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Droit et mendicité

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Conséquence d’un état de vulnérabilité et d’exclusion, la mendicité était, jusqu’en 1994, un délit passible d’une peine de prison. Depuis, si elle est autorisée sous certaines conditions, des arrêtés anti-mendicité sont pris dans des territoires lorsqu’elle porte atteinte à l’ordre public.

Le mendiant est historiquement dans l’œil du cyclone, surveillé et/ou réprimé par les autorités publiques, et objet de représentations sociales défavorables. Le code pénal de 1804 poursuit cette œuvre en créant des délits strictement définis, passibles de sanctions pénales, en ce compris l’emprisonnement.

Sous l’effet conjugué d’une conception plus libérale de l’ordre public et des préoccupations nouvelles, au XXe siècle, liées à la misère sociale, à l’exclusion et à la nécessaire réinsertion des individus, les condamnations effectives connaissent une décrue. En prenant acte, le nouveau code pénal de 1994 a aboli les anciens délits.

Cependant, si elle n’est plus synonyme d’emprisonnement, la mendicité n’en continue pas moins à être appréhendée par le droit, suscite toujours le débat contemporain et provoque l’intervention du juge, précisément au sujet d’arrêtés anti-mendicité régulièrement pris par des maires – au nom de la défense de l’ordre public – et contestés devant les tribunaux – au nom de la défense des droits fondamentaux.

Le sujet est en effet délicat car il convoque de nombreuses thématiques, au carrefour de la précarité sociale, du sans-abrisme, de la santé, des libertés fondamentales, de l’ordre public…

Notre dossier dresse un synthétique état des lieux du droit positif réglementant la mendicité et se focalise sur les arrêtés anti-mendicité, porteurs d’atteintes potentielles aux droits et régulièrement déclarés illégaux, le juge étant garant par son interprétation des textes du bon équilibre des intérêts en présence.

I. La mendicité : une activité licite encadrée

La réforme du code pénal a mis fin au délit de mendicité, mais celle-ci, devenue licite, n’échappe pas à toute réglementation, ni à la sanction pénale sous certaines conditions.

A. Les hypothèses de mendicité illicite visées par la loi

Des dispositions répressives figurant dans le code pénal requalifient la mendicité en délit dans deux cas principaux :

• lorsque la mendicité est agressive ou sous la menace d’un animal dangereux : « Le fait, en réunion et de manière agressive, ou sous la menace d’un animal dangereux, de solliciter, sur la voie publique, la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien est puni de 6 mois d’emprisonnement et de 3 750 € d’amende » (code pénal [C. pén.], art. 312-12-1) ;

• lorsque la mendicité met des enfants en cause : « Le fait, par un ascendant ou toute autre personne exerçant à son égard l’autorité parentale ou ayant autorité sur un mineur de 15 ans, de priver celui-ci d’aliments ou de soins au point de compromettre sa santé est puni de 7 ans d’emprisonnement et de 100 000 € d’amende. Constitue notamment une privation de soins le fait de maintenir un enfant de moins de 6 ans sur la voie publique ou dans un espace affecté au transport collectif de voyageurs, dans le but de solliciter la générosité des passants » (C. pén., art. 227-15).

B. Les restrictions apportées à la mendicité au nom de l’ordre public

Aujourd’hui licite sous certaines conditions, la mendicité est susceptible de réglementation dans son usage, jusqu’à l’interdiction pure et simple. Le principe est qu’elle ne doit pas porter atteinte à l’ordre public.

