, ils voulaient isoler toutes les personnes dans leur logement individuel. On constate que, en ayant la gestion et autorisant ces structures, ils les voient comme des institutions et oublient qu’à l’intérieur, des citoyens y vivent. Ils les gèrent comme des hôpitaux.  

D’ailleurs, après le déconfinement, ou la fin de l’obligation du port des masques, les restrictions se sont poursuivies uniquement dans les Ehpad. Les pouvoirs publics par le biais de recommandations multiples des agences régionales de santé (ARS) et des Départements mettaient les directeurs sous pression. Or, l’État qui promeut la logique domiciliaire oublie qu’en France bon nombre de personnes âgées fragiles vivent dans un domicile individuel. D’ailleurs, nous avions saisi le Conseil d’État pour un référé sur le port du masque à la fin de la crise sanitaire et nous avions été déboutés car ce ne sont que des recommandations et nous, en tant que directeurs, nous ne sommes pas obligés de les suivre. Nous rappelons donc aux directeurs leur possibilité de décider autrement que ce que prévoient les recommandations des ARS. Certains ont heureusement tourné la page de ce comportement. 

Est-ce difficile de construire une vraie frontière entre le sanitaire d’un côté et le médico-social de l’autre ? Que faudrait-il faire pour que les Ehpad à l’avenir ne soient plus assimilés à des hôpitaux avec leurs lots de restrictions hygiénistes ?  

Il faut que les Ehpad sortent de l’autorisation établissements de loi 2-2002 et qu’ils soient comme les résidences services seniors, c’est-à-dire qu’ils reviennent sous le code de l’habitat et de la construction classique (avec un loyer, des charges de copropriété et de charges de services choisis par les résidents). Dans ce cas, les pouvoirs publics délivreraient des autorisations pour les services d’aide à domicile (SAD) et les services de soins infirmiers à domicile (Ssiad) pour qu’ils soient en lien avec un cabinet médical pour un accompagnement des usagers. On doit sortir du fonctionnement institutionnel pour avoir les mêmes droits et libertés que les autres citoyens de la société. 

Ne faudrait-il pas prioriser les recrutements d’animateurs ou d’éducateurs spécialisés pour justement sortir de la vision du soin avec aujourd'hui des effectifs s’appuyant principalement sur des aides-soignants et des infirmiers ? 

Oui, c’est ce que nous demandons depuis le dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PFLSS) et nous continuerons de le réclamer dans le cadre de la future loi Bien vieillir. Nous demandons que l’effort de la Sécurité sociale puisse permettre de recruter des animateurs, des psychologues, des professionnels socioculturels pour deux raisons. Il faut considérer d’abord que nous nous occupions aussi de la santé psychique (et pas uniquement de la santé physique) des personnes accueillies. Actuellement, on est sur un équivalent temps plein (ETP) d’animateur et 0,5 psychologue dans une structure de 100 résidents. C’est totalement insuffisant. Pendant le Covid, la solitude a tué. Nous ne devons pas omettre cette souffrance.  

Et la deuxième raison, ce que l’État nous oppose perpétuellement, c’est que même si on ouvrait des postes, on ne pourrait pas recruter, car il n’y a pas assez d’infirmiers ou d’aides-soignants sur le marché. D’accord, mais permettez-nous de recruter d’autres profils. Ces professionnels ne géreront pas le manque de personnels sur les accompagnements aux toilettes, mais ils apporteront tellement sur le lien social.   

Quelles conséquences les plus marquantes de la crise Covid se sont inscrites dans la durée ? 

Le Covid a été suivi par une phase d’épuisement puis de résignation car les promesses n’ont pas été suivies d’actes. Je parle de la fameuse loi Grand âge notamment. Beaucoup de directeurs ont démissionné ou étaient en situation de post-trauma, de souffrance. Tous tenaient alors le même discours : « Mon métier n’est pas d’enfermer des gens et de ne gérer que leur santé ».  

Aujourd’hui, bon nombre de directeurs disent : « J’en ai assez, on va changer et on va remettre du lien social et de la vie. On veut développer le pouvoir d’agir des résidents ». Notre réseau Citoyennage reprend d’ailleurs partout en régions avec la volonté de mieux écouter les personnes âgées. Il y a clairement un élan porté par différents acteurs et l’envie commune de redonner du sens à nos métiers, à notre quotidien. 

