Installé dans une ancienne école maternelle du 12e arrondissement de Paris, le premier centre d’appui à l’enfance doit ouvrir d’ici l’automne 2025. Le projet, qui doit être déployé à terme dans chacune des régions de France, a le soutien du gouvernement, qui en fait l’un des points cardinaux de son action pour améliorer la santé des enfants protégés. Céline Greco, présidente et fondatrice de l’association Im’Pactes, par ailleurs cheffe de service à l’hôpital Necker-Enfants malades, en détaille les points clés.
La ministre Catherine Vautrin et les différents partenaires viennent poser la première pierre du centre d’appui à l’enfance. Où en est le projet aujourd’hui ?
Cette étape marque une avancée : on a signé le bail avec la ville de Paris qui met à disposition le foncier. On a fini notre lever de fonds. La réhabilitation de l’école maternelle devrait être achevée d’ici fin septembre, avec une ouverture aux enfants prévue début novembre. Le pavillon attenant, dont on posera justement la première pierre, sera lui, terminé fin février, pour une ouverture, j’espère, en mars.
A travers cette étape, je voulais marquer le coup : des enfants de l'aide sociale à l'enfance seront présents pour placer dans un tube en cuivre leurs rêves d’avenir avec des dessins, des textes, des poèmes, qu’ils liront. Peut-être qu’on les retrouvera dans 1 000 ans lors de fouilles archéologiques. Quelque part, ils nous obligent : à nous d'être en ordre de marche pour que le centre fonctionne et donner vie à leurs aspirations.
Qu’est-ce qui vous a amenée à penser ces centres ?
Le constat d’abord que les enfants victimes de violence perdent 20 ans d'espérance de vie. Ce chiffre, que je m’évertue à répéter depuis plus de dix ans, est lié au stress chronique que subissent ces enfants en rentrant à la maison le soir. Stress qui devient toxique pour l'organisme. Toutes ces violences ont des conséquences : endocrinologiques, métaboliques, neurologiques, elles modifient l'architecture cérébrale, causent des troubles des apprentissages. C'est comparable aux radiations : plus vous êtes irradié fort et longtemps, plus les conséquences à l'âge adulte seront sévères. C'est exactement la même chose pour les violences : plus l’exposition est intense et sa durée longue, plus les conséquences sont majeures à l'âge adulte.
Ensuite, la deuxième raison qui motive la création des centres d’appui, c’est le constat que, malgré les lois de 2016 et 2022, seuls 30% des bilans de santé sont réalisés à l’admission dans les dispositifs de protection de l'enfance. On a donc aucune idée de l’état de santé des enfants et on ne peut pas les prendre en charge.
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Comment s’organise le futur centre d’appui à l’enfance ?
Il y a d’un côté le bâtiment initial de l’ancienne école maternelle et de l’autre des préfabriqués, amiantés, qu’il faut détruire. Le premier sera transformé en centre de santé. Sur le second pôle, un pavillon entouré d’un jardin public sera construit. Au rez-de-chaussée, on y trouvera un restaurant, la « brasserie Asterya », ouvert sur le quartier : il formera les jeunes de l’ASE aux métiers de bouche. Au premier étage, on retrouvera les locaux de l'association Im’Pactes, une salle de pause pour les soignants et les personnels du restaurant ainsi qu’une salle qui servira aux programmes de rescolarisation des enfants. Asterya – et j’aimerais que les autres centres se développent sur le même modèle – sera donc un pôle assez complet réunissant des problématiques de santé, de scolarité et d'insertion professionnelle.
Que proposera concrètement Asterya ?
On va faire l'ensemble des bilans de santé à l'admission dans le dispositif. Et, en fonction du bilan, on va déterminer trois parcours de soin à l’intensité adaptée aux séquelles de ces enfants. Le centre sera aussi un espace de formation et de supervision pour les professionnels. Il sera enfin un lieu pour faire de la prévention secondaire.
Comment se déclinent les trois parcours de soin ?
L'idée, c'est de graduer les parcours en fonction des problématiques des jeunes.