1. Les contours de l’ordre public

L’ordre public est une notion juridique très complexe, dont la définition stricte et définitive est impossible, et très étendue dans de multiples domaines du droit. La donnée centrale réside dans l’existence de règles fixées par la loi au sens large auxquelles on ne peut déroger (ex. : la prohibition du viol, du meurtre…). Pour le sujet qui nous intéresse, on notera qu’est en jeu ce qu’on appelle l’« ordre public général », qui est un vaste ensemble de règles permettant la vie en commun. Ces règles s’imposent pour des raisons de moralité et de sécurité impératives dans les rapports sociaux. Le Conseil constitutionnel, lui, évoque « le bon ordre, la sécurité, la salubrité et la tranquillité publique », des juristes de renom ajoutant la « sûreté ». Quand d’autres précisent qu’il s’agit de l’ensemble des règles obligatoires qui touchent à l’organisation de la Nation, à l’économie, à la morale, à la santé, à la sécurité, à la paix publique, aux droits et aux libertés essentielles de chaque individu.

Ces règles s’opposent aux libertés individuelles, le rôle de la puissance publique étant de concilier ces deux pôles.

2. Les maires et l’ordre public

Le maire est l’autorité de police administrative de la commune. Il dispose de compétences et de pouvoirs légaux de police générale lui permettant de mener des missions en matière de sécurité publique, de tranquillité publique et de salubrité publique. Il exerce ses pouvoirs au nom de la commune, sous le contrôle administratif du préfet (code général des collectivités territoriales [CGCT], art. L. 2122-24 et s.).

Au quotidien, concrètement, motivation prise de la défense des intérêts de sa commune – incluant ceux des particuliers, des commerçants et autres personnes morales, mais aussi ceux des personnes hors commune telles que les individus de passage, les touristes, par exemple –, les maires se saisissent de leur pouvoir de police administrative, qui engendre un pouvoir normatif octroyant au premier magistrat de la commune d’édicter des mesures réglementaires et individuelles, au nom de l’ordre public, pour prendre des arrêtés dans divers domaines.

Ainsi, l’article L. 2212-2 du CGCT, disposition pivot et très détaillée, énonce que « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment :

1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, ce qui comprend le nettoiement, l’éclairage, l’enlèvement des encombrements […] ;

2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ;

3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ; […]

7° Le soin d’obvier ou de remédier aux événements fâcheux qui pourraient être occasionnés par la divagation des animaux malfaisants ou féroces. »

Au titre des sanctions, l’article R. 610-5 du code pénal prévoit que : « La violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe », c’est-à-dire une amende d’un montant maximal de 150 € (ce montant était de 38 €, pour une contravention alors de 1re classe, avant l’intervention d’un décret du 15 février dernier).

3. Les maires et la mendicité

De principe licite, sous les réserves déjà soulignées, la mendicité peut s’inscrire dans le champ du pouvoir de police administrative des maires. L’acte de mendier ne peut être interdit en soi, pour le seul geste, mais il peut être encadré, voire interdit, s’il s’inscrit dans les prévisions des 2°, 3°, voire 7°, de l’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales, au motif d’un risque de trouble à l’ordre public – tranquillité, sûreté… – par la voie d’un arrêté.

Ces arrêtés anti-mendicité se sont multipliés depuis l’abrogation du délit de mendicité, souvent à l’orée de l’été et dans des localités à fort impact touristique, dans certaines zones identifiées, dans l’objectif affiché de protéger l’ordre public. Devant obéir à certaines conditions, ils posent des difficultés au vu du respect des libertés publiques.

II. Les arrêtés municipaux anti-mendicité

Les premiers magistrats des communes disposent certes de prérogatives de police. Cependant, ceux-ci font parfois preuve d’une interprétation extensive de la loi et ne manquent pas de transgresser les textes qu’ils sont censés respecter. D’où des recours déposés devant le juge administratif tendant à contester leur légalité. On se retrouve ainsi avec une réglementation souvent polémique qui est source d’un abondant contentieux.

A. Les intérêts en présence

Invoquée par les maires, la protection de l’ordre public est l’objectif majeur de tout arrêté anti-mendicité (voir page 17).

La liberté d’aller et venir, liberté fondamentale, est en cause. Celle-ci inclut la liberté de circuler sur la voie publique, celle d’y stationner, et celle de l’utiliser. Sa valeur est d’ordre constitutionnel, étant consacrée comme une composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, par l’article 2 du protocole 4 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ainsi que par l’article 12 du Pacte international des droit civils et politiques.

