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Citoyen toujours, même avec la maladie d’Alzheimer ?

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« Progressivement, les maladies neuro-évolutives dont la maladie d’Alzheimer, – non guérissables – est l’autre révélateur de peurs alimentées par une évolution/révolution démographique tandis que se développent les sciences cognitives », explique Laurence Hardy, sociologue et anthropologue.

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[ALZHEIMER FRIENDLY 13/16] Les maladies ont une histoire ; certaines ancrent des peurs collectives (1). Selon les époques, les « troubles mentaux » ont été perçus comme l’œuvre du diable et de Satan, de Dieu ou encore de l’inconscient, du cerveau, des gènes ou de la société. Ces représentations sociales négatives et stigmatisantes ont conduit à la mise à mort parfois, l’enferment souvent et les contentions par neuroleptiques. Aux XXe et XXIe siècles, la maladie d’Alzheimer devient un révélateur puissant de peurs collectives dans une société vieillissante et âgiste.

Le cerveau « disfonctionnant », organe marqueur de peurs collectives

Jusqu’à ces vingt dernières années, c’est le cancer qui imprègne les peurs collectives ; le renversement factuel a lieu en 2013 (2). Progressivement, les maladies neuro-évolutives dont la maladie d’Alzheimer, – non guérissables – est l’autre révélateur de peurs alimentées par une évolution/révolution démographique tandis que se développent les sciences cognitives.

Historiquement, le terme de demens apparaît au XIVsiècle. L’étymologie latine de ce terme provient de « de = privé de » et « mens = esprit ». Au XIXe siècle, il est utilisé dans le sens général de folie. Dans la seconde partie du XIXème siècle, la démence devient les démences.

A la charnière entre le XIXe et le XXsiècle, des chercheurs, parmi lesquels Alois Alzheimer appliquèrent aux démences une approche par l’étude des cellules nerveuses. Alors que les « déments séniles » ou les « grands-pères-gâteux » n’entraînaient qu’un émoi relatif, la poussée historique de la maladie d’Alzheimer est liée à l’impact médiatique de la maladie de célébrités. Des spécialistes américains regroupent, en 1976, la plupart des démences dégénératives, séniles ou préséniles sous le terme générique de « maladie de type Alzheimer ».

Cette absence de distinction conduit du jour au lendemain à une augmentation spectaculaire des « Alzheimer ». C’est ainsi que vont se forger les peurs du grand public car si on annonce une détérioration des facultés mentales d’autant plus fréquente que nous serons plus vieux, que va-t-on devenir ? L’approche déficitaire -du cerveau, des cellules... – prime et gomme l’approche sociale de la maladie dans une société de l’individu.

De la disqualification au CARE

Dans une société où la pratique religieuse est forte, le « fou » – figure de l’innocent – va progressivement être remplacé par le dément puis l’Alzheimer. La démence de type Alzheimer demeure, jusqu’aux années 1970, peu repérée voire perçue comme une curiosité. Mais dans une société marquée de plus en plus par la sécularisation où le médecin remplace le prêtre, où l’allongement de l’espérance de vie progresse principalement pour les personnes de plus de 60 ans, la médicalisation de la vieillesse puis de la mort va progresser : les médecins vont s’emparer de la maladie d’Alzheimer et des malades, tout comme ils vont annexer la vieillesse à la maladie. Des structures se spécialisent afin de répondre aux besoins de répit d’aidants épuisés. Des nouveaux métiers émergent, assistant de soins en gérontologie, animateur de bistrots mémoire, accompagnement de patient à la journée en accueil de jour...

Or la genèse sociale de la maladie d’Alzheimer est celle de la peur des maladies neuro-évolutives qui empêche le choix « raisonné » jusqu’à la citoyenneté dans une société où prime l’individu responsable – jeune – et autodéterminé. Le philosophe et sociologue allemand Axel Honneth parle de « pathologie sociale de la raison » et de « société du mépris » qui se caractérisent par un état de négativité sociale, par un manquement aux principes de justice sociale, par la perte de sens et le défaut de finalité commune (3). Il renforce ainsi les thèses du psychiatre Jean Maisondieu qui défend l’idée que dans une société qui disqualifie ceux qui ne sont pas efficaces, pas rentables, pas performants… produit la démence. Il démontre que « la démence, c’est la raison poussée à l’extrême » (4) dans le sens où les personnes n’ont plus « d’autres choix » que de basculer dans la démence, tandis qu’elles sont de plus en plus nombreuses à se suicider (5) .

Les questions du pouvoir d’agir et des choix restent sensibles, mais cheminent avec le recueil, dès le diagnostic – qui n’est jamais sûr – des souhaits, le mandat de protection future qui projette dans un avenir, la meilleure sensibilisation de proches aidants pour ne pas enfermer la personne citoyenne dans la pathologie, les quartiers « friendly »... La notion de DILEMME oblige à réfléchir à l’équilibre toujours difficile à trouver entre sécurité et créativité. L’éthique du CARE peut aider à transformer l’accompagnement ; il oblige à regarder autrement à travers le prisme de ce qui rend heureux freinant la recherche vaine du « zéro risque ».

Laurence Hardy, sociologue et anthropologue

 

Notes de bas de page

(1) Peste, rage, sida…

(2) La progression la mortalité liée au cancer est principalement liée au vieillissement de la population, de la généralisation des techniques d’exploration et dépistage et de causes environnementales. Les personnes âgées sont le plus souvent touchées, un tiers des diagnostics concernant des individus de plus de 75 ans.

(3) Axel HONNETH, La société du mépris. Vers une nouvelle Théorie critique, La Découverte, 2008.

(4) Jean MAISONDIEU, Les déments ne sont pas fous, Synapse, n°22, 1986, pp.36-46.

(5) Le nombre de suicides augmente avec l’âge : 28 % des suicides ont concerné des personnes âgées de plus de 65 ans (2014).

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