- Le premier, standard, s’adressera aux enfants qui ne vont pas trop mal : ils auront une prise en charge en ville au plus proche de leur lieu de placement, avec un réseau qu’on va constituer. Malgré les difficultés actuelles d’orienter vers des structures de droit commun, la création du centre d’appui, grâce notamment à son partenariat avec l’AP-HP, peut mobiliser d’autres acteurs pour faire en sorte de prioriser les enfants de l’ASE.
- Le Parcours 2, renforcé, sera dédié aux enfants qui ont besoin d’une prise en charge bimensuelle. Je suis en train de voir avec Catherine Vautrin si on peut ouvrir le cahier des charges des UAPED (unités d’accueil pédiatrique des enfants en danger, NDLR) les mieux dotées de façon à ce qu'elles assurent le suivi des enfants. Le centre d'appui ferait le bilan et enverrait les enfants du parcours 2 aux UAPED volontaires pour le suivi.
- Le parcours 3, intensif, s’adressera aux enfants présentant d’importants troubles du neurodéveloppement et du comportement. Ceux que les maisons d’enfants parviennent difficilement à accompagner. Ces enfants seront pris en charge, du bilan de santé au suivi, au sein du centre par une équipe spécialisée dans le trauma complexe. Elle sera formée de pédiatres, de pédopsychiatres, de psychologues, de psychomoteurs, d’orthophonistes, et aussi de diététiciens parce que la nutrition de ces enfants est un sujet complexe.
Comment s'articule le projet avec les programmes Pégase et Santé protégée ?
Ils s'articuleront avec le parcours 1 des centres d’appui. L’idée est d’être complémentaire. Daniel Rousseau, médecin coordinateur du programme Pégase, est au conseil d'administration d'Im’Pactes, ce qui est très facilitant. Ses équipes ont mis en place des bilans sur le neurodéveloppement de l'enfant. Elles ont l’expertise des 0-7 ans qu’elles pourront nous partager, en participant notamment à la formation de notre équipe. Sur santé protégée, on va commencer à tisser nos réseaux de soins sur l'Île-de-France là où il n'est pas présent. Et si le programme est généralisé, l'idée c'est d'être complémentaire.
Quels types de formation seront développés ?
On va mettre en place des formations gratuites à destination des professionnels de santé, mais aussi des personnels de l'Education nationale et des travailleurs sociaux d'Île-de-france qui le souhaitent. Pour ces derniers, on veut mettre en place la technique ARC (Attachement régulation compétence) déjà utilisée au Canada. L'Observatoire national de protection de l’enfance (ONPE) s'en est saisie et on travaillera avec lui.
Il s’agit de former les professionnels aux besoins fondamentaux de l'enfant, notamment aux besoins de santé – ce dont ils ne disposent pas dans leur cursus initial – et de les former à cette technique qui permet de prévenir les crises en institution. On pourra ainsi aider les travailleurs sociaux qui se sentent aujourd’hui totalement démunis face à la souffrance de certains enfants.
Asterya, c’est aussi un lieu dédié à la prévention secondaire…
On va réunir les adolescents, de manière collective, sur plusieurs séances par an et faire de la prévention, sur la prostitution, sur la santé sexuelle, sur les conduites addictives. Il y a tout un volet prévention qu’on doit absolument mettre en place, en travaillant avec des partenaires comme les maisons des femmes pour les ados. Et l’autre aspect réside dans le repérage des violences en institution. Cela se passe au moment du bilan de santé et du suivi pour savoir comment se déroulent le quotidien en famille d'accueil ou en maison d'enfants.
Quand les autres centres régionaux seront-ils déclinés ?
On réfléchit actuellement à la création d’un projet dans les Hauts-de-France, dont on peut espérer une ouverture fin 2026. Puis devrait suivre fin 2027 un centre en Auvergne-Rhône-Alpes, PACA ou Nouvelle-Aquitaine. L’objectif serait d’avoir ouvert les 13 centres d’ici dix ans.