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Violences sur mineurs : "Une étude anglo-saxonne de qualité mais purement quantitative” (Xavier Pommereau)

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Xavier Pommereau

Chef du "pôle aquitain de l'adolescent" au CHU de Bordeaux pendant une trentaine d'années, Xavier Pommereau est un spécialiste de l'adolescence en difficulté 

Crédit photo Edition Albin Michel
Une étude australienne, parue le 30 avril dans The Lancet Public Health, confirme que les mères ayant subi des violences pendant leur enfance ont plus de risques de devenir maltraitantes à leur tour. Pour le pédopsychiatre Xavier Pommereau, ses apports sont indéniables pour mieux prévenir et casser cette chaîne délétère, mais d’autres facteurs restent à explorer.

Actualités sociales hebdomadaires - L’étude australienne sur la transmission intergénérationnelle de la maltraitance est inédite. Mais qu’apporte-t-elle de nouveau ?

Xavier Pommereau : Nous n’avions jamais réalisé une étude d’une telle ampleur. De 1986 à 2017, soit sur trente ans, sept scientifiques ont analysé rétrospectivement les données de 38 500 paires mère-enfants. Les résultats permettent de confirmer des éléments que notre expérience clinique enregistre chaque jour mais que nous ne pouvions pas mesurer : une personne qui a été maltraitée a davantage d’occurrence de devenir maltraitante. Ce que les psychiatres expliquent par des mécanismes d’identification à ses parents. Ainsi, un enfant dont la mère aurait été signalée au moins une fois aux services sociaux étant petite aurait 2,5 fois plus de risques d’être maltraité qu’un autre, et 6 fois plus si sa mère a été placée. L’étude met également en lumière l’impact des violences subies particulièrement pendant deux périodes spécifiques : à la toute petite enfance, soit avant 1 an – sans doute parce qu’elles sont extrêmement graves (fractures multiples, brûlures) – et à l’adolescence, pour des violences majoritairement sexuelles. Enfin, d’autres facteurs aggravants sont pointés comme la maternité précoce, la monoparentalité, le nombre d’enfants (quatre ou plus) et des problèmes de santé mentale. Ce qui m’intéresse le plus dans ce travail purement quantitatif, c’est qu’il nous donne des pistes pour savoir à quel moment muscler la prise en charge pour prévenir et éviter ces risques de transmission intergénérationnelle des violences.

Cette transmission est-elle inévitable ?

Heureusement, non. Quand nous nous occupons tôt et bien d’un enfant qui souffre, nous pouvons vraiment l’aider à s’en sortir. Cela dépend des capacités de résilience propres à chacun, des bonnes rencontres qui permettent les projections positives. Le grand-père en famille d’accueil « qui n’est pas pédophile », l’assistante familiale bienveillante et rassurante, le parent adoptif aimant et solide, etc. En d’autres termes, un milieu structurant, attentif, qui protège, soigne et permet à l’enfant de se sentir sécurisé. La difficulté réside dans l’observation que, souvent, les petites filles victimes de maltraitances et d’abandon prises en charge précocement semblent aller plutôt bien. En réalité, il s’agit d’une phase de latence des tortures subies que l’entrée dans l’adolescence fait ressurgir. Au moment où leur identité recommence à « vibrer », ces jeunes essaient de se réparer. Soit en recherchant l’affection d’adultes ou de jeunes de leur âge, ce qui peut les conduire à être victimes d’agressions sexuelles ou à former des couples très jeunes avec des grossesses adolescentes. Soit en tentant d’apaiser leur mal-être en abusant de cannabis, de psychotropes, d’alcool, de médicaments. C’est la « gomme à effacer les souvenirs ». Certains enfants adoptés peuvent, par exemple, commencer à « déraper » vers 8-9 ans, à injurier leur mère, à fuguer, à se scarifier. Craignant d’être jugés, les parents adoptifs ne vont pas se faire aider, le problème va s’aggraver et le risque d’engrenage de la maltraitance apparaître.

Comment rompre cette chaîne ?

Il faudrait renforcer systématiquement les évaluations psychologiques pendant la préadolescence – vers 9-10 ans ou un peu plus tôt pour les filles ayant une puberté précoce – afin de voir comment évoluent les enfants qui ont été maltraités ou abandonnés, et qui ne laissent rien paraître. Pour prévenir les violences qu’ils pourraient subir et les addictions, il est impératif de les revoir et de les soutenir au moment où ils deviennent parents. Il s’avère également nécessaire de dire aux parents adoptants, aux intervenants sociaux, aux familles d’accueil, que les résurgences de violences subies sont classiques chez les enfants maltraités, qu’ils n’en sont pas responsables et doivent se faire aider.

Quels enseignements concrets en tirer pour le travail social ?

Sachant que tout compte, quand un travailleur social est informé de la nature des violences infligées, il doit vraiment le consigner par écrit dans les détails : le nombre de fois où l’enfant est venu aux urgences, la description des violences, des brûlures de cigarettes, des coups, des étouffements. Ils ne doivent pas se contenter de noter : « Elle a été battue », comme c’est malheureusement parfois le cas avec l’informatisation des dossiers qui pousse à tout résumer. Ces écrits représentent un matériau de travail essentiel par la suite pour comprendre les symptômes et accompagner au mieux la personne. Le partage des situations en équipe, en réunions de synthèse, est également fondamental. Le travailleur social ne doit jamais rester seul avec ces informations. Il est crucial d’exiger des régulations avec un « psy » extérieur à son établissement. Etudier ensemble les cinq cas les plus problématiques des six derniers mois apparaît souvent beaucoup plus utile que plusieurs formations.

Quelles sont les limites de cette étude ?

Nous aimerions en savoir davantage. C’est une étude d’une grande qualité, mais purement quantitative et très anglo-saxonne. Il est intéressant de montrer des corrélations mais, sur le terrain, nous apprécions de travailler avec des causes et des conséquences identifiables et un panorama complet de l’environnement familial. Ce travail estime que 83 % des cas de négligence ou de maltraitance sur des enfants concerneraient ceux dont les mères ont eu des antécédents de contact avec les services de protection de l’enfance. Nous aimerions connaître l’auteur et la nature des événements commis sur les mères étudiées, ce qui les a amenées à être en contact avec ces services. Et surtout l’étude ne parle pas des pères : sont-ils présents ou ont-ils disparu ? Ont-ils abandonné leur femme pendant la grossesse ou après ? Sont-ils violents ? De même, sur le facteur aggravant des maladies mentales, s’agit-il de dépression ou d’autres pathologies ? Par exemple, certaines mères souffrent de syndrome anxieux et ont tellement peur de mal faire qu’elles peuvent forcer leur bébé à finir son biberon ou le secouer en le prenant par les pieds pour qu’il ne s’étouffe pas, et donc le torturer sans le savoir.

Y a-t-il d’autres facteurs à prendre en compte ?

Il n’y a pas que les mères qui peuvent être maltraitantes, bien entendu. Et pour les hommes comme pour les femmes, le fait d’avoir été maltraité enfant n’est pas la seule source à explorer. Il faut prendre en compte les conditions de vie, les problématiques apparues dans l’histoire des familles. Un seul facteur ne suffit pas à expliquer des sévices ultérieurs. Il s’agit, la plupart du temps, d’une combinaison d’éléments défavorables.

Entretien

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