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LES FAUTES COMMISES ENVERS L’USAGER

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Nous distinguerons les fautes dans la surveillance des usagers et les mauvais traitements.


A. LA FAUTE DE SURVEILLANCE

Une éducatrice spécialisée ne s’était pas inquiétée de la fugue de deux adolescentes souffrant de déficience intellectuelle et de troubles psychiatriques lors d’une promenade, et ne s’était pas assurée de l’endroit où elles se trouvaient. L’association employeuse estimait que ce défaut grossier de surveillance constituait une faute grave justifiant un licenciement sans préavis. La décision de la cour d’appel, confirmée par la chambre sociale de la Cour de cassation, relève que « les faits reprochés à l’intéressée étaient intervenus au cours d’une sortie dont l’initiative incombait à l’association, qui constituait un test pédagogique », et que cette salariée n’avait commis aucune faute (1).
Constitue en revanche une cause réelle et sérieuse de licenciement le fait pour un éducateur de renvoyer seule une adolescente. L’éducateur, confronté à de graves problèmes de discipline au sein du groupe d’enfants, n’avait pu consulter personne sur l’attitude à adopter face à cette situation. Mais la faute de la direction n’empêche pas la faute du salarié (2).
Constitue également une faute professionnelle de négligence justifiant un licenciement pour cause réelle et sérieuse le fait pour un veilleur de nuit de quitter son service sans avertir la directrice de l’absence de tout responsable de nuit dans un établissement pour enfants. Celui-ci avait pourtant obtenu un congé pour passer un examen. Mais les juges ont estimé que, même si la directrice avait commis, en ne le remplaçant pas, une faute d’organisation dont le salarié n’avait pas à se faire juge, ce dernier n’était pas dispensé d’assumer ses propres responsabilités (3).


B. LES MAUVAIS TRAITEMENTS

Les mauvais traitements prennent de multiples formes, des sanctions humiliantes, des gifles, des brutalités, des comportements répétés totalement inadaptés au regard de la vulnérabilité des personnes devant être accompagnées et aidées...
Mais les sanctions, notamment les plus graves comme le licenciement, vont être analysées en fonction des circonstances des faits.


1. DES ACTES PUNITIFS HUMILIANTS

Certes, il est sans doute nécessaire quelquefois de faire acte d’autorité sur un usager. Mais « la sanction » doit toujours être adaptée au degré de vulnérabilité de la personne, proportionnelle à l’acte répréhensible et ne jamais être humiliante pour l’usager.

a. Faire casser des cailloux par une personne handicapée

Dans un centre d’aide par le travail [NDLR : désormais ESAT], un moniteur d’atelier ordonne à un travailleur handicapé d’aller seul casser des cailloux sur un parking, ce que fera la personne handicapée à genoux dans le froid pendant au moins une heure trente. Selon le moniteur d’atelier, cette sanction est justifiée par le comportement de la personne handicapée avec qui il était en conflit. A la suite de ces faits, le directeur licencie immédiatement son salarié pour faute grave avec mise à pied à titre conservatoire, malgré une ancienneté d’une douzaine d’années. La cour d’appel de Versailles casse cette décision suivant les dépositions du salarié qui explique que ce travail correspondait à une activité pédagogique consistant à obtenir des petits cailloux pour les mettre dans le fond d’une jardinière et servir à son irrigation. La Cour de cassation justifie le licenciement estimant que le salarié a commis une faute grave en infligeant à une personne vulnérable un « traitement pénible, humiliant et dégradant » (4).

b. « Boycotter » la chambre d’une personne âgée

Le fait de laisser seule une personne âgée, sans soins, sans changer ses couches durant la nuit (le matin le personnel de jour avait retrouvé l’usager dans un état innommable), a justifié un licenciement fondé non pas sur une faute grave, mais sur une cause réelle et sérieuse. Il semble qu’en réaction à une agression précédente, un agent de service hospitalier de nuit ne souhaitait plus intervenir dans une chambre auprès d’un usager qualifié de dangereux. Mais ce salarié n’avait pas prévenu l’infirmière de cette agression qui ne pouvait justifier en aucun cas un acte malveillant de la part d’un salarié formé. Les tribunaux, pour accorder des indemnités de licenciement, ont estimé que le fonctionnement n’était pas sans reproche comme l’affirmait un rapport récent d’inspection (5).


