Actualités sociales hebdomadaires : Malgré un report au 31 mars 2021, les pétitions se multiplient pour demander un nouveau délai, voire l’annulation de la mise en application du code de la justice pénale des mineurs. Pour quelles raisons ?
Jean-Pierre Rosenczveig : Depuis son adoption en conseil des ministres le 11 septembre 2019, cette réforme pose question. Sur le fond, mais aussi sur le choix de la méthode retenue pour la faire passer. Sur un sujet majeur comme celui de la jeunesse, le gouvernement a choisi la voie de l’ordonnance, spoliant le débat démocratique. L’étude du texte par l’Assemblée nationale est prévue dans un calendrier particulièrement chargé, alors qu’il aurait fallu, au contraire, un vrai débat politique et public, de façon à permettre de réunir l’ensemble des conditions pour aller vers une réforme solide. La méthode en dit long aussi sur l’idée que se fait le gouvernement de la capacité d’amendement du parlement ! Pourquoi une telle urgence, alors même que les juridictions ne sont pas en capacité d’encaisser les nouvelles procédures ? En tout état de cause, il est impensable d’en imposer la mise en œuvre alors que l’épidémie de Covid-19 a considérablement ralenti le fonctionnement de la justice des enfants. Plus que jamais, la priorité n’est pas la mise en œuvre, même différée, du code de la justice pénale des mineurs, mais bien de redonner les moyens humains et matériels à l’ensemble des acteurs de l’enfance en danger pour assurer pleinement les missions de protection de l’enfance dans les procédures pénales comme civiles.
« Un leurre permettant d’invoquer le respect de la Convention internationale des droits de l’Enfant »
Comme nombre d’acteurs sociaux et juridiques, vous jugez le texte de cette réforme « globalement inutile » sur le plan technique. Tout est-il réellement à jeter ?
J.-P. R. : A l’exception de quelques petites avancées, comme la reconnaissance de la justice restaurative ou le cumul des mesures éducatives, ce code a comme objectif affiché de juger vite et fort, en chargeant le parquet de fournir des dossiers prêts à juger. Cela, à mon sens, n’apporte pas grand-chose en vérité, sinon de répondre à l’insécurité juridique qui résulte de la décision du Conseil constitutionnel de 2011 tenant pour partial le juge des enfants, qui instruit et juge à la fois. Cela sous-entend également que la justice actuelle est inefficace, trop lente et laxiste. Mais cette supposée lenteur de la justice des mineurs est en réalité une spécificité par rapport à celle des adultes. La justice des mineurs n’est pas une sous-justice des adultes, où il s’agirait simplement de moins punir les enfants, mais c’est une justice qui doit intégrer la dimension protectionnelle de l’enfant, de la prévention, de l’action sociale plutôt que de la répression. Or l’ordonnance du 2 février 1945 prévoit déjà cette possibilité. Avant de changer la loi, ne faudrait-il pas commencer par appliquer celle qui existe déjà ? Au lieu de cela, on est en train de perdre l’esprit de 1945. Résultat : on va mettre plus de gamins tenus pour « dangereux » en prison. Je ne vois pas en quoi on protégera mieux la société si rien n’est fait au fond pour changer l’itinéraire de vie de ceux qui sont prêts à basculer dans la délinquance. Sans compter que les multirécidivants, qui sont particulièrement visés par cette loi, ne représentent qu’une poignée par cabinet.
L'un des objectifs de la réforme est de renforcer les droits de l’enfant en établissant la non-imputabilité avant 13 ans. Qu’en pensez-vous ?
J.-P. R. : J’avoue avoir été surpris quand l’ex-garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a demandé que la réforme introduise la présomption d’irresponsabilité pour les enfants de moins de 13 ans. Cela fait des années que nous le réclamons ! Le problème, c’est que tout en fixant un âge en deçà duquel un enfant ne peut être déclaré responsable pénalement, le projet de code prévoit la possibilité d’écarter cet âge sur le critère subjectif du discernement. Cette possibilité de dérogation nous ramène au dispositif actuel, où le discernement est généralement retenu autour de 7 à 8 ans. Il s’agit donc d’un leurre permettant d’invoquer le respect de la Convention internationale des droits de l’Enfant (CIDE). Pour ma part, je n’y aurais pas touché, car le vrai enjeu n’est pas là. A la place, il me semble qu’il aurait mieux valu mener un vrai travail de codification autour du statut de l’enfant (par-delà la justice), pensé comme une personne sujet de droit. De ses droits et libertés réaffirmés découleraient ses responsabilités.