A une semaine de la rentrée des classes 2023, l’Unapei livre une nouvelle fois un constat alarmant concernant la scolarisation des enfants en situation de handicap. Déplorant le manque de données nationales, elle a relancé l’opération #jaipasecole. Pour la deuxième année consécutive, le mouvement dresse un état des lieux grâce à son propre indicateur de terrain, élaboré auprès des associations de son réseau.
Spécialisées dans l’accompagnement d’enfants qui présentent des troubles du neuro-développement (TSA, polyhandicap et troubles psychiques), et donc essentiellement des handicaps dits invisibles, elles ont fait remonter des chiffres peu réjouissants : sur un total de plus de 2 000 enfants accompagnés par l’Unapei dans six régions françaises, 28 % d’entre eux bénéficient de moins de 6 heures de classe par semaine. Pire, 23 % de ces enfants n’ont aucune scolarisation.
En marge de ces mauvaises statistiques, le mouvement associatif a commandé une étude auprès de l’institut de sondage Opionionway pour élargir cette problématique à l’ensemble de la société. A la question « Et si votre enfant n’avait pas de place à l’école ? », plus de 8 Français sur 10 jugent « inacceptable » la scolarisation partielle d’un enfant ou a fortiori sa non-scolarisation.
Sonia Ahehehinnou, première vice-présidente de l’Unapei en charge de l’éducation et de la scolarisation, explique aux ASH ce que son mouvement attend du gouvernement, notamment de la part de Fadila Khattabi (ministre déléguée chargée des personnes handicapées) et de Gabriel Attal (ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse) fraîchement nommés en juillet dernier.
Quelle est l’évolution de la scolarisation des enfants en situation de handicap ?
Sonia Ahehehinnou : Rien n’a avancé depuis l’année dernière, au contraire. Les indicateurs témoignent toujours d’un défaut de scolarisation, avec des prises en charge bancales et des familles qui restent dans de grandes difficultés, voire dans une grande précarité. Les problématiques n’ont pas été réglées, notamment en raison du contexte de crise sociale. Alors qu’en 2022, nous avions choisi d’échantillonner auprès d’un certain nombre d’établissements, nous avons pour cette rentrée réalisé des focus sur six régions [1] identifiées par le gouvernement comme « régions sensibles ». Si les paramètres ont changé, ils confirment une évolution défavorable. Il y a un nombre grandissant de familles qui se retrouvent avec des solutions bancales, que nous ne pouvons plus traiter aujourd’hui. Les établissements spécialisés sont saturés, l’école n’est pas armée pour accueillir et accompagner correctement les élèves en situation de handicap et les différents dispositifs qui s’empilent les uns sur les autres n’ont pas de fongibilité entre eux.
Pourriez-vous nous donner un exemple de ce que vous appelez une « scolarisation bancale » ?
Je pense au cas très concret de parents qui cherchent une solution pour leur enfant depuis plus de trois ans. Cette famille va exploser, elle est au bord de la rupture. Leur enfant était jusqu’à présent scolarisé dans un dispositif Ulis [unités localisées pour l’inclusion scolaire], mais il présente des troubles du comportement, encore aggravés parce que cette prise en charge n’est plus adaptée. Face à cette situation, on ne leur propose que deux jours par semaine, à hauteur de six heures par jour, dans une structure de répit. Le transport étant à leur charge. Cette option est d’autant moins satisfaisante que leur enfant ne peut pas être accompagné par un pôle de compétences et de prestations externalisées (PCPE), parce que l’on considère qu’il a déjà une solution. Le fait d’être scolarisé au moins une heure est jugé suffisant pour le priver d’un réel accompagnement à la hauteur de ses besoins.
Vos indicateurs permettent-ils de dresser un véritable état des lieux ?
On demande, depuis de nombreuses années, la mise en place d’un observatoire des besoins et des difficultés rencontrées sur les territoires. Il en existe déjà un dans les Yvelines, très fiable, avec des données à la fois qualitatives et quantitatives. Nous souhaitons qu’il soit généralisé à toute la France, pour avoir une politique globale qui soit beaucoup plus proche de la réalité et pour pouvoir coordonner une stratégie calibrée. Pour que chaque élève puisse trouver la modalité qui lui correspond et que cette dernière soit financée correctement. Notre requête a une nouvelle fois été rejetée lors de la dernière Conférence nationale sur le handicap. Visiblement, la stratégie gouvernementale vise plutôt à déployer plusieurs observatoires dans différentes régions. Il s’agit néanmoins d’annonces qui ne sont pas chiffrées et qui ne s’inscrivent pas dans un agenda précis. Qui va faire quoi ? A quel hauteur ? Comment cela s'organisera-t-il et avec quels financements ? Nous n’en savons rien.
Quelles sont les mesures d’urgence à adopter ?
L’Etat doit se positionner vis-à-vis de situations dramatiques. Il doit de toute urgence solutionner la formation des enseignants, l’accueil des élèves en situation de handicap et l’accompagnement des parents pour qu’ils ne soient pas que des aidants. Nous sommes malheureusement face à une politique qui se contente d’éteindre des feux. Dans une sorte de République bananière où les parents sont obligés d’occuper une rue, de faire la grève de la faim ou de crier plus fort que les autres pour obtenir des réponses et des moyens. Vous avez par exemple des familles qui sont obligées de financer elles-mêmes des AESH [accompagnants d'élèves en situation de handicap]. Est-ce normal ? Cela ne crée-t-il pas une iniquité, alors que nous sommes en train de travailler sur l’école inclusive et l’égalité des chances ? On ne peut pas se contenter de cette logique du cas par cas : il faut que cela devienne systémique. Il faut arrêter de se contenter de produire des rapports et des circulaires.
>>> Lire les témoignages de parents sur la plateforme Marentree.org
[1] Hauts-de-France, Normandie, Pays de la Loire, Grand Est, Bretagne et Auvergne-Rhône-Alpes