La liberté étant le principe fondamental, on ne peut y porter atteinte, de façon exceptionnelle, qu’en cas de trouble à l’ordre public, ou pour prévenir des troubles graves.

L’exigence de la liberté d’aller et venir vient heurter les prévisions des arrêtés anti-mendicité. C’est pourquoi la prise de tels actes obéit à des conditions strictement analysées par le juge.

B. Les conditions de validité des arrêtés anti-mendicité

Schématiquement, l’autorité publique doit invoquer un risque de trouble grave à l’ordre public, prouver la nécessité d’interdire tels actes, et montrer que la mesure prise est proportionnée à la menace invoquée. Autant d’éléments passés au crible de l’analyse du juge, qui peut remettre en cause les arrêtés litigieux.

1. Une mesure proportionnée

Un arrêté anti-mendicité n’est pas illégal. Il doit cependant être strictement justifié et être strictement proportionné aux troubles à l’ordre public susceptibles d’être causés. La jurisprudence administrative veille scrupuleusement à cette exigence de proportionnalité.

Si la mesure de police mise en œuvre n’est pas proportionnelle à la réalité des risques d’atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, l’arrêté est illégal est nécessairement annulé par le juge.

2. Compétence du juge administratif

La matière touchant les prérogatives et le fonctionnement des personnes de droit public, soit le maire en l’occurrence, le juge administratif est compétent pour statuer sur la légalité des arrêtés litigieux. La compétence revient au tribunal administratif, en première instance, à la cour administrative d’appel, puis, en dernier recours, au Conseil d’Etat, qui ne rejuge cependant pas l’affaire sur le fond, mais vérifie la correcte application du droit par les juges du fond.

Tant les habitants de la commune que les associations ayant pour objet la défense des droits des personnes en situation de précarité ou d’exclusion, voire les personnes visées par de tels arrêtés (ex. : sans-abri…), peuvent invoquer un intérêt à agir contre les dispositions litigieuses.

La défenseure des droits saisie par des associations

En juin dernier, un groupe de 16 associations (Ligue des droits de l’Homme, Fondation Abbé-Pierre, ATD quart monde…) a saisi Claire Hédon, la défenseure des droits, tirant la sonnette d’alarme à la suite d’une nouvelle salve d’arrêtés municipaux écartant les personnes sans domicile des centres villes urbains. Ces organisations, qui évoquent « une chasse aux personnes sans abri », appellent cette autorité administrative indépendante à « constater la discrimination indirecte et l’atteinte qui en résulte aux droits des personnes sans abri que constituent ces arrêtés », et considèrent – pour la énième fois – que les arrêtés en question « violent de nombreux droits fondamentaux par leur caractère disproportionné ».

Des arrêtés anti-mendicité (souvent) retoqués par le juge

Si des arrêtés litigieux ont pu être validés par le juge administratif (ex. : CE, 9 juill. 2003, n° 229618), d’autres, assez nombreux, n’ont pas trouvé les faveurs du juge et ont été annulés ou suspendus (voir parmi une longue liste les cas typiques de CAA Douai, 13 novembre 2008, n° 08DA00756 : atteintes possibles à l’ordre public non établies et fixation d’une interdiction d’une durée de 6 mois jugée excessive ; TA Strasbourg, référé, 2 février 2021 : « doute sérieux sur la proportionnalité des atteintes portées par l’arrêté du 15 décembre 2020 à la liberté d’aller et venir », pour une interdiction de la mendicité dans plusieurs secteurs de la ville de Metz, du lundi au samedi entre 9 heures et 19 heures ; CE, 16 juillet 2021, n° 434254 : caractère général et absolu des interdictions, dans le temps et dans l’espace, atteinte disproportionnée au regard de l’objectif de sauvegarde de l’ordre public poursuivi…).

En tout état de cause, les arrêtés de portée générale et absolue sont systématiquement annulés, la jurisprudence étant constante.

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