Le deuxième point, plus inattendu, est le refus des directeurs de baisser les moyens. Ce qui fait que 75 % des structures (établissements comme services à domicile) sont en déficit. C’est un signe fort. Pendant des années, les directeurs ont essayé de trouver des moyens, de faire des économies de fonctionnement, maintenant ils refusent de baisser la qualité du service rendu. La prise de conscience vient évidemment de la crise Covid, mais pas seulement. Le scandale Orpéa et le livre de Victor Castaner y ont contribué également. Je crois qu’aujourd’hui les directeurs mettent davantage en avant leur responsabilité de la vie d’hommes et de femmes, d’où ce choix de ne pas privilégier les questions budgétaires. De nombreux adhérents ont décrété d’eux-mêmes qu’ils allaient baisser le taux d’occupation de 10% pour rentrer dans les clous. Ce n’est pas satisfaisant, mais c’est une réalité.  

À l’ADPA, vous réclamez davantage de moyens, de personnels, mais les directeurs n’ont-ils pas également une marge de manœuvre pour faire de leurs établissements des lieux de vie ?  

En partie oui, même s’il ne faut pas que toute la responsabilité leur incombe. à l’ADPA, Nous aimons faire le parallèle avec les élus communaux. Le directeur doit se comportait de la même façon qu’un maire : être au service d’une population, ne pas dicter la vie des gens, mais écouter leurs besoins, les comprendre, mettre en place des espaces d’expression et au regard de cela, il sera certes à la recherche des équilibres financiers mais il sollicitera les habitants pour orienter ses choix. C’est en écoutant le client ou le citoyen que l’on prendra des bonnes décisions pour eux.  

La notion d’autodétermination a émergé dans le secteur du handicap, sentez-vous les prémisses de cette prise de conscience pour les professionnels accompagnant un public âgé en établissement ? 

Aujourd’hui, on se soucie peu de la santé psychique des personnes âgées, isolées. Le fait qu’on ne s’occupe pas de recueillir leurs avis, c’est en raison de la discrimination par l’âge. Cela porte un nom : c’est de l’âgisme. Le monde du handicap est clairement bien plus en avance grâce à l’engagement et le travail des familles. C’est pour cette raison que nous sommes convaincus que les directeurs ne doivent pas travailler seuls, mais doivent créer des associations des familles, des élus, des syndicats. 

Depuis vingt ans, s’il n’y a aucune direction prise par les pouvoirs publics pour soutenir la voix des personnes âgées, c’est parce que les Français ne considèrent pas que c'est une priorité ; ils ne s’insurgent pas. Nous pensons seulement à dénoncer le manque de moyens, le manque d’engagement…Toutefois, on commence à entendre des propos qui vont dans le bon sens. Mais c’est à l’échelle d’un établissement que nous devons mettre en place des dispositifs pour que les personnes puissent s’exprimer et échanger dans le collectif, pour libérer la parole et développer leur pouvoir d’agir. 

Quel devrait être le visage des Ehpad dans un avenir proche en matière d’organisation ?  

L’avenir des établissements est qu’ils permettent à ses citoyens d’être dans le droit commun et non pas dans un dispositif spécifique, c’est-à-dire dans le code du droit des familles pour des personnes âgées dont la plupart ne sont pas sous protection juridique. La réalité des faits, dès qu’on entre dans un établissement, c’est qu’on intègre un régime particulier, où on peut enfermer et attacher des gens. C’est délirant quand on y pense. 

Certains continueront de vouloir des structures de type hôpitaux, mais nous pensons que sur les 7.000 établissements, à notre sens, 70 à 80 % devraient revenir à la raison et repartir sur une organisation de type habitat classique. Ça réglerait d’autres problèmes en lien avec l’image négative des établissements, ça favoriserait l’anticipation. Aujourd’hui, le modèle Ehpad est mort pour la simple et bonne raison que les gens n’en veulent pas. Personne ne veut y vivre. On veut répondre aux besoins des personnes qui souhaitent rester chez eux : faisons-leur payer un loyer, des charges, permettons d’adapter des formules évolutives qu’ils utiliseront selon leurs besoins. Changeons de modèle ! 

 

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