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Calais : des boîtes aux lettres contre les expulsions

Crédit photo Louis Witter
A Calais, les associations pointent souvent du doigt l’absence de respect du droit. Pour faire face aux procédures expéditives en matière d’expulsions, plusieurs d’entre elles ont installé des boîtes aux lettres, faisant office de domicile pour les personnes exilées.

C’est un mercredi presque habituel à la WareHouse, le grand hangar des associations à la sortie de Calais. Comme toujours, les camionnettes entrent et sortent par le portail, remplies de nourriture, d’eau ou de générateurs pour recharger les téléphones des personnes exilées sur les lieux de vie. Le 30 mars, à côté du Woodyard, l’association qui coupe du bois pour le distribuer sur les campements, c’est l’effervescence. Natacha, juriste de Human Rights Observers, projet de l’Auberge des migrants, dispense une brève formation juridique aux bénévoles présents. « D’ordinaire, cela dure une heure avec un Powerpoint de 60 slides, mais là, on fait au plus vite et au plus simple », précise-t-elle. Car l’action d’aujourd’hui peut mener à d’éventuelles gardes-à-vue. A la hâte, les bénévoles écrivent sur le plat de leur main le numéro d’une avocate et apprennent leurs droits. Par exemple, celui de voir un médecin une fois au commissariat.

Boîtes aux lettres contre expulsions

A côté d’eux, Toukan et Joe peaufinent les finitions au fer à souder, les étincelles pleuvent tout autour. Sur deux solides tiges de métal, ils ont assemblé puis soudé deux boîtes aux lettres sur lesquelles sont inscrits les noms des habitants des campements. C’est la nouvelle stratégie juridique décidée par plusieurs associations œuvrant sur le littoral afin de faire cesser les expulsions toutes les quarante-huit heures. Chaque boîte est surmontée d’un panneau pédagogique à destination des huissiers ou des forces de l’ordre, sur lequel est écrit en français, en anglais et en arabe : « Vous êtes officier de police judiciaire ou huissier de justice et vous voulez nous expulser ? Avant de continuer, lisez ceci. »

Une réponse aux affichettes qui essaiment ces derniers temps dans la ville, rédigées par les huissiers de justice mandatés par les propriétaires pour récupérer leurs terrains. Sur celles-ci, il est écrit que l’huissier n’arrive pas à entrer en contact avec les personnes habitant sur les lieux, souvent à cause de la barrière de la langue. Une justification supplémentaire aux expulsions, car aucune personne physique ne s’y oppose en amont.

« C’est notre domicile, c’est protégé »

L’idée est venue d’une action menée quelques mois auparavant à Ouistreham, en Normandie, où quelques centaines de personnes érythréennes tentent de survivre. « Les acteurs locaux ainsi que la plateforme de soutien aux migrants ont planté quatre petits panneaux aux quatre points cardinaux du campement pour dire : "C’est notre domicile, c’est protégé." C’était symbolique, car il n’y avait pas de noms mais depuis il n’y a pas eu d’expulsion », explique Natacha.

Si le contexte diffère de Calais, les associations ont décidé de tenter l’expérience. « Les huissiers considèrent que les personnes ne sont pas identifiables, qu’elles n’ont pas de nom. Du coup, ils ne peuvent assigner personne en justice. On s’est dit qu’on allait donner les noms des personnes exilées, avec leur accord bien sûr. Histoire de signifier qu’il y en a certaines qui souhaitent se défendre en cas d’expulsion », poursuit la juriste. Dans un mail adressé à la préfecture et au tribunal de Boulogne, les associatifs ont également donné les adresses mail des habitants des campements, afin que ceux-ci puissent être prévenus avant les expulsions.

Grand écart entre théorie et pratique

Pour mettre en place cette initiative, les bénévoles ont effectué deux maraudes. « Les personnes sur les campements ont été très vite d’accord, malgré la réticence de certains qui avaient peu d’espoir que ça marche. Mais ils nous ont quand même remercié d’essayer », souligne Natacha. A Calais, elle sait qu’en matière de droit, il y a la théorie et la pratique : « Le président du tribunal de Boulogne-sur-Mer signe les ordonnances d’expulsions que nous contestons et tous les recours qu’on peut faire passent toujours devant lui. On fait systématiquement appel, mais ce sont des procédures souvent longues et coûteuses. » Pour autant, la bénévole veut y croire : « Ce qu’ils faisaient avant était déjà illégal, donc rien ne les forcera clairement à respecter le droit. Ce n’est pas une petite boîte aux lettres qui peut changer le cours des choses. Mais bon, on a l’espoir que ça marche ! »

Le préfet condamné pour expulsions illégales

Cet après-midi-là, dans ce qui ressemblait à une opération chronométrée, les bénévoles ont planté deux boîtes aux lettres sur les campements dits d’« Old Lidl » et de « BMX ». En quinze minutes, les pelles, les pioches et la brouette étaient sortis d’un camion, le béton coulé et ramolli, un trou creusé puis refermé, une fois le métal une trentaine de centimètres sous terre. Par chance, les CRS habituellement positionnés à l’entrée des lieux de vie étaient absents et n’ont fait qu’une brève apparition. Les associations, elles, ont ainsi montrer leur détermination à faire respecter le droit à Calais et alentours. En début de semaine dernière, le préfet du Pas-de-Calais a été condamné pour l’expulsion illégale d’un campement en septembre 2020. Un précédent que les bénévoles n’oublient pas.

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