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Insertion : Making Waves, la radio de tous les dialogues

Sarah participe à un atelier radio, entre Alexandre Plank, directeur artistique (à gauche) et Mohamed Bensaber, responsable du pôle "insertion et éducation populaire".

Crédit photo Marta NASCIMENTO
« Faire de la radio pour retrouver confiance, espoir, un emploi » : c’est le mot d’ordre de l’association Making Waves, qui organise depuis 2020 des ateliers dans des missions locales, des prisons, des hôpitaux. A chaque fois, le sac des intervenants déborde d’enregistreurs, de micros et autres bonnettes… A Rosny-sous-Bois, en région parisienne, la structure a même créé un chantier d’insertion professionnelle par la radio, avec succès.

Quatre micros aux bonnettes colorées sont posés sur la table. Railey, 20 ans, déballe les câbles et installe la « radiobox », cette boîte bleu nuit qui fait office de studio radio mobile. « Là, c’est antenne libre ! », lance Mohammed Bensaber, travailleur social, pour inciter les jeunes à prendre la parole. Nous ne sommes pas dans un studio de radio mais au tiers-lieu La Passerelle, ouvert par l’entreprise Sodexo à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). De grandes baies vitrées font office d’isolation, avec vue, d’un côté, sur la forêt de Bondy et, de l’autre, sur de hautes tours.

Au dernier étage de l’immeuble, la mission locale de la Dhuys organise des ateliers dans le cadre des contrats d’engagement jeune. Sarah, Hamza et Railey en sont. Ils ont une semaine pour concevoir leur « audio-portrait » ou « CV radio », qui sera enregistré dans les studios de la Philharmonie, à Paris. Une façon de « donner à entendre de quoi est plein le vide d’un CV », selon la formule trouvée par Amélie Billault, la directrice de Making Waves (« faire des vagues », en français). L’association anime les ateliers à travers le duo complice et grisonnant formé par Alexandre Plank, son directeur artistique, et Mohammed Bensaber, le responsable du pôle « insertion et éducation populaire ». « On utilise la radio comme un outil de mise en valeur des compétences personnelles et professionnelles », explique l’ancien éducateur de rue.

Dans ce studio éphémère, une boîte de bonbons se vide au fur et à mesure qu’elle circule sur la table de 10 mètres de long. A un bout, on entend la jeune Alya chantonner doucement devant sa tablette, pendant que son père s’adresse aux plus grands, la main sur son micro : « La parole d’Hamza est aussi importante que celle de Zinédine Zidane, insiste Mohammed Bensaber. Toutes les paroles doivent être entendues. » Cigarette électronique à la main, son acolyte de Making Waves renchérit : « Le micro oblige à se parler. Vous verbalisez des choses, ici. » Force est de le constater. Grâce au prétexte du micro, l’un des jeunes détaille pour la première fois son souhait de devenir agent d’accompagnement aéroportuaire pour les personnes à mobilité réduite : « Ça fait vingt ans que j’aide des personnes handicapées, raconte Hamza, tandis que sa voisine pousse le micro vers lui. Avant l’atelier radio, dans ma tête, c’était banal. » Pour lui et ses camarades, cette session où chacun doit se raconter a la saveur de l’inédit. « Ici, on m’écoute », résume simplement Sarah, le visage à moitié dissimulé par ses longs cheveux lisses.

Entre culture et travail social

A quelques kilomètres de là – ce qui représente un long trajet, faute de transports publics efficaces – se trouvent les locaux de Making Waves, juste en face des cinq grandes tours du quartier des Marnaudes, à Rosny-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Installée à la table de la cuisine, Amélie Billault décrypte ce qui se joue lors des ateliers : « Parler dans un micro revêt un impact symbolique très fort, développe-t-elle dans un discours bien huilé. Cela instaure un rapport d’égalité, et apprend à écouter les autres. Le micro permet de travailler tout un tas de compétences, de savoir-être et de savoir-vivre. »

