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L’insertion sous conditions

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Au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville, nombre d’associations inscrivent l’insertion professionnelle par le sport comme fer de lance de l’accompagnement proposé aux jeunes en rupture. Nécessaire pour remobiliser, la pratique sportive reste néanmoins un outil prétexte, au cœur d’un travail social complexe et peu formalisé.

Depuis leur impulsion dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) dans les années 1980, les dispositifs d’insertion par le sport n’ont cessé de se développer. L’objectif : créer de la proximité avec de jeunes publics par le biais de la pratique sportive pour les mener vers l’émancipation et l’intégration au sein d’une société parfois excluante. Les activités proposées mettent en lumière des compétences dont les publics accompagnés n’ont pas toujours conscience. « C’est un levier ludique et facilement mobilisable, explique Aurélie Martin, responsable du programme « sport et santé » de la Fondation de France. Par la théorie du détournement, on peut aborder des questions complexes. L’activité physique permet de mettre des personnes en mouvement et en capacité d’agir sans qu’elles s’en rendent compte. »

S’il est difficile de chiffrer le nombre d’associations inscrites dans cette tendance, les professionnels qui usent du sport pour l’insertion en observent les bénéfices. Parmi lesquels le développement de la confiance et de l’estime de soi, la capacité à se fixer des objectifs, à se maîtriser, à gérer la réussite comme l’échec ou à appréhender la diversité. Les activités collectives aident à créer des liens, de la cohésion, favorisant une dynamique de groupe propice à l’insertion. Quand les pratiques individuelles telles que la musculation incitent à l’exigence et au dépassement de soi.

Entretenir l’aller-vers

« La motivation est très importante, c’est une prise de conscience. Lorsqu’on est capable de se dépasser sur un terrain, on peut se dépasser intellectuellement pour aller plus loin dans nos objectifs », souligne Guillaume Conraud, délégué général de l’association Action Prévention Sport, fondée en 1994 pour aider les jeunes Franciliens en rupture. Mais si cette approche favorise une remobilisation, il s’avère indispensable d’aller plus loin. Pour preuve, la convergence des termes employés par les acteurs lorsqu’ils définissent l’insertion par le sport : « prétexte », « aimant », « vecteur », « outil », « tremplin », « support »… Autant de mots qui posent la pratique à sa juste place, c’est-à-dire dans un processus d’accompagnement dont la réussite est conditionnée à une série d’étapes. « Notre but n’est pas qu’ils fassent du sport mais qu’ils trouvent un emploi ou une formation à la fin de leur parcours. Il s’agit d’un levier pour attirer les jeunes, travailler avec eux, les garder, les mobiliser et les valoriser », poursuit Guillaume Conraud.

Malgré des objectifs aux enjeux communs, les moyens déployés divergent. Chaque structure dispose d’une méthode propre, tant du point de vue de la rencontre avec le public que de celui des moyens d’accompagnement. Depuis une vingtaine d’années, l’association Sport dans la Ville rénove ou transforme des terrains, principalement de football ou de basket, disponibles en permanence auprès des habitants dans les QPV. Des éducateurs sportifs y proposent des séances gratuites pour les enfants et les préadolescents. « Au-delà de l’évolution de leur niveau sportif, ils progressent sur la ponctualité, l’esprit d’équipe et le respect de l’autre. Des créneaux sont réservés pour la création de CV ou les démarches auprès des entreprises », détaille Guilhem Martel, responsable « insertion spécialisée » pour l’association.

En parallèle, des dispositifs spécifiques d’insertion sont proposés, certains pour des collégiens, d’autres pour des jeunes en recherche d’un cursus d’études supérieures ou d’un emploi et un dernier pour les « décrochés ». Pour ceux-ci, la partie cruciale du travail consiste à les repérer. « Nous opérons des visites chez les familles des plus jeunes joueurs. Cela permet de questionner les parents sur d’éventuelles difficultés que pourraient rencontrer les autres enfants. Cette étape, essentielle, fonctionne toujours », confie Nassim Ayaida, éducateur sportif pour Sport dans la Ville dans le quartier Frais-Vallon de Marseille. Le recrutement passe aussi par des maraudes, des distribution de flyers, des collages d’affiches dans des lieux fréquentés par les jeunes, et par les liens tissés avec les partenaires sociaux et les acteurs de la prévention sur le territoire. « Mais c’est le bouche-à-oreille et les visites de familles qui sont les plus efficaces », admet l’éducateur sportif.

Communiquer pour exister

En Ile-de-France, outre ses missions d’accompagnement, l’association Action Prévention Sport est dotée d’un centre de formation aux métiers du sport. Tous les bénéficiaires de dispositifs d’insertion peuvent ensuite intégrer des formations certifiantes dans ce secteur. L’orientation des 105 jeunes en rupture âgés de 16 à 25 ans aidés chaque année dépend partiellement de l’orientation de prescripteurs publics tels que Pôle emploi, les missions locales ou les clubs de prévention. « Le pendant négatif est que nous sommes souvent identifiés au domaine du sport. Les partenaires locaux nous envoient donc des jeunes qui apprécient beaucoup la culture physique alors que nous visons la remobilisation par la pratique sportive », déplore Guillaume Conraud. Là encore, la réputation prime. L’an passé, 57 % des bénéficiaires ont connu le dispositif d’insertion par ouï-dire, contre 37 % par les missions locales.

