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Si chers voisins

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Ils sortent plutôt la nuit, ou tôt le matin, mais s’accommodent fort bien de présence humaine. Ils passent en trombe d’une allée à l’autre, s’engouffrent dans un trou, ressortent d’un autre, rampent sous la dalle d’une tour et disparaissent, ignorant sans doute leur prochain point de chute.

Chose parfaitement inexplicable, ils ont beau être si présents, faire partie du quotidien, ils surprennent encore malgré tout. Quand ce n’est pas par la taille, c’est par le nombre. Parfois les deux. L’autre jour, j’en ai vu deux attaquer un pigeon. Le bougre a réussi à leur échapper ! Je n’aurais jamais pensé ressentir une once d’empathie pour une volaille, mais c’est arrivé. De dépit, les belligérants se sont rabattus sur un quignon de pain.

Les occupants de la cité les subissent, cohabitent. Le bailleur social s’en fiche royalement, mène à la va-vite une fois tous les deux ans une campagne de dératisation. Les habitants rencontrent le maire quand le ras-le-bol se fait trop grandissant. Le sujet occupe trois minutes d’antenne en période d’élection municipale et le soufflé retombe.

Un peu comme le trafic de stup, ça fait partie du paysage. Les façades pourrissent, les bâtiments se fissurent, les cages d’escalier puent la pisse, mais tout va bien. Certes, quelques êtres peu précautionneux jettent leurs poubelles par la fenêtre. Un jour je ne suis pas passé loin de prendre un échantillon sur la calebasse. Et quand ça tombe, pour les bestioles, c’est festin. Mais au fond, y a-t-il un responsable ? Quand on vit avec pareils voisins, qui grattent derrière le mur de la cuisine, peut-on avoir l’envie sincère de prendre soin de chez soi ?

Un jour, assis sur mon banc dans la cité, j’entends : « Monsieur, Monsieur, s’il vous plaît ! » Ça vient d’en haut, je lève la tête, cherche et aperçois une dame qui agite les mains, tout en haut de la tour. Elle me crie quelque chose que je ne comprends pas. Je plisse les yeux mais rien n’y fait. Je me rapproche et tombe nez à nez avec une petite fille que je ne connais pas. Sara et sa petite sœur rentrent de l’école. La plus grande m’explique que les rats occupent l’entrée du bâtiment, qu’elles ont peur et me demandent de les aider à passer le barrage. Mon regard se porte sur Amina, sa petite sœur. Elle a presque les larmes aux yeux à la simple évocation des rongeurs. Je lève de nouveau la tête et comprends alors que c’est leur maman, tout là-haut. Elle me fait un signe du pouce, je lui réponds de même.

J’accompagne alors les petiotes, tremblantes, blotties contre moi. Une fois passé le régiment de mulots, les voilà qui cavalent. D’un signe de main nous nous disons à bientôt et leurs cartables disparaissent joyeusement dans le couloir. Je ressors et lève de nouveau la tête, leur maman est toujours à la fenêtre. Je lui fais un signe d’au revoir, et c’est par un bisou envoyé avec sa main qu’elle me répond. Dans le travail de rue, être seul n’est qu’un sentiment. Nous oublions trop souvent que des centaines de fenêtres sont ouvertes sur l’extérieur.

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