Et c’est bien selon cette idée que l’association a vu le jour en 2019. Après avoir travaillé dans la production de spectacles vivants puis en faveur de l’inclusion par le biais de la Face (Fondation pour agir contre l’exclusion), Amélie Billault a fait la connaissance d’Alexandre Plank, à l’époque réalisateur de fictions à Radio France. Les deux quadragénaires partageaient la même envie : entreprendre un projet au croisement du travail social et de la culture. Forts d’une carrière bien entamée et d’un solide réseau, ils ont profité du premier confinement pour lancer à fond l’aventure Making Waves. Le duo fondateur s’entoure ensuite de personnes aux parcours variés, dont Mohammed Bensaber, travailleur social. « Je n’avais aucune appétence pour la radio, dit-il d’emblée, mais je me suis retrouvé dans les valeurs de l’association. »

Trois ans après son lancement officiel, Making Waves emploie aujourd’hui sept personnes en contrat à durée indéterminée autour de trois activités : le studio de production de podcasts et d’émissions ; l’organisation non gouvernementale, qui envoie des « radiobox » à travers le monde (Ukraine, Côte d’Ivoire, Maroc, Liban…) ; et le pôle « insertion et éducation populaire ». Dans le cadre de cette dernière activité, Alexandre Plank et Mohammed Bensaber interviennent au sein des missions locales voisines. D’autres ateliers sont organisés en maisons d’arrêt ou dans des hôpitaux. Mais aussi, bientôt, au Festival d’Avignon. L’été prochain, des jeunes de 16 à 24 ans venus des quatre coins de France y animeront avec Making Waves une émission quotidienne composée de reportages, d’interviews, de chroniques et de performances. « Cela va permettre aux jeunes de rencontrer ce monde-là », se réjouit Alexandre Plank. Grâce à la radio, des univers qui ne se côtoient pas ou trop peu peuvent dialoguer. Une ouverture importante, car « tout conflit vient du sentiment de ne pas avoir été écouté », selon la directrice, Amélie Billault. Lors des différents ateliers, les participants fabriquent des émissions en direct, des podcasts, des fictions. Sans jamais courir après les clics : « Notre but n’est pas l’audience, mais la production. On veut créer un moment de radio », explique Hervé Marchon, directeur pédagogique du studio d’insertion. En effet, en plus de toutes ses activités, Making Waves a créé en avril 2021 un atelier-chantier d’insertion tout droit inspiré de celui de l’association L’Onde porteuse, à Clermont-Ferrand, qui utilise elle aussi la radio en tant qu’outil pour (re)prendre sa place dans la société. Une façon de proposer un mode de réinsertion autre que les classiques jardinage, bâtiment ou magasinage, qui sont déjà légion dans ce département…

Une écoute collective par jour

Momar Fall, 51 ans, compte parmi les premiers à avoir signé ici un contrat d’insertion, il y a bientôt deux ans. C’était après vingt-cinq années à travailler dans la sonorisation, à Paris, à Londres et même au Texas, puis une séparation et « une période de vaches maigres » qui l’a conduit jusqu’à la rue. Turban noué sur la tête et lunettes composées d’un verre rond et de l’autre carré, il continue d’œuvrer 26 heures par semaine comme technicien réalisateur au sein de l’atelier-chantier d’insertion. Il est aussi devenu responsable du matériel et régale parfois l’équipe de ses fameuses pâtes « à la Momar ». Lui et ses sept collègues du chantier d’insertion travaillent dans une salle illuminée grâce à de larges baies vitrées, casques vissés sur les têtes. Assise non loin, Fatoumata, 19 ans, est « la voix de Making Waves », dit-elle en souriant. Depuis son arrivée en décembre dernier, c’est elle qui est sollicitée lorsqu’il faut enregistrer une voix off. Après un service civique, elle n’avait pas trouvé de formation en alternance pour faire de la communication et a été orientée vers le chantier d’insertion par la mission locale de Gagny.

Fatoumata, Momar et leurs collègues se réunissent tous les jours pour une séance d’écoute collective. « C’est en écoutant la radio que l’on apprend à en faire », affirme Hervé Marchon, qui encadre l’équipe en insertion. En ouvrant la porte capitonnée d’une petite pièce aux murs recouverts de panneaux jaunes et vert canard, il ajoute, rieur : « On fait ça dans l’ancienne chambre froide. Avant, ici, c’était une boucherie. » Lumière tamisée et chaises en cercle, on écoute d’abord Prologue pour un récit d’arrivée, une création sonore primée lors du dernier festival brestois de radio Longueur d’ondes. Bras croisés et yeux fermés pour certains, pianotage téléphonique et changements perpétuels de position pour d’autres : chacun a son mode d’écoute. Les salariés en insertion connaissent déjà ce podcast puisqu’ils étaient dans le jury de ces César de la radio, représentés dans le Finistère par Fatoumata Karamoko, qui voyait la mer pour la première fois.