Convertir les compétences sportives en compétences utiles en milieu professionnel constitue un autre objectif fondamental visé par les professionnels. Un travail minutieux qui tient d’abord à connaître individuellement le public pour le diriger. Les techniques de recherche d’emploi et les visites d’entreprise peuvent effrayer. « En arrivant, l’état de santé des jeunes laisse à désirer. Ils ne sont pas en grande forme physique, ne sont pas motivés pour bouger et connaissent pour la plupart des problèmes d’addiction. On intervient donc d’abord sur des cadres d’hygiène et de rythme de vie », relate Guillaume Conraud. Recourir au sport permet d’aborder les capacités psychosociales. « Les séances en salle de sport permettent d’aborder la communication et la collaboration, des savoir-être essentiels en entreprise. Arriver à l’heure, comprendre une consigne, la mettre en pratique, se concentrer. En formalisant cela, l’idée est de travailler la réflexivité », précise Guilhem Martel. La fréquence et la régularité sont des gages de réussite qui facilitent une meilleure appréhension du marché du travail. Le tissage d’un lien de confiance mutuelle aide à se démarquer des rapports avec les parents, les professeurs ou les chargés d’insertion des dispositifs classiques. « Nous ne nous positionnons pas pour autant comme une mission locale cool, le droit commun existe. Nous devons apporter des acquis supplémentaires, le projet n’est pas de proposer le même accompagnement par des actions différentes », indique Bertrand Chédé, directeur Ile-de-France de Sport dans la Ville. Le passage par le travail de méthodes sur des temps formalisés et la visite d’entreprise, le système de parrainage ou l’accueil de salariés sur le terrain autour de matchs sont tout aussi nécessaires pour lever les préjugés respectifs.

La préparation des jeunes s’associe également à la prospection auprès de potentiels recruteurs. L’accès au réseau professionnel représente en effet un manque à combler. Certains adolescents n’ont jamais dépassé le périmètre de leur zone de résidence et n’ont pas connaissance des métiers qui leur sont accessibles. « Nous sommes le tiers qui sécurise la relation entre le jeune et l’entreprise », indique Jean-Philippe Acensi, fondateur de l’Agence pour l’éducation par le sport (Apels), qui accompagne cette année 1 200 jeunes de QPV sans diplôme.

Expérimenter sans formaliser

Obtenir des soutiens financiers et convaincre les entreprises d’embaucher ce public spécifique paraît donc crucial. Les associations restent régulièrement confrontées aux a priori véhiculés par l’image des jeunes de quartiers. « Heureusement, certaines entreprises souhaitent recruter différemment et ces questions répondent aux enjeux liés à la responsabilité sociétale des entreprises », tempère Guilhem Martel. L’accompagnement évite d’orienter un jeune vers un processus de recrutement sans s’être assuré qu’il y est suffisamment préparé. Même constat concernant le temps de remobilisation nécessaire : chaque parcours est unique.

Selon la manière dont le secteur opère, la durée du cursus préparatoire diffère d’une association à l’autre, allant de quelques semaines à dix-huit mois. « Nous sommes aux balbutiements d’une grande innovation sociale. Il nous faut faire preuve d’humilité, résume Jean-Philippe Acensi. Cela fonctionne lorsque les acteurs sont formés et que les éducateurs ne sont pas précarisés. Ce secteur est de plus en plus concurrentiel mais c’est une opportunité d’assurer la montée en compétences des professionnels [voir encadré page 6]. A l’arrivée, ce sont les entreprises qui financent et les mairies qui promeuvent les dispositifs auprès des acteurs locaux. » Au sein des structures interrogées, les taux d’accès à l’emploi en fin de cursus s’échelonnent de 50 % à 70 %. Côté financement, une fois encore, rien n’est formalisé. Si certaines associations ont majoritairement recours à des fonds privés provenant de mécènes ou d’entreprises, d’autres s’appuient sur des subventions européennes, nationales, régionales ou départementales.

Deux formations professionnalisantes

Les dispositifs d’insertion par le sport impliquent une coordination entre coachs sportifs et professionnels chargés de l’insertion. Afin de lier ces deux métiers, l’Agence pour l’éducation par le sport (Apels) propose deux formations certifiées par l’institution publique France Compétences. Depuis son lancement il y a deux ans, le premier cursus a permis la formation de 250 animateurs d’inclusion. Une durée de quinze jours est requise : « Il s’agit d’apprendre à faire le lien entre les qualités repérées chez un jeune et l’entreprise », explique Jean-Philippe Acensi, fondateur de l’Apels. Parmi les thèmes abordés : le développement du projet professionnel, la sensibilisation au monde de l’entreprise, la communication avec les recruteurs, la connaissance des partenariats et des acteurs sociaux mobilisables. En janvier 2023, l’Apels assurera une première session de formation de coach d’insertion par le sport, dont les enjeux sont plus poussés. Le développement de l’activité inclusive, la mise en place de parcours et les recherches de financements seront appréhendés via un module de 200 heures échelonnées sur huit à neuf mois. D’ici trois ans, 1 000 coachs devraient être formés.

Le club, l’école et les parents

Le club de football Lyon-La Duchère s’inscrit depuis 2008 dans un projet socio-éducatif formel. Parmi les nombreuses initiatives proposées, les jeunes adhérents bénéficient d’une aide aux devoirs. La réussite du programme passe par un travail partenarial avec le collège : suivi des résultats, du comportement, etc. « Cette approche permet de transposer dans le milieu scolaire le comportement exemplaire observé sur le terrain. En fonction de chaque situation, l’éducateur sportif détermine la place de l’élève dans les matchs organisés les week-ends. Cela représente un gage de réussite scolaire, insiste Jonathan Lessig, directeur du club rhodanien. Le taux d’obtention du brevet des collèges et d’orientation choisie augmente pour les bénéficiaires. Par ailleurs, de plus en plus d’élèves parviennent à intégrer le lycée réputé du secteur. Mais la garantie de la réussite dépend aussi de l’implication des parents. »

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