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A Calais, faire entendre la parole des enfants

Crédit photo Louis Witter
A Calais, de nombreux enfants mineurs arrivent chaque mois pour tenter la traversée vers le Royaume-Uni. Soumis à l’abandon et à la violence dans les campements, l’association ECPAT tente de les aider par des activités et un suivi juridique.

Un vent frais balaie l’herbe du campement de la Rue de Judée. Les tempêtes de la semaine précédente sont passées et ce mercredi 23 février, le soleil est de la partie. Il est à peine onze heures quand Léa, Giovanna et Kathleen garent leur voiture sur le bas-côté. L’une est psychologue, l’autre médiatrice culturelle et la dernière médiatrice sociale. Toutes trois sont salariés d’ECPAT, une ONG déployée dans plusieurs pays du monde et qui lutte contre la traite et l’exploitation sexuelle des enfants. L’association est arrivée en septembre dernier à Calais et a pris le relai du RYS, le Refugee Youth Service. Depuis, elle grandit et organise ses activités autour des mineurs présents dans plusieurs campements de la ville. « Giovanna parle arabe, alors le lien avec la communauté soudanaise se fait plutôt facilement et Kathleen parle Trigrinya, la langue érythréenne », détaille Léa, la psychologue de l’équipe.

Pour créer le lien avec les exilés, le trio organise des jeux de société, « des moments qui permettent de sortir de l’urgence ». Pour pouvoir repérer les enfants présents, ECPAT se cale sur les passages d’autres associations. Ce jour-là, la Croix-Rouge française est présente, ainsi que le Refugee Info Bus qui permet aux personnes exilées de charger leurs téléphones portables. « Les jeux, c’est un peu un prétexte pour repérer quels sont les plus jeunes, voir comment ils vont et leur proposer le reste des activités que l’on organise chaque semaine », détaille Léa.

Aujourd’hui rue de Judée, pas un jeune. La majeure partie d’entre eux habitent sur le camp dit de Old Lidl. Là, les trois femmes suivent un groupe de huit garçons dans la quinzaine. Ils viennent tous d’Osseylat, un petit village du Soudan. Depuis près de huit mois, ils sont confrontés à la vie sur ce campement et aux expulsions toutes les quarante-huit heures. Pour la majorité d’entre eux, le but unique est de rejoindre le Royaume-Uni par tous les moyens. Bateaux mais surtout les camions, garés à deux cents mètres de là et qui attendent d’être chargés sur les ferries. « La plupart des jeunes ne veulent pas se stabiliser en France. Alors tous leurs besoins sont très urgents : se nourrir, dormir, passer », stipule Kathleen. Principal problème, selon elle : le manque d’information globale de ces mineurs. « A cause du covid, la mise à l’abri de nuit n’existe plus, si un jeune arrive à la gare à vingt-deux heures, il n’aura nulle part où aller pour passer la nuit », explique- t-elle.

Se stabiliser un peu

Tenter le passage pour ces mineurs est souvent la seule manière d’espérer un avenir meilleur, de l’autre côté de la Manche. Mais pour les travailleuses d’ECPAT, les sensibiliser à la demande d’asile en France et leur donner accès à leurs droits revêt une importance capitale. Léa, la psychologue, ne peut entamer un suivi psychologique qu’à partir du moment où les jeunes sont un peu stabilisés : « Un garçon s’est fracturé le pied en tentant de monter dans un camion, il est à l’hôpital depuis plus de trois mois. C’est dans ces moments-là aussi que l’on peut mettre le jeune en confiance et lui expliquer quelles sont ses possibilités en France ».

A l’accueil de jour du Secours Catholique, ouvert tous les après-midi plusieurs fois par semaine, l’équipe d’ECPAT maraude également pour repérer d’éventuelles nouvelles têtes. Jérémie, le juriste de l’ONG, les accompagnent. Sa mission est de s’occuper des demandes d’asile ou des recours de minorité, au tribunal de Boulogne sur Mer : « Pour le moment, nous n’avons pas de dossier en cours, c’est dur de leur expliquer la politique britannique en matière d’accueil des enfants. Les procédures de regroupement familial, par exemple, peuvent prendre jusqu’à un an ».

Le jeudi, le groupe de gamins originaires du même village soudanais retrouvent Kathleen et Giovanna à la maison du doyenné à Calais. C’est un après-midi calme, où les deux salariées allient temps de détente et temps de réflexion avec les enfants. Tous sont ballotés entre l’accueil de France Terre d’Asile et du département à St-Omer et les campements de Calais. Leur routine, les tentatives de traversées, la vie en tente et parfois, l’accueil au chaud dans ce centre d’accueil pour mineurs non accompagnés (MNA). La semaine dernière, certains d’entre eux ont bénéficié du plan grand froid et été hébergés dans des conteneurs. Autour de la table ce jeudi, Khalaf, « le sage de la bande », est le premier à répondre à la question de Kathleen et Giavanna. Elles ont décidé de noter, sur une feuille d’un bon mètre de long, toutes les problématiques auxquelles sont confrontés leur petit. Kathleen demande, Giovanna traduit.

Au milieu de la grande feuille, le mot « Mushkila » représente le nuage d’où partiront les idées. Mushkila, ça veut dire problème, en arabe. En premier lieu, le jeune garçon pense aux autres gamins, ceux qui sont encore plus petits qu’eux. Il parle de leur détresse, du manque de leurs parents, de leurs problèmes dans la tête. Et les deux femmes écoutent, notent, attentivement. Ghaleb, lui, se plaint de l’accueil au centre de Saint Omer : « Il n’y a presque pas de savon pour se laver et les salles sont trop petites, imaginez 36 personnes dans une seule pièce ». Pour un autre, le drame est que « la police à Calais agit pareil avec les enfants qu’avec les adultes et que les chauffeurs de bus ne s’arrêtent pas pour nous prendre ». Kathleen baisse les yeux, note encore. Le petit nuage c’est bien étendu en une heure.

Cet après-midi ne règlera pas les « mushkilas » mais aura au moins permis à ECPAT de comprendre les attentes des mineurs et de les faire remonter à la préfecture et aux autres Ong. Kathleen promet : « Votre parole compte, il faut qu’on la fasse entendre ».

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