Commande de podcasts

Après ce moment de calme, place à la pratique. « Je vous fais écouter ce que j’ai monté hier, en vous montrant la forme dans Reaper [le logiciel de montage audio utilisé, ndlr], parce que vous aurez tous un épisode à réaliser », commence Hervé Marchon. La Fondation iad, qui intervient en faveur de l’insertion professionnelle, a commandé à l’atelier-chantier d’insertion dix podcasts destinés à esquisser le portrait d’autant d’associations. Installé à côté de l’ordinateur, l’encadrant lance celui consacré à Kodiko, une association pour l’insertion professionnelle des réfugiés, et commente le son qui sort des enceintes. « Vous entendez, sur ces passages, j’ai fait un montage à la Youtube, avec ce qu’on appelle des fausses coupes en radio et qui sont interdites normalement », insiste-t-il en souriant.

A l’issue de cette réunion quotidienne, une productrice radio amie de Making Waves vient demander de l’aide à Hervé Marchon pour enregistrer sa voix. « Demande à Jay », répond-il du tac au tac. Avant d’ajouter, visage malicieux : « Mon but, c’est d’en faire le moins possible. Mais il faut beaucoup bosser pour y parvenir. »

Des clients de renom

Parmi les clients du chantier d’insertion, outre la Fondation iad, figurent des institutions de renom comme le Louvre Abu Dhabi, l’Institut du cerveau ou le Centre national d’études spatiales (Cnes). L’occasion, pour les salariés, d’apprendre à faire de la radio, à utiliser un ordinateur et un logiciel de montage, à décrypter un discours. Mais pas que. « Quand on interviewe un scientifique du Cnes, qu’on voit qu’il bafouille et qu’ensuite, au montage, on le coupe, il se passe quelque chose. De même quand, en tant que salarié en insertion, on va interroger un chef d’entreprise, explique Hervé Marchon. Ces expériences permettent de reprendre confiance, de constater qu’on sait parler et qu’on est écouté. Le simple fait de dire : “Je fais de la radio”, ça transforme. » Jay Magen, 58 ans, salarié en insertion depuis un an à Making Waves confirme : « J’ai sacrément évolué. Je suis même devenu formateur, parce que tous les tutoriels pour le logiciel de montage sont en anglais et que je suis bilingue. » Longues dreadlocks et casquette sur la tête, il a longtemps travaillé dans la sonorisation de soirées reggae, avant que la pandémie ne mette un coup d’arrêt à son activité. « Travailler ici a renouvelé ma passion pour le son. »

Même si la radio ne représente pas un outil miracle, l’atelier-chantier d’insertion de Making Waves n’a connu qu’une sortie négative depuis ses débuts. Deux anciens salariés y ont découvert une passion pour le son et travaillent désormais dans ce domaine. Pour les autres, divers chemins ont été pris : création d’une entreprise de voyance en ligne, formation à l’école d’informatique 42, assistance administrative dans la fonction publique ou manutention dans le monde des décors de cinéma. Arrivée à Making Waves voici quelques mois, Chloé(1) compte devenir hypnothérapeute à la fin de son contrat. « J’ai appris des choses sur le son, mais ça m’a surtout réconciliée avec la société », dit celle qui a connu une longue période de chômage après un burn-out. Dorian Verloppe, 23 ans, a pour sa part découvert Making Waves grâce à un atelier proposé à la mission locale de Villemomble (Seine-Saint-Denis). Il a rejoint le chantier d’insertion après s’être cherché au travers de deux licences interrompues, en arts plastiques puis en lettres et sciences humaines. Aujourd’hui, il sait ce qu’il veut faire : écrire et faire du podcast. Et quand on lui demande ce qu’il a appris depuis son arrivée il y a cinq mois, l’homme, vêtu tout de noir des baskets à la casquette, répond sans hésiter et avec une âme de poète : « J’ai appris à me servir de mes oreilles autrement. Comme en arts, où on apprend à se servir de ses yeux autrement. »

Notes

(1) Le prénom a été changé.

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