2. LES GIFLES ET DIVERSES BRUTALITÉS

Dans une maison d’accueil spécialisée (MAS) privée hébergeant des personnes handicapées, une aide médico-psychologique (AMP) donne une gifle à un adolescent lourdement handicapé. La sanction tombe : l’établissement licencie l’AMP pour faute grave. Cependant, la cour d’appel estime que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le Conseil d’Etat confirme cette position. Certes, la matérialité des faits est établie et le comportement de la salariée est « assurément anormal de la part d’une aide médico-psychologique en contact quotidien avec des personnes lourdement handicapées ». Les juges ont estimé que ce geste pouvait s’expliquer par le fait qu’il avait été provoqué par l’attitude du jeune qui l’avait agrippé au bras, avait refusé de la lâcher et lui avait enfoncé les ongles dans la peau. D’un autre côté, la salariée justifiait d’une ancienneté de 13 ans et avait eu jusqu’à cette gifle un comportement irréprochable. Ainsi, les faits reprochés n’étaient pas de nature à rendre impossible son maintien dans l’établissement et ne constituaient pas une faute grave justifiant un licenciement (6).
A l’inverse, la Cour de cassation juge légitime le licenciement sans indemnité d’une aide-soignante du fait de son comportement inapproprié à l’égard de personnes âgées. Une nuit, celle-ci aurait giflé une personne âgée et l’aurait même griffée sur la joue gauche après l’avoir réprimandée pour avoir souillé son lit. Elle avait des gestes brutaux et sans ménagement envers les résidents, vociférait et criait contre eux. Ce comportement résulte de deux témoignages concordants de deux autres salariées. La salariée licenciée met en cause le témoignage de ses collègues. Elle argue qu’aucun fait matériel ne corrobore ces dires et que ce licenciement est lié à sa saisine des prud’hommes. Mais les tribunaux estiment que deux témoignages concordants et précis suffisent à établir les faits (7). De plus, ils estiment la sanction justifiée au regard des précédents avertissements dus au refus d’exécuter des tâches fixées par l’employeur.
De même, un acte de violence, effectué par un éducateur sur la personne d’un mineur dont il a la charge, est caractéristique d’une faute grave pour la Cour de cassation. La cour d’appel avait énoncé que le coup de poing porté au mineur qui voulait entrer de force dans le bureau de l’éducateur était justifié par le comportement agressif du mineur (8). Mais tout dépendra des faits. Ainsi la cour d’appel administrative de Nancy n’a pas estimé constitutif d’un faute justifiant un licenciement, le fait pour une éducatrice « d’avoir répondu à la violence d’une jeune fille de 17 ans, avant de la plaquer au sol et de l’y maintenir jusqu’à l’arrivée d’une collègue, appliquant ainsi des méthodes de contention apprises lors d’un stage professionnel ». Il faut dire qu’au regard du certificat médical produit par l’éducatrice, la jeune fille avait été d’une grande violence sur cette personne (9).
Les mêmes faits peuvent se produire dans des établissements publics. Une aide-soignante affectée dans un hôpital public, accueillant des personnes très vulnérables atteintes de maladie neuro-dégénérative et de troubles du comportement, gifle une résidente qui l’avait mordue alors qu’elle lui donnait un médicament. Le directeur la révoque, contre l’avis du conseil de discipline. La salariée fait un recours devant la commission des recours du Conseil supérieur de la fonction publique. Celle-ci revoit la sanction à la baisse et propose de substituer à la révocation une exclusion temporaire de un an suivie d’une mise à l’épreuve dans un autre service. Le directeur attaque cette décision de la commission de recours devant le Conseil d’Etat. Donnant tort au directeur, le Conseil d’Etat estime alors que cette sanction « n’est pas, eu égard aux circonstances relevées, manifestement insuffisante ». Le Conseil d’Etat prend en compte que cette salariée « avait elle-même informé ses supérieurs hiérarchiques, reconnus ses torts et d’autre part que son geste fautif était une réaction spontanée à la blessure infligée et à la douleur ressentie » (10).
Les deux cours tiennent compte des mêmes circonstances. S’agit-il d’une réaction de défense, d’un réflexe à la suite d’une agression de l’usager ou d’une brimade à froid ? Le salarié a-t-il déjà commis de tels actes dans sa carrière professionnelle ou est-ce la première fois qu’il commet un geste répréhensible ? De la réponse à ces deux questions dépendra le maintien éventuel du professionnel dans l’établissement.


C. LE NON-RESPECT DU RÈGLEMENT DE FONCTIONNEMENT

Un animateur socio-éducatif employé par une association de sauvegarde de l’enfance est accusé d’avoir commis deux fautes. Il aurait emporté un ordinateur sans autorisation et ne l’aurait pas rendu. Pour cet acte, il a fait l’objet d’une mise à pied de trois jours. Il est également accusé d’avoir reçu une jeune fille placée par le juge des enfants à son domicile alors que le règlement intérieur interdit aux salariés « de laisser les enfants ou les adolescents en séjour dans l’établissement ou pris en charge, pénétrer son appartement, son studio ou sa chambre ». Pour ce second acte, en raison de sa bonne foi supposée, il a subi une sanction légère consistant en une simple observation, à un rappel du règlement intérieur et à une demande que ces faits ne se reproduisent pas. Pour ces deux sanctions, l’animateur saisit les tribunaux. La cour d’appel casse les décisions de sanction. Mais la Cour de cassation revient sur cette annulation. Sur le premier point, elle estime que la cour d’appel aurait dû s’interroger sur le respect du délai de deux mois pour engager la procédure disciplinaire. Sur le second point, la Cour de cassation estime que « si l’usage fait par le salarié de son domicile relève de sa vie privée, des restrictions sont susceptibles de lui être apportées par l’employeur à condition qu’elles soient justifiées par la nature du travail à accomplir et qu’elles soient proportionnées au but recherché » (11).


D. LES RELATIONS AMOUREUSES ENTRE USAGERS ET PROFESSIONNELS

Lorsqu’ils ont été amenés à se prononcer sur la question des relations amoureuses entre usagers et professionnels, les juges ont adopté des positions variables selon les circonstances de fait. Mais ils prennent toujours en considération la situation de vulnérabilité de l’usager.
Une animatrice d’un centre de rééducation professionnelle public a entretenu une relation amoureuse avec un usager de l’établissement. Celui-ci fragile psychologiquement et influençable avait été déstabilisé par cette relation. Le directeur prononce la sanction la plus grave qui puisse toucher un agent public : la révocation. L’animatrice saisit la commission des recours du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale. Celle-ci ayant prononcé une sanction moins grave, une exclusion temporaire de fonctions de deux ans sans sursis, le directeur saisit le Conseil d’Etat. Mais celui-ci estime que l’établissement a commis des fautes en n’exerçant pas « la vigilance particulière qui aurait dû être la sienne » alors que l’animatrice avait été placée, l’année précédente, sous curatelle du fait d’une grave maladie et en ne réagissant pas lorsque les parents s’étaient plaints « de certaines prises de position » (sic) de l’animatrice. Il confirme la décision d’exclusion temporaire de deux ans (12). Cette sanction s’explique par les conséquences néfastes de cette relation sur l’usager. Il ne semble pas en être de même pour la relation entretenue par un chef d’atelier avec un usager d’un atelier protégé. Les nombreux arguments évoqués par la défense semblent avoir convaincu la cour d’appel du caractère abusif du licenciement. Les premiers consistent à souligner les qualités de l’usager. La demoiselle de 23 ans en question ne fait l’objet d’aucune mesure de protection, aucun élément précis ne démontre qu’elle avait une personnalité perturbée et une grande vulnérabilité psychologique. Celle-ci ne travaille pas dans un centre d’aide par le travail mais dans un atelier protégé où les salariés sont soumis au droit du travail et sont payés en fonction des bénéfices. Elle semble avoir un réel discernement et ne semble pas avoir subi des préjudices du fait de cette relation. Les seconds arguments tentent de démontrer que cette relation n’a pas eu de répercussions, ni créé de troubles sur le fonctionnement de l’entreprise. Cette relation s’effectuait de façon discrète à l’extérieur du lieu de travail et en dehors des heures de travail, qu’elle n’était pas connue des tiers. La Cour juge ainsi que cette relation n’était pas incompatible avec les fonctions professionnelles du salarié de l’association mais elle juge utile de préciser « qu’il en serait différemment si M. X. avait eu des tâches d’éducateur et s’il avait noué une relation amoureuse avec une personne d’une fragilité psychologique et immaturité avérées » (13). Toutes relations entre les salariés et les usagers ne sont donc pas sanctionnables par nature, mais elles peuvent le devenir au regard des fonctions exercées par le salarié, des répercussions sur le lieu de travail et des qualités de l’usager.


(1)
Cass. soc., 26 octobre 1994, n° 93-40525, RDSS n° 2/1995, p. 339, obs. Lhuillier.


(2)
Grenoble, 18 janvier 1989, n° Juris-Data : 1989-042990.


(3)
Montpellier, 22 mars 1984, doc. n° 84-129, Juris-Data.


(4)
Cass. soc., 18 mars 2009, n° 07-44691, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(5)
Cass. soc., 15 septembre 2010, n° 09-41949, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(6)
Cass. soc., 18 mars 2009, n° 08-40384, disponible sur www.legifrance.gouv.fr ; cf. aussi Boulmier D., « Travailleurs sociaux, défaut de self-control et maltraitance : la position du juge », RDSS n° 6, 2009, p. 1147.


(7)
Cass. soc., 22 mars 2011, n° 09-41596, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(8)
Cass. soc., 27 mars 1991, n° 89-42476, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(9)
CAA Nancy, 27 janvier 2011, n° 10NC00072, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(10)
Conseil d’Etat, 2 septembre 2009, n° 310932, disponible sur www.legifrance.gouv.fr ; note Boulmier D., préc. ; cf. également Conseil d’Etat, 7 avril 2004, n° 259786, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(11)
Cass. soc., 13 janvier 2009, n° 07-43282, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(12)
Conseil d’Etat, 27 avril 2011, n° 332452, disponible sur www.legifrance.gouv.fr


(13)
Angers, n° 2000/00593, disponible sur www.legifrance.gouv.fr, cf. André S., « Relations entre professionnels et usagers : décisions récentes de jurisprudence », ASH n° 2766 du 29-06-12, p. 41 ; cf. aussi Poinsot O. sur son blog.

SECTION 2 - L’ÉTUDE DE LA JURISPRUDENCE

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